« Le droit de vivre en paix »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 5 septembre

 La musique populaire est devenue outil de contestation en Biélorussie. Les chanteurs et chanteuses les plus illustres, issus notamment de l’opéra en grève, entonnent des chants dans la rue, devant des établissements qui abritent des institutions officielles. Ils sont entourés ça et là de quelques dizaines de citoyens en colère. Depuis un mois, les manifestations ne faiblissent pas ; mais rien ne semble indiquer pour l’instant une quelconque naissance d’insurrection qui pourrait renverser Loukachenko. Et pourtant, il y a révolution. Mais jusqu’à présent, dans les esprits seulement.

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 Les compagnies aériennes appellent les États en demandant de l’aide. Elles ne sont – et ne seront – pas les seules. Comment oublier ce principe du néo-libéralisme naissant à la fin du siècle dernier, répéter cette phrase qui a tellement augmenté les inégalités ? « L’État n’est pas la solution, c’est le problème » ? ll fallut qu’un microbe inconnu et invisible bloque toute la planète pour démontrer la chimère, la faiblesse de ce précepte. Lionel Jospin voit la fin du cycle néo-libéral dans son dernier livre, « Un temps troublé » (éd. du Seuil). Il confie aussi que Macron « l’inquiète ». S’il est un fait que le libéralisme est à un tournant pas simple à négocier dans un monde où la sécurité sanitaire deviendra la priorité absolue, l’inquiétude qui l’habite est compréhensible. Car il s’agit bien d’une sécurité sanitaire pour tous évidemment. Pour tous.

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Il n’y a rien d’humain à dénicher dans l’accord conclu entre les Émirats arabes unis et Israël. Les affaires, sans plus. Seul le besoin de profit a pu motiver le rapprochement. En quelques jours, des contrats ne cessent d’être conclus. Les industries du tourisme prospèrent et démontrent que l’alliance est avant tout lucrative. C’est ainsi que Netanyahou conçoit un accord de paix. L’heure n’est pas encore à fraterniser sur des valeurs. On verra bien, quand la belle évolution financière faillira.

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 Savez-vous que la forêt amazonienne est toujours en train de brûler ?

Dimanche 6 septembre  

 De l’amour et du bonheur. Hier soir, le JT de la RTBF fut presque intégralement consacré à un hommage qu’il convenait de rendre à la très Bruxelloise Annie Cordy, décédée à 92 ans. Pas de statistique Covid, pas d’échos monotones en matière de négociation gouvernementale, pas de hangar en flammes ou de chien écrasé, juste une petite trumperie qui s’harmonisait bien avec les fantaisies frivoles de la défunte, qui avait déclaré un jour : « Je suis tellement occupée que quand je serai morte, je ne m’en rendrai même pas compte… » Á Bruxelles, on appelle cela de la zwanze…    

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 Dans le JDD, Bernard Pivot présente le dernier livre de Julian Barnes (« L’Homme rouge », éd. Mercure de France) et révèle le nom du héros. Il s’agit de Samuel Pozzi, l’un des premiers amants de Sarah Bernhardt. Il note qu’il eut une fille, amoureuse de Paul Valéry. En effet, dans son livre « Un été avec Paul Valéry » (éd. Les Équateurs), Régis Debray consacre tour un chapitre à cette dame (qu’il nomme « La Grande Catherine ») qui fut aussi la mère de Claude Bourdet (« un juste parmi les justes »), l’un des fondateurs du Nouvel Observateur. Quelle grande famille cette littérature française !

Lundi 7 septembre

 Il y a du nouveau à Minsk ! Les étudiants ont aussi débrayé. Ils défilent, contestent et revendiquent. Ce pourrait être un élément décisif.

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 Élisabeth Badinter ne perd rien de sa fougue avec l’âge. Elle combat ce qu’elle nomme « néo-féminisme guerrier ». Le plus navrant, c’est que ces guerrières-là se réclament de l’extrême gauche en utilisant des slogans propres à l’extrême droite. Déroutant, désolant, et stupide. 

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« Police », d’Anne Fontaine, est un film sur l’obéissance. Adapté du roman éponyme d’Hugo Boris, (éd. Grasset), il narre un problème de conscience qui taraude trois policiers chargés d’aller conduire un réfugié à l’aéroport afin qu’il rentre dans son pays d’origine, le Tadjikistan. Si l’on est naturellement attiré par les jeux de Virginie Efira et d’Omar Sy, on aurait tort de négliger celui du troisième, Grégory Gaudebois, plus vrai que nature. Comme il devait être le plus flic des trois, Anne Fontaine lui avait délégué un coach. L’acteur a bien retenu ses leçons. 

Mardi 8 septembre

 L’économie britannique va mal. Le Brexit en est la cause mais le Covid est là, bienvenu, pour que Boris Johnson transforme le virus en bouc émissaire. Le diable du 10, Downing street n’a qu’un seul guide, Winston Churchill. C’est donc au vieux lion qu’il faut faire appel si l’on veut le contrer. En lui transmettant par exemple cette citation-ci : « Les hommes trébuchent souvent sur la vérité, mais la plupart se relèvent et passent leur chemin comme si de rien n’était. »

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 Hier, c’était jour de repos sur le Tour de France. On en profita pour procéder à une nouvelle opération générale de tests, la troisième depuis le départ. L’anxiété planait sur toutes les équipes ce matin, au moment de connaître les résultats, avant le départ de la 10e étape. Tout est bien ! Tout le monde est négatif ! Sauf un : le directeur, Christian Prudhomme. Les gauchistes n’y sont pour rien. Au demeurant, il est interdit de rire.

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  Faire entrer Rimbaud et Verlaine ensemble au Panthéon, voilà un sujet qui lance un débat inattendu mais finalement plus intéressant à creuser que toutes les aigreurs imbéciles qui clouent au pilori des supposés violeurs que la justice n’a jamais condamnés ou certains détenteurs de fâcheuses manières, non-violents de nature, qui auraient mal interprété le mot consentement. Depuis les fleuves que l’un descendait, impassible, jusqu’aux toits de la prison de Mons où l’autre imaginait le ciel, il y a de quoi débattre. On voit bien les arguments des pour comme on devine bien aussi ceux des contre.  Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, a déjà émis un avis favorable et circonstancié. Quant à Emmanuel Macron, il va compter les points afin d’évaluer laquelle des deux positions lui rapportera le plus de pourcentage en popularité. La vigueur germanopratine n’a pas dit son dernier bobard.

Mercredi 9 septembre

 Et l’économie ? Pour le moment, c’est toujours le calme plat. Ni gouffre ni rebond. La cause en est simple : le virus est toujours là. Mais on commence à s’habituer à vivre en sa présence ; on s’adapte. C’est peut-être ça, le monde d’après…

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 Elles étaient trois jeunes femmes à défier le pouvoir autoritaire d’Alexander Loukachenko, maître de la Biélorussie. Svetlana Tikhanovskaïa trouva refuge en Lituanie tandis que son mari est emprisonné dans son pays ; Veronika Tsepkalo fugua en Pologne. Quant à Maria Kolesnikova, elle décida de rester dans sa patrie. Á 38 ans, elle éclate d’ardeur et de charme. Ses courts cheveux blonds au-dessus de lèvres d’un rouge vif donnent à ses gestes dynamiques et à sa voix franche et altière un élan qui appelle à la mobilisation spontanée. Á côté d’elle, l’allure du président totalitaire paraît sortir d’un vieux grenier. Mais c’est lui qui, pour l’heure, détient les clefs de la maison. Sa police a voulu conduire Maria en Ukraine. Celle-ci a déchiré son passeport afin d’être refoulée à la frontière. Elle a du cran la môme Maria ! Évidemment, après une pareille chiquenaude, elle a disparu des radars. On ignore ce qu’elle est devenue. Quant au vieux fourbe Loukachenko, il a sorti la formule-choc pour sensibiliser Poutine. « Si la Biélorussie tombe, dit-il, la prochaine sera la Russie ». Pas faux.

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 Le plus grand camp de réfugiés situé sur le territoire de l’Union européenne, à Lesbos, est presque totalement détruit par un incendie que l’on soupçonne volontaire. On sentait depuis quelques jours un ras-le-bol de plus en plus affirmé chez des migrants soumis aux mesures liées à la crise sanitaire alors qu’ils sont contraints de vivre les uns sur les autres. Les responsables d’ONG signalent qu’il n’y a pas de victimes mais que des milliers de migrants sont désormais dépourvus de toits de fortune, transformés en sans-abri à l’approche de la mauvaise saison. Un pauvre désespéré capte le micro qu’un journaliste lui tend : « J’ai tout perdu » crie-t-il. « Tout perdu » ! L’expression émeut : que lui restait-il donc à perdre ? 

Jeudi 10 septembre

Un gigantesque incendie dévaste une partie du port de Beyrouth. Comme si cela ne suffisait pas…

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  Superficiel, un peu sommaire, un peu futile, « Le Bonheur des uns… » de Daniel Cohen est un film qui démontre combien la jalousie sécrète la bêtise. Deux couples d’amis ordinaires vont se déchiqueter parce qu’une des femmes (Bérénice Bejo, parfaite dans son rôle) atteindra le succès littéraire. Son mari (Vincent Cassel, juste bien) est largué tandis que l’autre couple (Florence Foresti, qui ne doit pas ambitionner de continuer le cinéma, et François Damiens, toujours un peu comme si et comme ça…) va jouer les Bouvard et Pécuchet pour être à la hauteur.  Et justement, « La bêtise, disait Flaubert, c’est de conclure ».  

Vendredi 11 septembre

 Une journée aux deux grandes références dans l’histoire contemporaine. New York 2001, Santiago du Chili, 1973. Les souvenirs ne se sont pas éteints. Ils surnagent encore dans les esprits et souvent dans les spectres à contre-jour du quotidien. Ainsi, l’on a pu vérifier que le terrorisme islamiste est resté bien ardent après les tours de Manhattan et l’échancrure du Pentagone. Il a tué en 1995 à Paris, le 7 janvier à la rédaction de Charlie-Hebdo, le 13 novembre au Bataclan. Le procès des assassins de Charlie-Hebdo se tient depuis le 2 septembre. Il durera jusqu’au 10 novembre. Grâce à la loi Badinter de juillet 1985, toutes les audiences seront filmées dans leur intégralité, 250 heures versées immédiatement aux Archives nationales après le verdict. Il s’agit de témoigner pour l’Histoire. Ce fut déjà le cas pour les procès des bouchers nazis, Barbie (1987), et de leur complice français Touvier (1994) et Papon (1998).

 Le Figaro publie un dossier intitulé « Comment les islamistes ont noyauté le service public ». Ce titre est un peu exagéré mais il démontre si besoin est que le ventre est toujours fécond.

 Quant aux émules de Pinochet, ils la jouent beaucoup plus douce. Près de cinq décennies ont passé. Plus question de pousser les tanks sur le palais ou le parlement. Plus besoin de boucler la radio, la télévision et de diffuser de la musique militaire. Désormais, ils ont apprivoisé le suffrage universel et ils gouvernent avec parfois des airs de pépère. Á Moscou, à Ankara, à Rio de Janeiro, à Budapest même, ils se complaisent à dominer démocratiquement, et c’est presque malgré eux qu’ils se voient parfois contraints de soutenir un sanguinaire, comme celui de Damas par exemple. Les temps ont changé. Moins d’années se sont écoulées entre les beaux jours de Hitler et le putsch de Pinochet qu’entre ce putsch et les heures présentes.

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 Dans quelques jours, un disque paraîtra dans les bacs, rassemblant les chansons de Victor Jara, ce jeune artiste brillant qui mourut sous la torture dans un stade de Santiago qui porte aujourd’hui son nom, où il avait organisé quelques mois plus tôt une grande fête populaire pour honorer le Prix Nobel de Littérature attribué à Pablo Neruda. Les « Canto libre » referont surface et le « Venceremos » embaumera le romantisme de la gauche.

Dans ses mémoires, Henry Kissinger raconte comment le pouvoir étatsunien a fomenté le coup d’État pour éliminer Salvador Allende. Certains trouveront stupide ou agaçant de rappeler qu’aucun démocrate chilien, aucun démocrate d’aucun pays ne participèrent aux préparatifs et aux opérations suicidaires qui griffèrent et endeuillèrent le pays de Henry Kissinger. 

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