L'asbl DoucheFLUX passe de l'hébergement au logement

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L'équipe de DoucheFLUX et le ministre Maron. (c) DoucheFLUX.

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Etre sans toit, sans chez soi n'est en général que la partie visible de l'iceberg. Problèmes de santé, d'assuétudes, d'argent, de papiers, de travail, de diplômes, d'état mental, etc. s'amassent, cachés, sous la ligne d'eau. Que réclame-t-on en général à ces personnes, des hommes, des femmes, des jeunes, devenues précaires? De régler absolument tous leurs problèmes avant de pouvoir demander un logement. Deux secondes de réflexion suffisent pour comprendre que ce système en escalier ne fonctionne pas. Que ceux qu'on appelait hier les SDF ne vont pas, dans leur situation, régler leurs dettes, sortir de leurs dépendances, terminer l'école, se soigner, trouver un travail, chaque étape étant exigée du système en vigueur. Ils resteront donc à la rue et les bonnes âmes déploreront leur incapacité à en sortir.

Heureusement est apparu aux Etats-Unis le concept du "Housing firs", un toit d'abord et un accompagnement par une équipe pluridisciplinaire (psy, soignant.e, assistant.e social.e). Il a tout de suite montré son efficacité. En vigueur en Belgique depuis un peu plus de dix ans, le "Housing first" s'inscrit aujourd'hui dans la politique du logement de la région bruxelloise. Alain Maron, Ministre bruxellois de l'Action sociale le confirme: "Depuis 2019, le nombre de personnes accompagnées par les dispositifs "Housing First" a triplé (290 personnes en 2023). Mon objectif est clair; accroître encore cette politique d'insertion durable par le logement."

Ce 14 mars marquait l'accession officielle de l'asbl DoucheFLUX au statut d’opérateur "Housing first". Laurent d'Ursel, codirecteur et amateur de défis paraissant impossibles, se réjouit de ce nouveau titre: "Ceci est peut-être le tournant le plus important le plus important pour DoucheFLUX en onze ans d'existence. L'asbl se développe sans arrêt. Dès que quelque chose nous semble opportun, on ne se prive pas d'essayer, même sans subsides. Parfois, les subsides viennent après, ou alors on découvre plus tard que notre projet pouvait être subsidié." Dans le cas du "Housing first", les subsides sont là, accordés par le ministre Maron.

Des douches et des machines à laver

DoucheFLUX, c'est cette association née en 2011 de la volonté de citoyens conscientisés au manque de douches et de salons-lavoirs abordables à Bruxelles pour les SDF. Faisons des douches! Ouvrons un salon-lavoir! OK, mais classe. Dans un espace agréable, décoré de bois, lumineux, convivial, ouvert aux personnes vivant à la rue. L'hygiène et la réappropriation du corps sont essentielles pour retrouver une dignité. Cinq ans plus tard, deux millions d'euros levés grâce à des soutiens privés, le centre de jour de DoucheFLUX ouvrait ses portes en 2017.

Depuis il n'a cessé d'étendre ses ailes, activités diverses, accompagnement social, permanence juridique, et surtout, toujours, présence et écoute. "En cinq ans, nous sommes passés de cinq employés à trente", se rengorge Laurent d'Ursel. En 2020, le covid et le confinement obligent l'équipe à réfléchir et à se remettre en question. "Cela a été très dur", explique Jérôme Guiot, responsable de l'hébergement. "Notre centre de jour devait-il être ouvert ou fermé? Les maraudes nous rapportaient le paradoxe du confinement obligatoire pour des personnes dormant en rue." Dès avril, DoucheFLUX ouvre un hébergement à l'auberge de jeunesse de Molenbeek où ont été accueillies 90 femmes de ce public fragilisé.

Dormant là, trois d'entre elles ont déclaré qu'elles ne retourneraient plus en arrière. Il faut savoir que le suivi en contexte d'hébergement est bien plus efficace que le suivi des mêmes personnes en rue. Le taux de relogement des résidentes est élevé: près de 60 % ont ainsi pu être relogées durablement entre 2020 et 2022. Comme le rappelle le codirecteur, "pour sortir de la survie, pour se projeter dans l’avenir, il faut une chambre privée et un sanitaire privé." Au fil des mois, l'hébergement a déménagé d'hôtel en hôtel, engageant du personnel grâce aux subsides de la Cocom. "Nous avons été les premiers à Bruxelles à ouvrir un hébergement et nous serons les derniers à fermer. Après trois ans", précise Jérôme Guiot.

Un problème de logement avant tout

En effet, fin avril 2023, l'hôtel n'hébergera plus. Un coup de massue qui a aussi été l'occasion de nouvelles réflexions. Le travail social n'est-il que du dépannage dans l’urgence? Aller du carton en rue au logement est d'une grande violence; une étape intermédiaire ne pourrait-elle être l'hébergement? N'y a-t-il pas une complémentarité entre hébergement et logement? Ne devrait-il pas voir aussi à trouver des solutions à plus long terme, à passer de l'hébergement au logement, permis par exemple par le "Housing first"? Comme se plaît à le répéter urbi et orbi Laurent d'Ursel, "le sans chezsoirisme est un problème de logement et pas un problème social. On doit mettre le logement au centre de la problématique."

C’est ainsi que DoucheFLUX est devenu le sixième opérateur "Housing first" à Bruxelles, sur sept actuellement. "La politique du sans chez soi me tient à cœur depuis longtemps", affirme Alain Maron."L'accueil d'urgence a des vertus mais ne solutionne rien. Pour des raisons humaines bien entendu, mais aussi parce qu'il s’agit d'une utilisation des moyens publics, donc cela doit faire sens, ouvrir des perspectives et peut s'inscrire dans un programme politique dont celui de mon parti."

Le ministre vert complète: "La sortie de la rue est violente, comme la rue est violente. Je veux renforcer les structures d'accueil d'urgence, l'idée de l'habitat accompagné et le "Housing first". C'est pour cela que nous faisons des partenariats "Housing first" et AIS (Agence Immobilière Sociale). Mais la question est éminemment politique. En tant que telle, elle doit être mise sur la table du gouvernement. Car, malgré les moyens considérables déployés, la politique désastreuse de l'asile a des conséquences. Fedasil ne fait pas le boulot. Ces demandeurs d'asile sans papiers sont des personnes d'une vulnérabilité supérieure. Or une partie du public accueilli est celui-là. C'est beaucoup plus difficile pour les structures d'accueil d’urgence." Le sans papier ne bénéficie en effet que de l'aide médicale urgente (AMU) et de la scolarité pour les enfants.

Besoin du privé

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"Housing first" un jour, "Housing first" toujours? Oui, si les opérateurs "Housing first" et leurs partenaires AIS trouvent des logements. Car le paradoxe du dispositif belge est que ce sont les équipes qui doivent trouver les logements. DoucheFLUX s'en sort bien avec son bâtiment au centre-ville de la capitale. C'est un des créateurs de l'asbl qui a acheté le bâtiment de douze logements, permettant le triangle "Housing first"  DoucheFLUX, propriétaire, AIS de Saint-Gilles (NDLR: les AIS peuvent opérer dans toutes les communes bruxelloises) représentée par Vincent Desirotte qui explique: "Le dispositif "Housing First" nécessite des moyens pour les services d'accompagnement et dans les AIS pour un inouï travail invisible de mes collègues qui remplissent les cases administratives soudainement à gérer. Je voudrais convaincre les propriétaires d'investir dans ce travail très important à réaliser." Alain Maron ne dit pas autre chose: "Je suis heureux que AIS et privés embarquent dans ce type d'aventure. Nous devons remercier et encourager les propriétaires pour mettre une partie de leur patrimoine en AIS. Tous les logements ne peuvent pas venir du public, il faut l'aide du privé."

"Le risque du privé est partagé par DoucheFLUX et l'AIS", rappelle Jérôme Guiot. "Dans ce premier bâtiment hybride se trouvent les bureaux de l'équipe, cinq studios déjà occupés et six appartements donnés à l'AIS en échange de l'accès aux studios plus appropriés à notre public et un jardin." Parmi les bénéficiaires, Céline, 42 ans, une cuisinière enchantée: "Ici c'est très bien, il y a moins de ménage à faire dans un studio et il y a toujours quelqu'un." La reine des fourneaux a aussi travaillé dans le bâtiment et dans la vente. De galère en galère depuis la perte de son appartement au début du covid, elle a atterri chez DoucheFLUX. "Avant je savais tout faire, mais maintenant?", interroge-t-elle, sans mentionner les sandwiches gastronomiques qu'elle a confectionnés, maquereaux en anchoïade, poulet à l'estragon fumé, avocat à la coriandre et grains de fenouil rôtis, caviar d'aubergines à la compotée d'oignons, le tout complété de trois gâteaux dont un d'anniversaire!

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