La friche Josaphat en rouge et vert

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une friche à grand potentiel, enjeu d’une lamentable querelle politique. Photo © D.R.

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Je me souviens fort bien du crissement des roues de trains de marchandises passant par la vallée Josaphat vers la gare de Schaerbeek. Et cela en pleine nuit, éclipsant les miaulements des chats passés à l’état quasi sauvage. Il y avait aussi de grands dépôts de voitures qui attendaient de foncer sur les voies publiques bruxelloises, en ce années 70-80 où tout le monde pensait que moderniser la ville c’était l’éventrer pour que le trafic automobile pénètre jusqu’au cœur historique de Bruxelles.

C’était l’époque où un mouvement écologiste pointait le nez, dans le sillage des mouvements de contestation urbaine comme l’ARAU et Inter Environnement-Bruxelles qui ont su forcer nos représentants politiques à informer et négocier avec les habitants sur les plans dessinant l’avenir de la ville et surtout de notre manière de vivre en ville. Ainsi, s’ébauchaient les premières formes de démocratie participative reconnues ensuite dans le fameux Plan de Secteur qui devait concilier vision économique, sociale et environnementale de la ville.

Notre site Josaphat est situé à côté du magnifique Parc Josaphat voulu par Léopold II qui n’était pas qu’un colonisateur sanglant mais un roi ayant compris qu’il fallait des « poumons verts » pour permettre aux habitants de respirer et qui a ainsi contribué à la création des plus beaux parcs de Bruxelles.

La ville a connu de grandes mutations socio-économiques avec une désindustrialisation notamment le long de la zone du canal, un accroissement insensé du trafic automobile au détriment des transports urbains, au nom de la croissance consumériste de plus en plus mondialisée.

Ainsi, apparurent des « friches » dégagées de l’activité industrielle et un accroissement de la démographie bruxelloise, non seulement par les naissances mais surtout par l’attrait des emplois tertiaires plus nombreux à Bruxelles. D’où un problème crucial de création de logements à loyers abordables pour une population aux moyens financiers limités.

Qu’ont fait nos pouvoirs publics, réunis finalement dans la Région bruxelloise nouvellement créée ? Tenter l’inextricable alliance des intérêts économiques, sociaux… et environnementaux. La très longue négociation sur l’avenir de la friche Josaphat en est un bel exemple.

L’analyse de Marie Nagy

Marie Nagy, députée au Parlement bruxellois et sociologue de formation, connaît bien ce dossier, elle qui fut une écologiste militante dès les débuts du parti et qui l’a finalement quitté en désaccord avec certaines options pour passer chez Défi. Récemment sur son site LinkedIn, elle raconte le processus démocratique qui est actuellement contesté par Ecolo, d’une manière péremptoire et au mépris des accords conclus dans le passé.

« La démocratie ne consiste pas à l’emporter sur le point de vue de l’autre. La démocratie suppose d’être capable d’entendre les arguments de l’autre et de les intégrer dans une solution co-construite et délibérée. Si la posture actuelle de certains est le tout ou rien alors effectivement nous sommes devant une impasse dommageable.

Je m’explique, le projet de PAD Josaphat initial était un mauvais projet : trop dense, trop peu attentif à la préservation de la biodiversité et n’incluant pas suffisamment les enjeux de mobilité.

Il était prévu de construire sur la partie de Josaphat, qui nous occupe aujourd’hui, la partie laissée en friche, quelques 1600 logements. La déclaration politique de majorité, l’enquête publique, la mobilisation des associations et les avis de la commune de Schaerbeek notamment, ont amené une modification du programme et le projet aujourd’hui porte sur la construction de 509 logements dont 50% du logement social. Par ailleurs 2/3 de la friche sont sauvegardés, 1/3 en parc et 1/3 sanctuarisé pour la biodiversité.

C’est une évolution qu’il faut saluer. Par ailleurs les 509 familles qui y trouveront un logement bénéficieront des normes du « référentiel quartier durable » de Bruxelles Environnement. Au même titre que Fribourg en Allemagne, Bruxelles pourrait se targuer de l’exemplarité de ce développement urbanistique.

Précisons aussi qu’il s’agit d’un terrain public et que c’est le secteur public qui est à la manœuvre, avec un financement de la Région pour l’achat de ce terrain il y a quelques années. De l’argent de chacun des Bruxelloises et des Bruxellois.

Il me semble alors que ce compromis est défendable au nom de la possibilité de permettre à des jeunes ménages, des familles et des personnes isolées d’accéder à un logement extrêmement qualitatif dans un eco-quartier offrant une haute qualité de vie et conforme à toutes les normes d’un urbanisme durable de pointe et qui plus est sanctuarisant 2/3 de la friche actuelle dont 1/3 entièrement consacrée à la biodiversité.

Faut-il considérer dès lors que la seule solution viable est celle qui défend un point de vue, celui essentiel de la préservation de la biodiversité en ville ? Ou comme moi considérer que le droit à l’habitat de qualité doit aussi être rencontré dans un projet public qui finalement trouve une excellence dans sa qualité sociale et durable ? Ma réponse est claire je choisis, inspirée par Edgar Morin, la complexité d’une solution qui est inclusive de deux enjeux majeurs pour la ville. »

Du logement et des jardins potagers !

Réduire la querelle actuelle en un conflit entre Ecolo et PS est absurde car tous les partis ont été impliqués dans ce dossier et le projet présenté par la Région correspond à la vision à la fois sociale et écologiste moderne que les habitants de Bruxelles peuvent souhaiter.

Rappelons que nous venons de loin car un des projets de réaffectation de la friche consistait à installer là une partie des bâtiments européens, ce qui aurait privé les habitants de l’occupation de ce site !

Et nos jeunes écologistes ne le savent pas, mais après la guerre, la plupart des terrains laissés en friche le long des voies de chemin de fer ou en bordures d’industries ou d’entrepôts étaient utilisés comme potagers par les habitants les plus démunis et qui tentaient d’améliorer ainsi leurs apports alimentaires. Les potagers communautaires et autres initiatives d’agriculture à la maison très à la mode aujourd’hui n’ont rien de révolutionnaire.

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Suggérons aux écologistes bruxellois de ré-apprendre l’histoire de la Région, d’être plus attentifs à l’accroissement dramatique des problèmes sociaux et notamment du logement pour les plus défavorisés. Et pourquoi ne pas redynamiser les potagers collectifs comme outils de survie économique en ces temps tellement durs pour de trop nombreux Bruxellois ? Le tout en respectant les processus démocratiques qui ont mené à des décisions qui, après tout, correspondent aux programmes politiques des deux partis en lice.

 

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