ITURI : confidences d’un réfugié

Confidences du chauffeur du Ministre

Par | Penseur libre |
le

« J’ai regardé avec lui les cieux, les dieux. Rien.» Photo © Véronique Vercheval

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… Voici un rapport qui a fuité, on ne sait comment, du bureau de notre patron le ministre d’Etat des Questions Statistiques et Tactiques. J’en ai piqué une copie auprès du garde du corps, qui lui s’en est procuré, parait-il, auprès de la secrétaire particulière grâce à la générosité du secrétaire de cabinet, lui-même couvert par le directeur de cabinet-adjoint, le « dircaba ». Il s’agit du témoignage d’un réfugié après l’attaque des rebelles ADF dans les localités de Drodo et Tse, territoire de Djugu :

« Nous étions en file, pas contre pas, comme brebis. L’agent devant nous se présente à nous avec comme nom-prénom-postnom : « HCR ». HCR nous a demandé nos nom-prénom-postnom. Mon tour est justement là, en tête de ma famille (femme enfants-garçons, enfants filles). HCR me demande : nom ? « Réfugié ».   Prénom ?  « Réfugié ».  Postnom ? « Refugié ». HCR pas content ; il insiste. Moi aussi je résiste : réfugié. Réfugié. Réfugié…

… Juste à ce moment-là, la panique. Des coups de feu. Des incendies. Des hommes masqués, armés de machettes et de fusils Kalachnikov. Je cours me cacher dans l’armoire abandonnée par HCR. Plus tard j’apprendrai que l’armoire de HCR m’a sauvé la vie, mais lui HCR est tombé dans les mains des rebelles et massacré. Du sang partout. Du sang jusqu’à leur signature de rebelles sur tous les murs : « ADF ». Nom-Prénom-Postnom- : ADF. Vocation : égorgements en série, au nom d’Allah !

… Ah, à présent les choses me reviennent petit à petit comme cauchemar. Cauchemar sur cauchemar : ADF est devant moi. Il me demande nom-prénom-postnom- religion-village ? Je réponds : « Réfugié ». ADF me gifle parce qu’il croit que je ris de lui. Je crie, je crie fort de douleur mais de rage. Et, surprise, de la foule immense massée dans la cour du camp des refugiés- prisonniers, j’entends des échos de cris, des pleurs derrière moi : ma femme, mes enfants.

ADF me demande si je connais ADF ; je dis que je ne connais pas. Si Lendu, si Hema ?  Je dis que je connais un peu un peu, comme ci comme ça. Par la radio. Ah, dit ADF, tu as une radio ? Je dis que je suis instituteur et donc j’écoutais radio, pour causer français, pour écrire français. ADF m’a chicoté au visage, aux fesses, au dos. Quatre fois chicoté, pour quatre crimes. Ne pas connaitre ADF, c’est premier crime.  Etre instituteur, c’est deuxième crime. Ecouter la radio, c’est troisième crime. Prendre à témoins femme et enfants, c’est quatrième crime !

ADF dit : tu es condamné. Cris, injures de ma femme. Révolte des enfants. ADF a brutalisé ma femme. Devant les enfants et moi, il a fait … il a fait ma femme sa femme. Aie ! Plus grave : ADF a visé, avec son arme, le cœur de mon petit ; et a tiré.    Raide mort, le petit.  Alors ADF s’est penché sur le corps et le cœur de mon petit. Il a arraché le cœur, il a bu tout le sang du cœur. Après ça, j’ai vomi vomi, et je me suis évanoui…

… Plus tard, bien plus tard. Quelque part un soir, je ne sais où. A la recherche de la fosse commune des miens, comme on m’a vaguement indiqué, après le départ d’ADF. Je regarde les cieux, les dieux. Rien.

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Puis est venu un journaliste, je crois. Il parlait parlait. A tenté d’enregistrer mes pleurs dans son appareil. M’a demandé de rejouer mes pleurs pour la pose-photo. Non, j’ai dit. Puis est venu un pasteur, je crois. Lui ne parlait pas français ; il parlait quoi, je ne sais pas. Il priait beaucoup ; priait quoi, je ne sais pas. Regardait souvent les cieux, peut-être les dieux. J’ai regardé avec lui les cieux, les dieux. Rien. »

 

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