Irruption du Nyiragongo : mémoires d’un éléphant

Confidences du chauffeur du Ministre

Par | Penseur libre |
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L’augmentation du braconnage de la faune sauvage, l’arrivée massive de réfugiés et l’importante déforestation ont entraîné l’inscription du Parc National des Virunga sur la Liste du patrimoine mondial en péril en 1994. Photo © Kim S. Gjerstad ; Unesco.

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… Mon patron le ministre d’Etat revient de Nyiragongo, du volcan en furie. Mon ministre est d’autant plus ébranlé que c’est la première fois qu’il a foulé le sol (fumant !) de Goma, et qu’il a vu de ses propres yeux une irruption volcanique. Commentaires du ministre : « Oh ! Impressionnant ! Ici, Dieu a peut-être créé l’Histoire, mais le Diable a créé la géographie, la géologie ». Or, tout cela n’est rien par rapport à ce que notre ministre a appris de la part d’un dresseur d’éléphants, en même temps garde du Parc Virunga. Ce magicien dresseur d’éléphants dialogue, on ne sait comment, et en langage codé d’initié, avec des mammifères pachydermes. Barétant, barrissant ou trompetant, selon les propos, les intuitions ou les sensations, l’éléphant émet un vocabulaire certes énigmatique pour le commun des mortels, mais si limpide pour le magicien dresseur. Et voici la version émanant du pachyderme, telle que traduite pour notre ministre par le magicien dresseur d’éléphant :

« Moi, Pachyderme, mémoire de Patriarche dans ce Parc, combien de volcans n’ai-je pas affrontés ! Des volcans précoces, présomptueux mais brefs ; des volcans paresseux mais par vagues d’éjaculations irrépressibles et inassouvies ; des volcans furibards, revanchards, mortifères. D’ailleurs, il y a de cela plusieurs lunes, plusieurs saisons, ici même, les mêmes crachats de feu du Nyiragongo rivalisaient avec des tonnerres inventés par les êtres humains pour tuer leurs semblables.  Nous avions, nous les éléphants en face de nous, l’enfer du Nyiragongo ; et derrière nous les foudres lancées par les hommes contre les hommes. Pour une fois notre flair de pachyderme s’était trompé. Mais au lieu de fuir par derrière dans le feu ennemi, nous avons choisi de rester là chez nous, quitte à subir le volcan en colère, en face. Le volcan nous a compris, il s’est arrêté pile à nos pieds…

Moi, Patriarche-Pachyderme, mémoire des mémoires des savanes et de ce Parc Virunga, je subodore à fond de terre les signes volcaniques. Vous dites, vous pauvres êtres humains, qu’ « il n’y a pas de fumée sans feu » ? Mais que savez-vous de cette fumée d’ici et de ce feu d’ici ?

Moi, Patriarche-Pachyderme, je sens la terre sous mes pattes. Je marche sur des volcans soi-disant éteints, et à leur réveil brutal, ils me réveillent ; et moi je réveille à mon tour les autres congénères. La suite est connue : chevauchées et escapades folles, enivrées à travers la ville, à travers le marché, pour alerter les Gomatraciens distraits. Distraits, ils le sont, les Gomatraciens, parce qu’ils ne font pas attention aux signes des bas–fonds et des abysses de la terre.

 Toi, mon magicien dresseur ami de tous les volcans, toi et moi ne regardons jamais le firmament ; nous avons les yeux et les oreilles dressés contre la terre, à l’écoute des appels d’outre-feu, d’outre-tombe. Toi et moi, nous reconnaissons les alphabets vibratoires du Nyiragongo si différents de ceux du Nyiamulagira…

L’autre nuit, lorsque le sous-sol a commencé à vibrer, j’ai reconnu aussitôt Nyiragongo ; j’ai lancé des barrissements éperdus, effrénés, et je me suis mis à courir, à courir, à travers le Parc, à travers le marché, et je me suis arrêté à la porte de la ville ; parce que je savais, parce que mes pattes savaient que là, s’arrêteraient les laves incandescentes, descendantes, déclinantes.  Trop tard ! Le volcan a quand même dévoré des femmes et des enfants inattentifs… »

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Mon ministre a écouté religieusement les traductions du magicien dresseur d’éléphants. Il en a été davantage bouleversé. Et voici ce qu’il m’a dit au creux de l’oreille, à moi son confident de chauffeur : « En vérité, à défaut de déplacer le Diable et son Enfer volcanique en face, sollicitons du bon Dieu qu’Il délocalise l’Histoire ; qu’il délocalise définitivement tout Goma et tous les Gomatraciens ». 

 

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