La boussole du droit international

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Par | Journaliste |
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Le vice-président de la FIDH Alexis Deswaef (à gauche) manifeste à côté de Adel Atieh, ambassadeur de la Palestine auprès de l’Union européenne, à Bruxelles le 21 janvier 2024.
Photo © Véronique Vercheval

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Face à la lâcheté politique, au « deux poids deux mesures », à l’absence de mesures radicales comme la fin des accords d’association, le renvoi des ambassadeurs, l’interdiction du commerce des armes et autres moyens de coercition contre Israël, il ne reste à la société civile que l’arme du droit.

Cette arme a été brandie par Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la FIDH (Fédération internationale des droits humains) qui comprend 188 organisations membres de par le monde. (1) « Nous sommes face à l’horreur mais nous ne sommes pas impuissants », clame l’avocat qui, depuis des années, une mission en Palestine occupée et à Gaza et un livre à ce sujet, a choisi de dénoncer les injustices. « Il nous faut interpeller les politiques, soutenir des actions en justice devant les juridictions internationales mais aussi nationales. Toutes les informations aident à obtenir justice et à mettre fin à l’impunité dont jouit Israël. »

Ce fut le cas cette matinée du 22 février 2024 au Parlement européen lors d’un colloque organisé par la FIDH sous le titre « Gaza : implications juridiques et politiques de la qualification de génocide », accueilli par le groupe des Verts/ALE sous l’égide du député européen Mounir Satouri.

Génocide, un terme approprié

La FIDH fut la première organisation à qualifier de génocide la guerre lancée par Israël contre Gaza, et ce après de nombreuses discussions avec des juristes de ses diverses organisations membres en Afrique, en Asie, en Amérique latine. « Cela a suscité une volée de critiques mais les événements de plus en plus catastrophiques dénoncés à Gaza, maintenant à Rafah, et en Cisjordanie, nous confirment que le terme de génocide est bien approprié », résume Alexis Deswaef.

« Il existe une convention pour la prévention du génocide ce qui signifie que les Etats qui l’ont signée ont l’obligation de prévenir le risque génocidaire. Les Etats doivent donc agir, quel que soit le nombre de victimes, puisque l’intention génocidaire est bien affirmée par ce gouvernement israélien et des chefs de son armée, le tout relayé par des médias de ce pays », explique l’avocat. Ils annoncent vouloir éradiquer le Hamas en tuant un maximum de civils dont de nombreuses femmes et enfants et chasser toute la population de Gaza. « Que faisons-nous comme Etats tiers ? Il nous faut rendre justice à cette population reconnue comme victime et exiger des réparations, lutter contre l’impunité qui nourrit les crimes israéliens. Si on avait arrêté la première guerre de Gaza en 2009, on aurait évité celle de 2014 et les autres qui ont suivi, à chaque fois plus meurtrières, faisant des milliers de victimes civiles. Jusqu’à l’horreur totale à laquelle nous assistons maintenant. »

Alexis Deswaef veut se montrer optimiste, malgré cette tragédie : « l’arrêt de la Cour Internationale de Justice constitue un basculement. Enfin, la justice internationale est en route, elle reconnaît le caractère plausible du génocide et exige des mesures conservatoires. Israël doit rentrer un rapport sur ses actions à ce sujet. Or, l’armée menace à présent Rafah par où transite l’aide humanitaire vitale pour les Gazaouis. La communauté internationale doit en tirer les conséquences car les masques tombent, le Premier ministre israélien se moque de l’arrêt de la CIJ et n’arrête pas ses actions militaires. »

D’autre part, l’avocat souligne avec amertume la précipitation avec laquelle la Cour Pénale Internationale a traité le cas de la Russie envahissant une partie de l’Ukraine et la lenteur extrême de sa réaction par rapport au génocide en cours à Gaza. A l’image des hésitations longues des Etats-Unis et des pays européens. « Notre crédibilité est en jeu, les députés européens doivent s’en souvenir », martèle Alexis Deswaef. Il ajoute que les juridictions nationales doivent aussi faire preuve de créativité sur base de la loi sur la compétence universelle. La Norvège, par exemple, a déposé une plainte contre les ministres Gallant et Gantz ainsi que contre le général Herzl Halevi. (2) Il est possible de porter plainte contre des binationaux - israélo-belges ou israélo-français, par exemple - comme auteurs de crimes de guerre en servant dans l’armée israélienne. Nombre d’entre eux se vantent de leurs « exploits » sur TikTok. Eux-aussi doivent rendre compte devant les justices nationales.

Même le président étatsunien Joe Biden est l’objet d’une plainte déposée par le Centre pour les droits constitutionnels basé aux Etats-Unis, au nom de la société civile palestinienne. Sa complicité avec les actes génocidaires est avéré puisque, par trois fois, ce pays met son veto aux demandes de l’AG des Nations Unies pour un cessez-le-feu à Gaza. (3)

De petites victoires sont tout de même à signaler : aux Pays-Bas, un juge a interdit l’exportation de pièces détachées de F-35 destinées à l’armée israélienne ; la Belgique a arrêté son exportation d’armes vers ce pays, des dockers d’Anvers empêchent le chargement d’armes ou de fournitures militaires sur des bateaux.

Alexis Deswaef appelle nos représentants à se saisir de la gravité de la situation : il faut en finir avec les termes comme « on regrette, on déplore »… Il s’agit de crimes, il faut les dénoncer et demander des réparations.

Ursula von der Leyen : un pur scandale !

L’Europe doit agir, mais pas comme le veut la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen qui s’est précipitée pour saluer le Premier ministre Netanyahou après le 7 octobre et proclamer avec les Etats-Unis le droit d’Israël à se défendre. Ce qui était un blanc-seing donné à ce gouvernement d’extrême-droite pour lancer le carnage final à Gaza sous blocus depuis 17 ans. « Un pur scandale », martèle Alexis Deswaef qui souligne que cette présidente s’est exprimée sans en avoir le moindre mandat et en dehors de sa compétence puisque les Affaires étrangères de l’Union sont aux mains du commissaire Borrell et du Conseil européen (NDLR. présidé par Charles Michel, bien silencieux sur cette tragédie), qui doivent définir les grandes lignes politiques de l’Europe. C’est au Parlement européen de mieux contrôler cette Commission qui soutient Israël. « Not in our name », fustige l’avocat, car « ce n’est pas juste ».

Il souligne le rôle positif de la Belgique qui, avec l’ Espagne, l’Islande fait bouger les lignes du jeu politique européen. La Belgique, par la voix de Caroline Gennez, ministre de la Coopération, soutient l’UNWRA et demande des comptes après la destruction du bâtiment d’Enabel par les forces israéliennes. (5)

La centralité de la cause palestinienne

A l ’heure où beaucoup de pays dans le monde rompent leurs relations diplomatiques avec Israël, il faut que l’Europe réagisse clairement et mette fin au carnage à Gaza et aux persécutions meurtrières en Cisjordanie.

Il ne s’agit pas de positions antisémites, comme l’affirment certains, c’est « ridicule et insultant », insiste Alexis Deswaef : « le droit international est notre boussole à tous, pour protéger inconditionnellement les civils. De telles accusations visent à tirer sur le messager au lieu de résoudre le problème. Il ne s’agit certainement pas de soutien au terrorisme car l’usage de ce terme est un détournement d’une législation antiterroriste afin de réduire au silence les opposants aux politiques d’extrême-droite et génocidaires du gouvernement israélien. (6)

Président de l’Association belgo-palestinienne (ABP), Pierre Galand a lui-aussi fustigé cette Union européenne qui interdit aux Russes l’entrée sur son territoire mais pas aux Israéliens, qui ne brise pas le blocus de Gaza mais est capable de protéger les marchandises transportées par bateau sur la Mer Rouge en bombardant des Houthis yéménites. « La lutte et la résistance du peuple palestinien a remis à l’agenda la centralité de cette cause pour tous les citoyens de la planète. Sans cela, il nous sera impossible d’assurer notre coexistence avec les peuples de la Méditerranée. »

La « singularité » allemande

Au cours de ce colloque qui visait à susciter une mobilisation des parlementaires européens afin de mettre fin au génocide en cours à Gaza, il a été question de la réticence des Allemands, y compris les Verts de ce pays, à condamner Israël. Nous constatons que cette « singularité allemande » est tolérée, et c’est surprenant car l’expérience génocidaire devrait au contraire inciter le peuple allemand à plus de vigilance pour empêcher tout génocide, où que ce soit dans le monde. Qu’il s’agisse d’Israéliens n’empêche en rien l’Allemagne de respecter la convention de prévention du génocide et donc de s’aligner sur les démarches qui visent à y mettre fin. Sinon, ce pays risque d’être catalogué comme complice d’un génocide.

Ce qui n’a pas été abordé lors de ce colloque, c’est l’ampleur du commerce des armes, florissant à cause de la guerre à Gaza et dont l’Allemagne, troisième fournisseur mondial à Israël, tire de grands bénéfices. (7)

L’eurodéputé Vert Mounir Satouri a plaidé pour que le poids des progressistes, des humanistes soit plus important après les prochaines élections sinon on n’aura pas la majorité pour obtenir qu’Israël soit exclu des accords d’association privilégiés avec l’Europe. « Les citoyens doivent, par leur vote, contrer la droite européenne qui ‘s’extrémise’ et soutient l’extrême-droite israélienne », dit-il. Il précise : le cadre européen existe pour imposer un embargo sur les armes contre Israël. De même, il est possible de sanctionner les colons criminels en gelant leurs avoirs en Europe et en les empêchant de fouler le sol européen. On peut aussi interdire le commerce avec les colonies illégales et surtout, maintenir le financement de l’UNWRA, essentiel pour la survie des Palestiniens.

Bref, une série de décisions peuvent être prises qui mettraient l’Europe en phase avec ses valeurs fondamentales.

On ne peut qu’espérer que la commission ne soit plus présidée par une Ursula von der Leyen, dont la vision politique est celle des Etats-Unis, principaux protecteurs d’Israël où la démocratie a été confisquée par une extrême-droite violente, raciste et corrompue.

Heureusement, il y a des forces de résistance en Israël même, ce que nous a rappelé Simone Susskind, parlementaire belge et promotrice d’actions conjointes israélo-palestiniennes. Elle se dit fière de l’action de la Belgique en faveur des Palestiniens de Gaza et rappelle l’ampleur des ratonnades, expulsions et autres agressions par des colons israéliens en Cisjordanie, ayant causé plus de 300 morts.

Elle appelle à une reconnaissance de l’État de Palestine. Un souhait partagé par plusieurs associations israéliennes comme le mouvement « Standing together » (5000 membres). Elle souligne que 20 % des citoyens israéliens sont palestiniens et que c’est ensemble qu’ils devront déterminer la solution politique permettant à la paix de revenir dans cette région.

Ainsi, pouvons-nous conclure, Israël pourra retrouver sa place parmi les démocraties en respectant le droit international et les droits du peuple palestinien, principalement celui d’avoir un Etat. Pour cela, le rôle de l’Europe devrait être primordial, sinon, l’Union perdra toute crédibilité aux yeux du monde.


(1) https://www.fidh.org/fr/

(2) https://icj.no/nyheter/icj-norway-and-defend-international-law-file-complaint-against-israeli-leaders-for-complicity-in-crimes-against-humanity/

(3) https://www.aa.com.tr/fr/monde/washington-un-groupe-dorganisation-d%C3%A9pose-une-plainte-contre-biden-pour-avoir-soutenu-le-g%C3%A9nocide-%C3%A0-gaza/3053225

(4) https://fr.timesofisrael.com/von-der-leyen-a-netanyahu-leurope-se-tient-aux-cotes-disrael/

(5) https://gennez.belgium.be/fr/la-belgique-maintient-le-financement-de-lunrwa

https://www.lesoir.be/565796/article/2024-02-02/caroline-gennez-il-est-normal-de-presenter-la-facture-israel

(6) https://www.entreleslignes.be/humeurs/terroriste-repete-le-perroquet/

(7) https://www.mediapart.fr/journal/international/111123/des-voix-s-elevent-pour-demander-la-fin-des-ventes-d-armes-israel

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A lire :

https://www.cetri.be/Cour-internationale-de-justice-l

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Yves Kengen | membre |

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