« Le Chinois pisse violet »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Fêtes et anniversaires sur fond de guerres militaires et sportives.

Mercredi 10 août

 Depuis des lustres, la Russie et la Turquie entretiennent des relations mouvementées. Tantôt elles sont belliqueuses, tantôt elles deviennent amicales. Nous sommes, après sept mois de tensions qu’un avion russe abattu par les missiles turcs avait créées, dans une phase proche de l’euphorie. Recep Erdogan est allé à Saint-Pétersbourg rencontrer son « cher ami Vladimir ». Celui-ci n’en espérait pas tant. Au moment d’accueillir le sultan, le tsar a dû rire dans sa barbe en pensant aux occidentaux. Comme d’habitude, son rictus ne l’a pas trahi.

                                                                       *

 On me dit que le climat de Pétersbourg me fait du mal et qu’il est très coûteux de vivre à Pétersbourg avec des moyens aussi misérables que les miens. Je sais cela mieux que ces conseillers si sages, si doués d’expérience, mieux que les béni-oui-oui. Eh bien je reste à Pétersbourg, je ne sortirai pas de Pétersbourg ! Si je ne sors pas, c’est que… Ah, mais ça n’a rigoureusement aucune importance que je sorte ou que je sorte pas. » (Fiodor Dostoïevski. Les Carnets du sous-sol, 1864)


                                                                       *

 Le génie humain n’a pas de limites. Plus la lutte contre le dopage dans le sport est rigoureuse, et plus de nouvelles solutions, momentanément exemptes de sanctions, apparaissent dans la plupart des grandes nations. Le nageur français Camille Lacourt, déçu de sa prestation, accuse ses adversaires : « Le Chinois pisse violet ! » Les Jeux de Rio pourraient bien donner naissance quelques paroles et attitudes croustillantes plutôt qu’à des exploits.

Jeudi 11 août

L’Allemagne envisage la déchéance de la nationalité pour les binationaux. Jusqu’à présent, contrairement à ce qui s’est passé en France, aucun intellectuel, aucun défenseur des droits de l’Homme, n’ont encor déclenché de tollé. Á suivre.

 

                                                                        *

  • Tiens ! Daech n’a pas encore revendiqué les épouvantables feux de forêts qui ravagent les environs de Marseille ! …
  • C’est que les flammes, c’est le Diable…
  • Eh bien oui, justement…

 

*

 « Le diable : encore un incompris ! » (Henry de Montherlant. Carnets, éd. Gallimard, 1963)

Vendredi 12 août

 Il se produit souvent d’étranges coïncidences autour de l’œuvre de Stephen Frears. En 1988, il adapte au cinéma Les Liaisons dangereuses, le fameux roman de Choderlos de Laclos (1782) avec le facétieux John Malkovich dans le rôle principal. Quelques mois plus tard, Miloš Forman propose Valmont, une superbe inspiration découlant du même roman qu’aucun anniversaire historique n’aurait pu justifier. Voici que le 16 septembre 2015, Xavier Giannoli occupe l’affiche avec Marguerite, où Catherine Frot est sensationnelle dans le rôle d’une  cantatrice qui chante faux. Le film rafle les Césars principaux. Le 12 avril 2016 paraît dans les salles noires Florence Foster Jenkins, une fresque de Stephen Frears construite sur la biographie de ce personnage à la fois troublant, excentrique, attachant et en fin de compte pathétique, dont il est périlleux de se demander si masquer son ambition était geste scandaleux ou généreux. Son mari, interprété magistralement par Hugh Grant, est à la fois héros philanthrope autant qu’héros « profitard ». Chacun appréciera. Quand on a visionné les deux films, on est inévitablement tenté par la comparaison. Il importe toutefois de garder à l’esprit quelques paramètres très différents. Et d’abord la circonstance de temps et l’unité de lieu. L’histoire de Marguerite se déroule à Paris en 1920 ; celle de Florence à New York en 1944. Or la vie sociale et les faits historiques sont bien entendu déterminants au sein du cadre narratif (la cause des soldats américains partis à la guerre, par exemple,  provoque indirectement l’épilogue chez Frears…) L’Océan Atlantique ne modifie pas la bêtise et l’hypocrisie, l’imbécillité des rombières et de leurs riches chevaliers servants, pas plus que la turpitude du renommé professeur de chant ou la prostitution des journalistes spécialisés. Il y a des salauds à Paris autant qu’à New York, comme il doit y en avoir autant à Poitiers qu’à Phoenix, ou à Besançon qu’à Baltimore… Reste le jeu. Chacune dans son rôle, aussi bien Catherine Frot que Meryl Streep est remarquable ; le personnage les habite et les pare d’authenticité. Mais ici encore, on n’échappe que péniblement à la comparaison : on sent que Meryl Streep se doit d’être fidèle à la véritable Florence Jenkins tandis que Catherine Frot répond à une mise en scène plus libre. D’un côté une adaptation, de l’autre une inspiration. L’analyse est sans fin puisque l’héroïne a existé. Le Valmont de Frears et celui de Forman étaient très éloignés, mais il s’agissait d’un héros de fiction… Si la vie peut être un roman, il ne faut pas la confondre avec le roman d’une vie.

                                                                      *

 « Il est possible que tous les faux pas conduisent à un bien inestimable. » (Wolfgang von Goethe, 1817)

Samedi 13 août

Cuba fête le 90e anniversaire du Commandante Fidel Castro en liesse. On estime à 600 le nombre de tentatives d’assassinat foirées ; sa mort fut annoncée officiellement plus d’une cinquantaine de fois. Mais le vieux guérillero est toujours vivant, et les Cubains ont été conduits dans une justice sociale à nulle autre pareille. La réussite de la Révolution de 1959 ne fut certes pas complète, mais malgré les sabotages incessants et les blocus interminables des Etats-Unis, rien ne put empêcher l’édification d’une société socialiste. Raul Castro lui a succédé au pouvoir dès que Fidel ne fut plus en mesure de l’assumer. Il est âgé de 85 ans. Autant dire que la question de l’avenir de Cuba repose sur les générations suivantes, ce qui  demeure un lourd point d’interrogation. Le rapprochement avec le grand ennemi et l’ouverture au tourisme devraient assurer une stabilité au régime, quelle que soit sa transition voire même sa mutation liée au futur responsable de sa direction. Á observer le moment venu.  Cela dit, celles et ceux qui ne connaissent de Cuba que le farniente feraient bien de se documenter un peu sur l’histoire de ce pays, et de préférence à l’aide d’ouvrages où l’objectivité est de mise, comme par exemple l’étaient les livres des éditions François Maspero qui alimentèrent notre romantisme.

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 « Notre seul orgueil sera d’avoir peut-être été utiles. » (Fidel Castro. Moi, Fidel Castro, entretiens avec Ignacio Ramonet, Un monde nouveau, éd. Fayard, 2007)

Dimanche 14 août

Ce qui semble capital dans la reprise de Minbej, cette ville syrienne au nom jusqu’ici inconnu, contrôlées naguère par les troupes de l’État islamique, c’est que l’opération a permis de libérer des centaines de civils utilisés comme boucliers humains par Daesh. Ces pauvres gens vont pouvoir témoigner à propos de l’enfer où on les détenait. Certes, on ne se fait pas d’illusions quant aux horreurs qu’ils ont dû voir et subir mais la diffusion de leurs paroles dans le monde entier devrait éclairer une fois de plus la description du Mal absolu, un élément qui a toujours accompagné l’évolution de la gent humaine.

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« On ne peut vaincre le Mal que par un autre mal. » (Jean-Paul Sartre. Les Mouches, 1943)

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Lorsque Eddy Merckx remportait la majorité des courses cyclistes du premier au dernier jour de l’an et qu’il soulevait l’intérêt de toute la Belgique, rappeler, même timidement, dans un bistrot, qu’il n’y avait pas de surhomme et souligner que le frère du champion était pharmacien, c’était risquer de se faire lyncher ou en tout cas, être mis en quarantaine. Il n’y a pas de surhomme. Cette affirmation, qui planait sur les victoires de Lance Armstrong au Tour de France, revient à l’esprit lorsque l’on s’émerveille des 23 médailles d’or que le nageur américain Michael Phelps collectionna tout au long des Jeux auxquels il participa. Ce 23e trophée qu’il vient d’empocher à Rio sera pour lui, d’après ses dires, le dernier. Il est désormais devenu le détenteur absolu du plus grand nombre de médailles d’or, toutes disciplines sportives confondues. Évoquer le dopage à son sujet serait verser dans le procès d’intention. Pour l’instant. 

Lundi 15 août

 Jour de l’Assomption.

 Chaque année en ce jour de fêtes dans le monde chrétien, la même question mérite d’être posée : pourquoi n’est-il jamais fait mention du destin de Marie dans le Nouveau Testament ?  L’Église n’a pas de réponse. Est-ce parce qu’elle n’était qu’une femme ?  Ou même, qu’elle n’était qu’un ventre ? Tous les textes la concernant sont donc apocryphes ou relevant de légendes. Ce n’est qu’en 373 que Saint-Ephrem envisagea sa fin de vie et au Concile d’Éphèse en 431 qu’elle fut reconnue « Theotokos », c’est-à-dire « mère de Dieu », et encore ! Ce fut  sous la pression de la ferveur populaire !...

 De Pie en Pie, la question devenait lancinante. Il fallut attendre le douzième du nom pour savoir, par sa déclaration du 1er novembre 1950, ce qu’il advint de Maman : « Nous affirmons, nous déclarons et nous définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu Marie, toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. » Ouf ! Comme a dû le dire son fils : nous voici fixés !

 Et rassurés. Songeons en effet que si Marie n’avait pas accompli le grand voyage, il n’y aurait point de jour férié au mois d’août !

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 « O Marie ! Qui avez conçu sans pécher, faites-moi la grâce de pécher sans concevoir… » (Jean-Louis-Auguste Commerson. Pensées d’un emballeur pour faire suite aux ‘Maximes’ de La Rochefoucauld, 1851)

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