Le journalisme tend la main aux citoyens

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Ce dessin de presse illustre le lancement de la campagne d’urgence écologique déclinée dans une charte pour les journalistes. Dessin © Juan Mendez/Reporterre

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Constructif, participatif, collaboratif, citoyen… Le journalisme d’aujourd’hui tente de retrouver la confiance des citoyens et de faire participer ses publics au perfectionnement de nos démocraties.

Il est vrai que le développement du numérique a, paradoxalement, éloigné les journalistes de ses publics : il faut aller tellement plus vite qu’il est donc plus simple de rester derrière son ordinateur et de diffuser les nouvelles, les images, les vidéos dans les sites de médias et surtout dans les divers réseaux sociaux qui se sont développés à une vitesse fulgurante ces dernières années. Résultat : une incroyable diversité d’infos encombre les réseaux et les cerveaux des gens, qui ne peuvent plus se baser sur le tri effectué par les professionnels en qui ils avaient confiance et dont ils partageaient la culture, les codes de déchiffrage de la société. De plus, les contextes politiques de certains pays ont favorisé la diffusion de fausses nouvelles, de propagandes diverses qui ne sont pas toujours contrecarrées par des journalistes car ils ont été privés de leur indépendance. « La propagande cannibalise le journalisme », déclarait Dimitry Mouratov, ce journaliste russe qui a dû fuir son pays et a reçu le Prix Nobel de la paix 2022 qu’il partage avec la tout aussi courageuse journaliste philippine Maria Ressa.

Soyons constructifs, participons !

Comment retrouver la confiance perdue ? Lors des Assises européennes du journalisme qui se sont déroulées à Bruxelles du 23 au 25 novembre et dont nous avons parlé la semaine passée, fut longuement évoqué un « journalisme constructif » qui vise à raconter le monde d’une autre manière, à la lumière d’initiatives porteuses, de solutions mises en œuvre. Le débat était animé par la Belge Yasmine Boudaka qui a créé NEW6S ( https://new6s.be/a-propos/le-journalisme-constructif/)

Il s’agit de sortir du système des « breaking news » et de favoriser l’investigation, les échanges constructifs, les débats qui permettent une véritable analyse de la complexité et qui laissent entrevoir les solutions possibles à nos problèmes de société. En bref : « offrir une sortie de secours pour le lecteur », un « journalisme à deux yeux », le bon et le mauvais, qui décrit les nuances et pas seulement les mauvaises nouvelles, qui aide à comprendre l’autre sinon il sera impossible de trouver une solution (et l’on faisait référence à la guerre de la Russie contre l’Ukraine), un journalisme qui rend service au public… Juste du bon journalisme, en fait, pourrait-on conclure.

Comme l’est le « journalisme participatif », où l’on considère que « tout citoyen peut être journaliste », « soyez la presse vous-mêmes », une forme participative qui est illustrée en Belgique par le magazine Imagine Demain le monde et dans d’autres pays comme l’Estonie où un médiateur est en quelque sorte les yeux et les oreilles de l’audience. Il rétablit ensuite le contact entre les organes de presse et le public et entend ainsi restaurer la confiance entre les deux.

Une intéressante expérience portugaise nous est proposée par Divergente, une presse numérique dont le narratif se base sur les questions de citoyenneté et de droits humains. Le modèle est celui du temps long puisqu’une enquête peut durer plusieurs mois voire plus d’un an. Pendant ce temps, le public d’abonnés peut dialoguer avec les journalistes et leurs sources lors de débats. Une formule qui a séduit plus de 2.000 lecteurs.

Quant à Politico Global, cette expérience espagnole consiste à contacter son public par le biais d’e-mails, de messages sur Twitter, l’envoi d’une newsletter dans laquelle une question différente intéressant son public est traitée chaque semaine.

Sans oublier l’urgence climatique

L’expérience la plus aboutie de ce panel est celle d’Imagine Demain le Monde (Belgique), qui a consulté son public sous forme de questionnaires, de réunions de travail, et la constitution d’une équipe de « pisteurs » afin d’élaborer un « manifeste » à côté de la charte éditoriale, une sorte de « contrat éditorial » avec les lecteurs où l’on met en avant le principe d’éco-responsabilité. On rejoint ainsi le « journalisme constructif » explique le rédac-chef Hugues Dorzée. Ainsi, en 2021, ils ont réalisé un numéro spécial sur la jeunesse confinée par la pandémie de la Covid, avec des panels de jeunes venant d’horizons très différents, des réunions de rédaction communes et le concours d’écoles de journalisme ainsi que de photographes. Le magazine adhère aussi à la nouvelle « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique » afin de se « réconcilier avec un public dégoûté par l’infobésité trop anxiogène et établir ainsi une nouvelle relation avec les citoyens. », poursuit Hugues Dorzée. « Car le journalisme n’a pas de sens si les gens n’ont pas confiance. La presse mainstream est trop le reflet des élites, du pouvoir, des lobbies. Il nous faut réduire la distance entre les journalistes et le public, rencontrer les différentes communautés qui vivent dans notre société. », conclut-il.

https://www.imagine-magazine.com/notre-projet/

https://reporterre.net/Journalistes-et-climat-une-Charte-pour-etre-a-la-hauteur-de-l-urgence

Un autre panel a détaillé au cours de ces assises les moyens mis en œuvre par des associations de journalistes et d’experts afin d’aider les médias à mieux informer la population sur l’urgence climatique, sur la transformation de l’économie de nos sociétés vers le durable et l’abandon des énergies fossiles. Les Pays-Bas connaissent un « Journalism network for the clean energy wire » (CLEW), à côté d’un German and Swiss networks of journalists for climate protection », auquel il faut ajouter le « journalism training for the Bonn Institute ». Toutes méthodes excellent pour à la fois aider les journalistes à trouver les informations les plus fiables et les expliquer à leurs publics, inciter les lecteurs aux lectures et débats « constructifs », rapprocher les experts des citoyens, et apporter plus de cohérence dans l’information au sein des mêmes médias dans les diverses rubriques. On peut espérer que des directions de médias renonceront à certaines publicités particulièrement choquantes…

Et toujours : la déontologie

Le manque de confiance des citoyens européens envers la presse est très variable de pays à pays. Selon les études sur l’opinion à ce sujet, la Belgique ne s’en tire pas trop mal. En pleine période de Covid, on a constaté que les publics se tournaient plus vers les médias de service public comme la RTBF et les journaux de qualité comme Le Soir et La Libre. Concernant la partie francophone du pays, le travail depuis près de 12 ans du Conseil de déontologie journalistique a renforcé le débat avec les citoyens qui envoient de nombreuses plaintes et participent à l’analyse du problème ou acceptent un processus de médiation avec le média ou le journaliste concerné. Un des rôles importants des Conseils de Presse et Conseils de déontologie journalistiques en Europe est aussi d’aider le public à déterminer la nature des médias, s’ils sont indépendants, s’ils sont liés à des partis politiques ou des groupes d’affaires, s’il s’agit de journalisme ou de propagande… Ils aident aussi à distinguer ce qui est du journalisme ou de la communication (relations publiques, publicités) dans les supports nouveaux comme les blogs.

Concernant la propagande de guerre, très d’actualité malheureusement aujourd’hui, un des intervenants à ces assises a fort utilement renvoyé le public au livre « Principes élémentaires de propagande de guerre » écrit par Anne Morelli, historienne à l’ULB et spécialiste de la critique historique appliquée aux médias modernes. A conseiller à tous les étudiants en journalisme !

https://www.lecdj.be/fr/projets/european-press-councils/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Principes_%C3%A9l%C3%A9mentaires_de_propagande_de_guerre

  •   Assises européennes du Journalisme :

https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/quelle-est-la-libert%C3%A9-du-journalisme

  • A propos de propagande :

https://www.entreleslignes.be/humeurs/par-th%C3%A9ophraste/p-comme-presse-et-progagande

  • A propos des Prix Nobel de la Paix :
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