Le Banquet d’après l’œuvre de Platon

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
le
commentaires 0 Partager
Lecture 5 min.

Drôle de bonne idée, que celle de ce « Banquet » écrit par Platon, revisité par une dessinatrice humoristique et engagée, Coco et un habile philosophe, Raphaël Enthoven, à mettre d’urgence entre les mains de tous les élèves de terminale (mais pas que !), non seulement ils réviseront leurs cours de philosophie, mais ils apprendront aussi l’art de la rhétorique et de la joute oratoire.

L’hôte, Agathon, a prié ses amis au banquet qu’il a organisé pour fêter sa victoire aux Grandes Dyonisies (ces fêtes, au début religieuses et dédiées à Dyonisos, organisaient des concours de représentations dramatiques).

À ce banquet doit être fait l’éloge de l’Amour, représenté par le dieu Eros, des invités vont donc prendre la parole pour donner leur point de vue. Tous ces propos sont racontés à Glaucon par Apollodore qui lui-même les tient d’Aristodème… c’est déjà compliqué et c’est là qu’apparaît Raphaël Enthoven, tel un ludion parleur, enveloppé dans sa toge et chaussé de sandales, intervenant pour éclaircir tel ou tel point de philosophie ou d’histoire.

Dans les premières pages du livre, il est au marché, perché au-dessus des étals débordant de nourritures, d’objets (on voit par là que le philosophe se met à distance des biens terrestres), et introduit le texte de Platon en se posant, et en posant au lecteur, LES questions fondamentales sur le thème de l’amour. A un âne qui passe devant lui portant des poteries, Enthoven explique les circonstances du Banquet, l’âne, malicieusement dessiné par Coco, n’y comprend rien…serait-il un pauvre lecteur ignorant (la philosophie) ?

Voilà toute l’astuce de ce texte-image : nous raconter avec un humour et une ironie d’aujourd’hui ce texte vieux de 2500 ans et en montrer toute l’actualité, à cette différence près que le dialogue à cette époque prenait tout son sens (du grec, dialogos : dia «à travers» et logos «la parole»), il ne se transformait pas en opposition systématique mais évoluait, selon l’habileté des débatteurs, au fur et à mesure des arguments. Il faut voir comment Socrate, sous couvert de le féliciter, amène Agathon à renier entièrement le discours qu’il vient de prononcer, échange oratoire que Coco illustre par un match de ping-pong !

Puis Socrate raconte comment, lorsqu’il était jeune, lui-même a été contredit par une femme, Diotime, (la seule autre femme que l’on voit pendant le banquet est une joueuse de flûte renvoyée dès le début et sans ménagements par Agathon). Diotime, donc interrogeait Socrate : L’amour est-il beau ? laid ? pourquoi ce qui n’est pas beau serait-il laid ? n’y a-t-il pas mille nuances ? et autres questionnements et raisonnements auxquels le ludion Enthoven feint de ne rien comprendre lui-même et a recours à sa boîte de « dolipranos». Il en va de même tout au long de la prise de parole des orateurs où dessins et texte sont accompagnés d’évocations de notre monde moderne, ici les cachets d’un célèbre médicament qui soigne les maux de tête, là Godard et la rengaine d’Anna Karina dans « Pierrot le fou » « qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire » ou Gainsbourg, au piano interprétant «La recette de l’amour fou » !

Les six orateurs se succèdent, faisant le lien entre la mythologie et la nature humaine ; il est dit que l’Amour, la Beauté, la Connaissance, la Sagesse sont un apprentissage qui consiste à élever la pensée au-dessus des désirs immédiats, des désirs du corps ; que l’être humain cherche indéfiniment à se renouveler par différents moyens : la procréation pour les femmes et certains hommes ; l’invention, la création pour les autres dont les homosexuels (pratique courante chez les Grecs), qui peuvent tout à loisir s’y consacrer afin d’atteindre eux aussi l’éternité…

C’est un texte jouissif, à tous les sens du terme : par la profondeur, l’habileté des discours illustrés avec truculence et humour par Coco qui s’en donne à cœur joie, nous montrant crûment l’amour sous toutes ses formes et dans tous ses états, de même qu’elle ne se prive pas d’évoquer les beuveries et autres libations évoquées au cours du banquet, et c’est très drôle. On apprend (ou on réapprend !), on réfléchit et on rit…que demander de plus ?


Le Banquet d’après l’œuvre de Platon*
Dessins de Coco**
Texte de Raphaël Enthoven***
Editions Les Échappés****
112 pages, 19,90 €

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

*si on veut revoir son classique on peut le trouver notamment dans une récente traduction et introduction de Luc Brisson, en poche chez GF Flammarion (2016-2,90 euros)
**Coco est dessinatrice humoriste, principalement pour l’hebdomadaire Charlie Hebdo.
***Raphaël Enthoven, philosophe, essayiste, notamment publié chez Gallimard, Fayard et Acte sud.
**** éditions Les échappés, crées en 2008 par les dessinateurs de Charlie Hebdo, « Les échappés sont à l’édition ce que Charlie Hebdo est à la presse : diffuser un esprit critique, humoristique qu’on ne trouve nulle part ailleurs ».

www.lesechappes.com – Diffusion Seuil

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte