Affaire Mawda: l’État belge un peu condamné

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Lors du rassemblement place Poelaert avant le début de l'audience du matin du 1er décembre. © DEI-Belgique.

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Le 1er décembre dernier, l'asbl Défense des Enfants International (DEI) Belgique, qui a pour mission de défendre les droits des enfants, assignait l'État belge en justice pour faire éclater la vérité sur sa responsabilité dans l'affaire Mawda, du nom de cette petite fille migrante de 2 ans tuée par la police le 17 mai 2018 lors d'une course poursuite sur l’autoroute près de Mons. Afin aussi qu'un tel drame ne se reproduise plus jamais. DEI avait pointé douze dysfonctionnements graves.

Pour rappel, Mawda, 2 ans, était décédée dans la nuit du 16 au 17 mai 2018 suite au tir d'un policier lors d'une opération de police incluant la poursuite d'une camionnette transportant une vingtaine de migrant·e·s. Si l'auteur du tir et les responsables du trafic, le conducteur et le convoyeur ont été condamnés par la justice, de nombreux autres manquements graves restaient impunis et l'État semblait vouloir masquer ses propres responsabilités derrière celles de l'auteur du tir ou des autres protagonistes… Raison pour laquelle DEI-Belgique avait décidé d'assigner l'État belge en justice afin que tous ces autres manquements fassent l'objet d'un examen attentif et détaillé au regard des droits de l'enfant.

Ce 20 février, DEI Belgique a annoncé la décision du Tribunal de première instance de Bruxelles, tombée le 17 février. L'État belge est condamné dans l'affaire Mawda. Deux fautes structurelles graves sont pointées: la Belgique aurait du prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant dans le cadre de l'opération de police, et les policier·e·s devraient être formé·e·s aux droits de l'enfant lors d'opérations d'interception d’enfants migrant·e·s. 

Le Tribunal considère donc que l'État belge aurait dû prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'organisation de l'opération MEDUSA, destinée à lutter contre la migration irrégulière et le trafic d'êtres humains… Cet intérêt supérieur n'a pourtant pas été considéré de manière primordiale, alors qu'il est consacré par la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) – ratifiée par la Belgique il y a plus de trente ans – et précisé par le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies.

Le Tribunal souligne aussi que "rien ne permet de constater qu'à ce jour l'État belge a pris ses dispositions, quelles qu'elles soient, visant à assurer une meilleure formation des services de police en matière d'interception de mineurs migrants, dans le respect des droits fondamentaux de l'enfant." Il condamne donc la Belgique à intégrer au cursus des services de police, tant dans la formation initiale que continue, une formation sur les conditions de l'usage de la force et sur la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant en présence de migrant·e·s mineur·e·s d’âge.

Le Tribunal a condamné l’État belge sur deux des douze points soulevés, estimant que "concevoir des opérations de contrôle dans lesquelles l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas pris en compte alors que les services de police ne sont pas véritablement formés en matière d'interception de mineurs migrants dans le respect des droits fondamentaux de l'enfant, ne peut être considéré comme un comportement normalement prudent et diligent de la part de l'État belge. (…) Les éléments soumis au tribunal ne permettent pas non plus de considérer qu’à l'heure actuelle, l'État belge a pris les mesures nécessaires pour prévenir un dommage futur à l'intérêt collectif des enfants migrants au respect de leurs droits fondamentaux."

Si Benoit Van Keirsbilck, le directeur de DEI-Belgique, se réjouit de cette décision qui constitue une réelle avancée en matière de droits de l'enfant, il déplore toutefois que les autres dysfonctionnements pointés lors des plaidoiries du matin et de l'après-midi du 1er décembre 2022  n'aient pas été condamnés de la même manière. Le Tribunal fait une interprétation très restrictive du droit d’action des associations; il écarte la possibilité pour DEI de dénoncer, au nom de l'intérêt collectif, les autres manquement graves, en considérant notamment qu'ils ne représentent pas des "dysfonctionnements ou des manquements structurels", et donc une atteinte collective à un droit, mais des faits accidentels et ponctuels. Le message malheureux que cela fait passer est donc que la mort de Mawda, le traitement inhumain et dégradant subi par ses parents et son frère de quatre ans, l'abandon à leur sort de cinq mineur·e·s étranger·e·s non accompagné·e·s n'étaient que des accidents mineurs, banalisant ainsi ces faits extrêmement graves.

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Pour rappel, quelques-uns des dysfonctionnements graves pointés lors du procès par Maître Jacques Fierens, avocat de Défense des Enfants International Belgique, étaient:

  • Ce jour-là, se trouvaient aussi dans la camionnette 5 autres enfants migrants qui ont été traités de manière indigne et illégale: arrêtés et maintenus en détention pendant plusieurs heures, ils ont été relâchés dans la nature sans le moindre accompagnement
  • Les nombreuses zones d’ombre de cette "opération Médusa", opération policière de contrôle de migrants en transit
  • Les traitements inhumains et dégradants imposés au frère de Mawda, 4 ans à l'époque, et à leurs parents, alors que Mawda était mourante (interpellation par la police, empêchement d'accompagner leur enfant dans l’ambulance, maintien en cachot pendant plusieurs heures…)
  • L'absence de formation des policiers, les problèmes de communications entre patrouilles...
  • Les mensonges des policiers et du médecin légiste et du Parquet, qui ont d'emblée écarté la mort par balle et tenté de maquiller le crime en accident.

 Un jugement à la belge, qui condamne l'État mais pas trop.

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