Le ballon fou de la mondialisation

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Il ne tourne pas rond, le ballon du foot symbole d’une mondialisation du sport qui se dégonfle sur les mêmes terrains que l’économie mondiale en crise.

Déjà, en 1985, j’avais été scotchée à ma télévision (je n’étais pas au journal ce soir là) dès que j’appris le drame qui se déroulait au Heysel. Les mots violence, hooliganisme, brutalité, nationalisme, alcoolisme et bêtise sont, depuis lors, associés pour moi au foot spectacle qui a envahi nos écrans et nos stades. C’était il y a 31 ans, un funeste 29 mai, jour de finale de Coupe d’Europe des clubs champions entre le Liverpool Football Club et la Juventus Football Club. 39 personnes, dont 34 Italiens, hommes, femmes et un enfant trouvèrent la mort, étouffés par la pression des supporters anglais en folie qui les écrasaient contre des grilles et murets de séparation du bloc Z. 454 spectateurs ont été blessés. 

Le dégout était à son comble lorsque les organisateurs de l’événement et les joueurs décidèrent de continuer le match alors qu’ils connaissaient le drame se déroulant dans les tribunes remplies d’une majorité d’Italiens attaqués par les hooligans anglais. La crainte de la réaction de 60.000 personnes parquées dans un stade ultra bondé a mené l’UEFA à poursuivre la rencontre qui fut gagné par les Italiens. Il n’y avait plus de sport, que du spectacle de cirque avec des gladiateurs qui survivent tandis que leurs supporters fous s’entretuent. L’arène s’était déplacée dans les tribunes. 

Hooliganisme anglais, rébellion russe…

Ce drame reste qualifié de tragédie parmi les plus marquantes de l’histoire du sport spectacle. Ce fut en tout cas la plus spectaculaire manifestation de hooliganisme, à savoir des comportements violents dans le cadre sportif. Un mot passionnant d’ailleurs qui a une histoire liée à l’Angleterre et l’Irlande depuis le 19eme siècle, celle d’un ivrogne violent nommé Hooligan ou alors un gang de Islington nommé Hooley. Entré dans la littérature anglaise, le terme a voyagé en Russie et dans les anciens pays de l’Est où il signifie plutôt des rebelles à l’ordre établi, des asociaux… Les Pussy Riots ont été condamnées pour hooliganisme par la justice russe. De Russie, le terme est entré dans la langue française et donc dans notre vocabulaire sportif puisqu’il est surtout lié au football. 

Et ces derniers jours, à Marseille, on a bien vu que les hooligans anglais et russes sont toujours aussi bêtes, brutaux et alcoolisés que ceux de 1985 et après. Ils agitent toujours leurs drapeaux, se drapant dans un nationalisme qui sent mauvais l’extrême-droite. 

Jeux de mains, jeux de vilains….

Pendant ce temps, le monde du sport mondialisé compte son argent, les millions de dollars et d’euros du spectacle dans l’arène des innombrables pubs qui s’introduisent sournoisement sur les banderoles, les maillots des joueurs, les décors que filment avec complaisance les caméras de télévision. 

Les millions de dollars et d’euros qui s’engouffrent dans les poches des responsables de la Fédération Internationale de Football (FIFA) dont le célèbre Michel Platini, président de l’UEFA (1), qui avait vécu tellement douloureusement le drame du Heysel - où il marqua le seul but sous les couleurs de la Juventus -  qu’il ne mit plus jamais les pieds dans ce stade, dit-on. Il a fallu une enquête du FBI pour déboucher sur ces accusations de racket, fraude, corruption, blanchiment d’argent dont on attend les suites judiciaires. 

Ces histoires de gros sous sales se passent dans un cadre économique et social désastreux marqué par les grèves, les rébellions citoyennes, le déclin économique, l’augmentation des inégalités, la paupérisation des populations qu’elles soient européennes ou d’ailleurs. L’Euro2016, qui tente de nous jeter du bleu Europe aux yeux et des ballons dans le cerveau, ne relève pas de l’esprit sportif mais du big business du spectacle, de la performance, de la pub. Il y a du sport et parfois du beau sport. Mais il y a surtout des stars qui gagnent des millions alors qu’il n’y a pas assez d’argent pour promouvoir le sport collectif dans les quartiers, les villages.

Un peu partout, lors de ces méga événements sportifs, les pouvoirs publics effectuent des investissements faisant croire qu’ils serviront à la population alors que les bénéfices se réfugient dans des mains privées. Le système néolibéral prive les pouvoirs publics des ressources nécessaires pour assurer le bien commun de la population mais exige d’eux que les infrastructures soient construites et entretenues afin que les gestionnaires du privé puissent en tirer le maximum de bénéfices : l’exemple des trains anglais privatisés est éclairant. Les drapeaux des nationalismes sont agités pour cacher cette impuissance à assurer une véritable politique pour tous, qu’elle soit sportive ou de mobilité ou de solidarité sociale et même de justice accessible à tous. 

Travaux forcés au Qatar

Si on laisse triompher ce système, Qatar 2022 sera la Coupe du monde de l’esclavage moderne, clame la Confédération syndicale internationale (CSI). Les travailleurs migrants qui édifient les équipements les plus audacieux pour accueillir la prochaine Coupe du monde sont réduits à un sort de quasi esclavagisme. Or, le pays investit quelque 220 milliards de dollars puisqu’il faut tout créer : infrastructures routières, logistique, hôtels, stades, réseaux d’eau et d’électricité, etc. Tout cela profite aux entreprises de construction européennes et américaines. Et à quelques 2,4 millions d’habitants dont 12 % seulement seraient des Qataris, le reste étant des immigrés parqués en sous-classe de la population. Mais le gouvernement ne veut pas donner de chiffres précis de sa population autochtone. Chaque année, un millier de travailleurs migrants meurent au Qatar, victimes des conditions de travail dangereuses. Selon diverses sources fiables, ces travailleurs sont soumis à un véritable régime de travaux forcés. Tout récemment, 11 d’entre eux sont morts dans l’incendie de leur campement sur les chantiers. (2)

En avril de cette année, un rapport à l’intention de la FIFA,, établi par le professeur John Ruggie, un des plus éminents experts en droits humains, dans le monde, précise que « les droits humains internationalement reconnus englobent les droits à la vie et à la sécurité physique, la non-discrimination, les droits à la liberté de pensée, d’expression et de religion, la liberté d’association et de circulation, les droits à l’éducation et au travail, à la vie familiale et à la vie privée, à l’alimentation et à l’eau, le droit de ne pas être soumis à la torture, à l’esclavage ni au travail forcé, ainsi que les droits à des conditions de travail équitables et décentes, y compris la liberté syndicale et le droit de négociation collective. »
Et « Lorsque la FIFA n’est pas en mesure de réduire les graves conséquences en matière de droits humains en usant de son influence, elle devrait envisager de suspendre ou de résilier la relation. »

Cette morale des droits humains triomphera-t-elle ? On en doute. « On est des produits financiers. Un club est une usine et les joueurs sont des produits de l’usine. Chacun a une valeur marchande. », résumait l’ex-défenseur du FC Porto, Eliaquim Mangala et cité par Laurent Delcourt dans le livre « Sport et mondialisation » (3), à lire si vous aussi souhaitez qu’on en revienne à un véritable esprit sportif et pas à l’antique « panem et circenses » (du pain et des jeux) pour calmer le peuple et le divertir du contrôle démocratique du pouvoir. 


(1) Union of European Football Association, qui organise l’actuel championnat d’Europe nommé Euro2016 France.

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(2) http://www.ituc-csi.org/qatar-l-incendie-d-un-camp-de
     http://www.ituc-csi.org/fifa-un-rapport-historique-sur-les
     http://www.ituc-csi.org/rapport-nouveaux-fronts-2015-qatar

(3) Sport et mondialisation, Points de vue du Sud, coll. Alternatives sud, Centre Tricontinental et Editions Syllepse, 2016.

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