Le grand jeu

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le
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Adil ignore pourquoi la guerre éclate chez lui mais il sait que s’il ne fuit pas, sa famille périra. Direction l’Occident par la mer et la route avec l’espoir de trouver la paix. Adil ignore aussi pourquoi ils sont arrivés dans cette ville inconnue où il ne possède ni toit, ni argent. Il faudra s’organiser pour survivre.

Adil a récupéré trois sacs de couchage qui appartenaient à des SDF sur le départ et des palettes en bois pour faire matelas. Rien de confortable mais les enfants dorment au sec. Ils se sont installés devant un supermarché en répétant aux gosses de faire de la place pour laisser passer les clients qui poussent des caddies pleins à craquer. Surtout se faire minuscule et ne pas déranger. Même Maral qui a l’habitude de n’en faire qu’à sa tête obéit à son père et laisse la place aux clients et aux caddies. Ils se font minuscules depuis leur arrivée en Europe et pourtant, tout le monde les observe comme s’ils étaient de gigantesques bêtes curieuses. Quand ils se réveillent le matin, des passants les regardent à moins d’un mètre en buvant du café et en mangeant quelque chose. Les enfants ont faim mais personne ne songe à partager son croissant. Les passants qui les observent semblent se demander comment des humains peuvent vivre dans de telles conditions. Personne n’a de réponse. Survivre, pense Adil. Un supermarché est une bonne localisation. Les clients qui viennent de dépenser des centaines d’euros pour s’acheter à bouffer sont parfois prêts à laisser quelques centimes dans les boîtes de conserve placées devant les gosses maigres et noirs de crasse. Chacun lutte avec ses armes. En face du supermarché, se trouve un petit parc dont les buissons serviront à cacher leur intimité.

Adil n’a pas vu arriver les hommes en costume cravate mais soudain, ils sont là. Ils veulent de l’argent : « Vous occupez le devant d’un immeuble qui appartient à mon client. Son comptable a établi le loyer que vous devez payer pour occuper les lieux en tenant compte du loyer de la maison et de l’espace que vous occupez avec votre famille. La façade fait douze mètres de long. Le bien est situé à quelques mètres de la Grand place avec vue sur la Bourse. C’est une situation idéale en plein centre. Voici votre contrat. Pour rester un mois votre loyer s’élève à 2.245 euros. L’homme a probablement déclenché un mécanisme en formulant cette phrase parce qu'un vacarme épouvantable sefait entendre au loin. Un bruit terrible qui n’annonce rien de bon et qui se rapproche. Adil prend le contrat en main mais il est analphabète et il est tôt. Sa boîte de conserve ne contient que quarante-six centimes d’euros. L’homme en noir s’empare de la monnaie en déclarant qu’il s’agit d’une avance sur loyer. Devant cette injustice, Adil explose de colère et couvre l’inconnu d’insultes mais son interlocuteur feint de ne rien comprendre et déclare qu’il va appeler les flics. Qu’est-ce qu’ils vont faire les flics ? Le jeter à la rue ? Il y est déjà.

Au moment où l’inconnu s’éloigne, le bruit entendu se matérialise en un immense cube de béton qui dévale la rue et vient se fracasser contre la façade de La Bourse, un immeuble qui ressemble à un temple ancien dédié à un dieu auquel personne ne croit plus, pense Adil. Sous le choc, le bâtiment tremble sur ses fondations et commence à s’écrouler.

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Il doit y avoir des victimes à l’intérieur parce que les hommes debout devant Adil sont pris de panique et s’enfuient en hurlant : « La Bourse s’effondre ! La Bourse s’effondre !

De la gauche, d’autres cubes de béton heurtent le bâtiment qui abrite le supermarché. Le choc est très violent. Des pans de la façade de l’immeuble tombent sur le trottoir, à quelques mètres des enfants. Une brique blesse Maral à la jambe. Vite, il faut fuir ! Les enfants roulent leur sac de couchage. Adil s’occupe des palettes, une au bout de chaque bras, sa femme emporte Maral et ils s’en vont. Mais où fuir ? Les cubes de béton roulent partout dans la ville en faisant de terribles dégâts. Ils fuient à travers les ruines de la ville et puis, par instinct, Adil décide de suivre la foule qui descend s’abriter dans le métro. La station de métro est noire de monde même si plus aucune rame ne circule. Adil pose les palettes sur le sol, couche ses enfants et dépose une boîte de conserve devant chacun d’eux. Il vient à peine d’installer tout le monde que les hommes en costume cravate s’approchent. Adil vérifie qu’il n’y a rien à voler dans sa boîte de conserve. Une fois mais pas deux, se dit-il. Qu’est-ce qu’ils veulent encore ces gens là ? Pas question de loyer ni de contrat cette fois. Ils se couchent sur le sol et posent une sébille devant eux. Dans la station de métro, chacun tente de survivre alors que les dés gigantesques roulent au-dessus de leur tête.

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