La guerre russo-étatsunienne au défi du nucléaire

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Après un an de guerre en Ukraine, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres lance un vibrant appel à « la paix véritable ». Le voici dans un centre d’accueil de réfugiés ukrainiens à Chișinău, en République de Moldavie qui aide un demi-million de réfugiés ukrainiens. Photo © UN Photo/Mark Garten. https://press.un.org/fr/2023/sgsm21696.doc.htm

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Un an de conflit armé, avec son cortège de drames, d’horreurs, de destructions, de haine et de désespoir. Un an d’une guerre que l’on croyait impensable en Europe tant nous étions habitués à porter la guerre dans des pays lointains, à ignorer celles qui se déroulent dans des pays plus proches de nous comme en Israël contre la Palestine ou au Maroc contre la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD).

En ex-Yougoslavie, déjà

Et aussi, parce que nous avons choisi d’oublier les sanglantes guerres de Yougoslavie (1995 – 2001, environ 140.000 tués et un génocide à Srebrenica) au cours desquelles les Etats-Unis ont fait intervenir les forces de l’OTAN, marquant ainsi leur leadership militaire sur l’Europe et la fin du mythe de l’OTAN défenseur de la paix. C’est ainsi que la secrétaire d’Etat US Madeleine Albright a fait échouer les efforts de paix entrepris par les Européens à Rambouillet et imposé leur vision de la paix par les forces de l’OTAN. Même Henry Kissinger déclara dans le Daily Telegraph, le 28 juin 1999, que « le texte de Rambouillet, qui appelait la Serbie à accueillir les troupes de l'OTAN sur tout le territoire de la Yougoslavie, était une provocation, un prétexte pour commencer les bombardements. Rambouillet n'aurait pu être accepté par le plus pacifique des Serbes. C'était un document diplomatique épouvantable qui n'aurait jamais dû être présenté de cette façon », tandis que le parlementaire SPD Hermann Scheer qualifia cette annexe de « statut d'occupation par l'OTAN de toute la Yougoslavie », déclarant que « même un politicien modéré n'aurait jamais signé ce texte ». (1)

Il est important de se souvenir de ce tragique épisode de l’histoire européenne post soviétique, et de rappeler que la Russie était alors considérée comme un interlocuteur valable. Depuis, l’influence otanienne qui avait décru dans notre Europe enfin tournée vers la paix, a été renforcée avec le nouveau président US Joe Biden après le fiasco afghan. Sa stratégie est simple : diviser l’Europe, l’empêcher de former un bloc économique puissant avec la Russie et se préparer à contrer la puissance économique et militaire de la Chine.  L’Ukraine était le point charnière de cette stratégie, une politique elle aussi critiquée par quantité d’observateurs politiques d’idéologies très diverses et dont beaucoup refusent l’option militaire imposée par les Etats-Unis par le biais du renforcement de l’OTAN et l’expansion de ses bases proches du territoire russe.   

Si même Kissinger le dit…

Parmi eux, Henry Kissinger à nouveau, peu suspect d’être pro-Poutine, qui fut le promoteur de la politique guerrière des Etats-Unis au Viêt Nam et au Cambodge, a réagi le 17 décembre 2022 dans le magazine britannique Spectator. Selon lui, l’Ukraine est déjà de facto intégrée à l’OTAN.  « Le moment approche de s’appuyer sur les changements stratégiques déjà réalisés et de les intégrer dans une nouvelle structure pour négocier une paix. »

Selon lui, l’affaiblissement de la Russie n’est pas une option, mais en intensifiant ce conflit, l’Occident risque de pousser la Russie dans les mains de la Chine, créant ainsi un ennemi puissant, résume Marc Vandepitte, De Wereld Morgen, le 22 décembre 2022. Le journaliste cite aussi la déclaration d’Henry Kissinger dans le Wall Street Journal du 12 août : « Nous sommes au bord d’une guerre avec la Russie et la Chine pour des problèmes que nous avons en partie créés nous-mêmes, sans savoir comment cela va se terminer ni où cela va nous mener. » (2)

Aujourd’hui, ce sont les armes nucléaires qui risquent d’entrer dans ce jeu macabre réprouvé un peu partout dans le monde et pas seulement par des démocrates pacifistes.

Forcer l’Allemagne et ses gazoducs

Parmi les dernières révélations, celles du prestigieux journaliste d’investigation Seymour Hersh qui a révélé le 7 février 2023 que la marine américaine, sous les ordres du président Joe Biden, était responsable des attaques du 26 septembre 2022 contre les pipelines Nord Stream transportant du gaz naturel entre la Russie et l’Allemagne. (3)

Seymour Hersh n’est pas un plaisantin. Il a révélé ou contribué à révéler certains des plus grands crimes de l’histoire américaine, notamment le massacre de My Lai pendant la guerre du Viêt Nam, le scandale du Watergate et les mauvais traitements infligés aux prisonniers à Abu Ghraib. Cet octogénaire poursuit son travail d’investigation. En voici la traduction en français : https://www.ojim.fr/wp-content/uploads/2023/02/Seymour_Hersh_Nord_Stream_2023_02_13.pdf

« En juin dernier, les plongeurs de la marine, opérant sous le couvert d’un exercice de l’OTAN largement médiatisé, connu sous le nom de BALTOPS 22, ont placé les explosifs déclenchés à distance qui, trois mois plus tard, ont détruit trois des quatre pipelines de Nord Stream, selon une source ayant une connaissance directe de la planification opérationnelle. », écrit Seymour Hersh. Il révèle que dès avant la guerre, l’opération était prévue : « au début de 2022, le groupe de travail de la
CIA a fait un rapport au groupe inter-agences de Sullivan : « Nous avons un moyen de faire sauter les pipelines. » « La suite a été stupéfiante. Le 7 février, moins de trois semaines avant l’invasion apparemment inévitable de l’Ukraine par la Russie, Biden a rencontré dans son bureau de la Maison Blanche le chancelier allemand Olaf Scholz, qui, après quelques hésitations, était maintenant fermement dans l’équipe américaine. Lors du point de presse qui a suivi, M. Biden a déclaré avec défiance : ‘ Si la Russie nous envahit... il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin’. Vingt jours plus tôt, la sous-secrétaire Nuland avait délivré essentiellement le même message lors d’un point de presse du département d’État, avec peu de couverture médiatique. ‘Je veux être très claire avec vous aujourd’hui’, a-t-elle déclaré en réponse à une question. ‘ Si la Russie envahit l’Ukraine, d’une manière ou d’une autre, Nord Stream 2 n’ira pas de l’avant. ‘ »

Seymour Hersh décrit précisément le déroulement de cette opération au large de la Norvège, un pays ami des Etats-Unis et qui y a trouvé un énorme avantage : ses ventes de combustibles ont généré des bénéfices phénoménaux pour les sociétés norvégiennes.

La guerre en Ukraine, depuis 2014

Cette enquête de Seymour Hersh démontre que les Etats-Unis avaient planifié cette guerre. Ce que souligne le secrétaire général de l’OTAN, le norvégien Jan Stoltenberg, lors d’une conférence de presse le 13 février 2023 : « En fait, depuis 2014, l'OTAN a mis en place les plus grands renforts de défense collective depuis une génération, car la guerre n'a pas commencé en février de l'année dernière. Elle a commencé en 2014. Et cela a déclenché une grande adaptation de notre Alliance avec une meilleure préparation des forces, avec plus de présence dans la partie orientale de l'Alliance, avec plus d'exercices. » (4)  Parmi ceux-ci, très probablement, l’opération de minage des gazoducs que les militaires norvégiens ont fait exploser à la demande des Etats-Unis. Sans la moindre ironie, Jan Stoltenberg annonce « La protection des infrastructures sous-marines critiques sera également une priorité de notre ordre du jour. L'OTAN y travaille depuis de nombreuses années, et nous passons maintenant au niveau supérieur. Nous avons décidé d'établir une nouvelle cellule de coordination au siège de l'OTAN, afin de cartographier nos vulnérabilités et de dialoguer avec l'industrie. Cela soutiendra nos efforts pour prévenir et contrer les menaces qui pèsent sur les infrastructures critiques, y compris les câbles et pipelines sous-marins ».

Une guerre mondiale de l’énergie

Interrogé lors d’une conférence de presse en septembre dernier sur les conséquences de l’aggravation de la crise énergétique en Europe occidentale, le secrétaire d’Etat US A. Blinken a décrit le moment comme potentiellement bon : « C’est une occasion formidable de supprimer une fois pour toutes la dépendance à l’égard de l’énergie russe et donc de priver Vladimir Poutine de l’arme de l’énergie comme moyen de faire avancer ses desseins impériaux. C’est très significatif et cela offre une formidable opportunité stratégique pour les années à venir, mais en attendant, nous sommes déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que les conséquences de tout cela ne soient pas supportées par les citoyens de nos pays ou, d’ailleurs, du reste du monde ».

On voit ce que cela donne : augmentation insoutenable des prix de l’énergie en Europe et dans le monde, suivie de hausses de prix de biens et de services, tout aussi insoutenables pour le citoyen et les entreprises… Sauf pour les entreprises d’armements et celles qui fournissent les hydrocarbures au plus haut prix. Selon Norway.mw, « Le ministère norvégien des finances s’attend à ce que les recettes de l’État provenant des ventes de pétrole et de gaz atteignent 1,38 trillion de couronnes norvégiennes (131 milliards de dollars) cette année. Il s’agit d’une augmentation par rapport au précédent record de 1,17 trillion de couronnes de l’année dernière, et d’une augmentation de près de cinq fois par rapport aux 288 milliards de couronnes de 2021 » (5) La Norvège promet cependant quelques milliards d’euros pour aider l’Ukraine… (6)
Une guerre nucléaire ?

Pendant ce temps, la guerre continue, dans toute son horreur, course macabre entre la Russie et les Etats-Unis traînant l’Europe derrière eux. Toute logique de négociations et même de bon sens est balayée par des opérations de propagande et de mensonges qui paralysent le questionnement critique des citoyens et attisent les discours de haine. Et les belligérants agitent à présent la menace nucléaire…

Dans son discours-fleuve du 21 février 2023, le président russe avertit : "Plus l'Occident cherchera à augmenter l'approvisionnement militaire pour changer le cours des événements, plus des systèmes à longue portée arriveront en Ukraine, plus nous serons contraints de repousser la menace à nos frontières." "Nous allons régler pas à pas, soigneusement et méthodiquement, les objectifs qui se posent devant nous." Il n’annonce pas la super offensive que les Etats-Unis et l’Europe prédisaient. Par contre, il annonce qu’il suspend sa participation à l'accord New Start sur le désarmement nucléaire et a menacé de réaliser de nouveaux tests nucléaires si les États-Unis en faisaient.

Dans son discours, Vladimir Poutine rappelle en effet que « Le monde entier a vu comment ils (les Etats-Unis) se sont retirés des accords fondamentaux dans le domaine des armements, y compris le traité sur les missiles à portée intermédiaire et à courte portée, déchirant unilatéralement les accords fondamentaux qui maintiennent la paix mondiale. » Il rappelle que « l'OTAN n'est pas qu'une seule puissance nucléaire - les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont également des arsenaux nucléaires, ils sont améliorés, développés et également dirigés contre nous (la Russie).(…) Les dernières déclarations de leurs dirigeants ne font que le confirmer - écoutez. »

Plus loin il précise : « Nous connaissons tous les tenants et les aboutissants : nous savons que les périodes de validité de la garantie pour l'utilisation au combat de certains types d'armes nucléaires des États-Unis arrivent à expiration. Et à cet égard, comme nous le savons avec certitude, certains politiciens à Washington réfléchissent déjà à la possibilité d'essais naturels de leurs armes nucléaires, notamment en tenant compte du fait que les États-Unis développent de nouveaux types d'armes nucléaires. Il y a de telles informations. »

« Dans cette situation, le ministère russe de la Défense et Rosatom doivent s'assurer qu'ils sont prêts à tester les armes nucléaires russes. Bien sûr, nous ne serons pas les premiers à le faire, mais si les États-Unis font des tests, alors nous les ferons. Personne ne devrait avoir la dangereuse illusion que la parité stratégique mondiale peut être détruite. »

La Russie de Vladimir Poutine est plus déterminée que jamais à préserver son territoire, son mode de vie, son développement économique et industriel ainsi que sa place dans le monde. Il semble bien qu’aucune offensive armée ne pourra vaincre cette détermination. Si l’on veut que le peuple ukrainien retrouve son territoire, sa sécurité, sa culture, sa survie économique il n’y a plus qu’une seule solution : se mettre autour d’une table afin d‘éviter l’irréparable.

1.Cité par Andreas Zumach dans Krieg im Kosovo (Thomas Schmid éd.), Reinbeck, 1999, p. 75. Voir Wikipedia « Conférence de Rambouillet ».

2. https://www.investigaction.net/fr/henry-kissinger-met-en-garde-contre-une-nouvelle-guerre-mondiale/

3. https://seymourhersh.substack.com/p/how-america-took-out-the-nord-stream

 https://www.ojim.fr/nord-stream-seymour-hersh/

https://www.berliner-zeitung.de/politik-gesellschaft/seymour-hersh-im-interview-joe-biden-sprengte-nord-stream-weil-er-deutschland-nicht-traut-li.317700

4. https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_211689.htm?selectedLocale=en

5. https://www.norway.mw/2023/02/14/la-montee-en-fleche-des-benefices-petroliers-et-gaziers-en-norvege-alimente-le-debat/

6. https://www.lesechos.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-la-norvege-ouvre-son-portefeuille-1904069

Déjà paru à ce sujet :

https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/guerre-et-paix-paroles-de-pape

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