Le Sahara Occidental dans un tourbillon juridico-diplomatique

Zooms curieux

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Les écoliers visitent le sanctuaire du martyr au Parc de la Victoire : ainsi se perpétue la mémoire de la lutte des Algériens pour leur indépendance. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Sous un soleil vibrant, Alger se pomponne en prévision de l’arrivée des chefs d’Etats invités au Sommet de la Ligue Arabe prévu début novembre. Ils seront 17 sur 22 ligueurs. L’événement est donc de grande importance pour cette partie du monde et pour nous, Européens, tourmentés par une redéfinition profonde de nos politiques économiques bousculées par la pandémie du corona virus et par la guerre en Ukraine. Gaz et pétrole n’en sont qu’une partie. Il y a, sous-jacent, un enjeu plus important : la redéfinition des prépondérances internationales à savoir l’émergence d’un monde multipolaire constitué par les zones d’influence étatsunienne, chinoise, russe, européenne, africaine, latino-américaine.

Dans ce contexte, la question du commerce des ressources énergétiques (pétrole, gaz) et des matériaux essentiels pour fabriquer les nouvelles technologies de l’information et de la communication (terres rares, etc.), se trouve au premier plan.  Le continent africain et le monde arabe développent leurs propres stratégies face aux anciens pays colonisateurs. La France s’est trouvée ainsi éjectée de sa « françafrique » (Mali, Tchad…) qu’elle croyait acquise. Les pays arabes producteurs de pétrole, réunis au sein de l’OPEP avec la Russie, se permettent un camouflet au président des Etats-Unis lui-même en réduisant leur production afin de maintenir des prix élevés, au grand dam des Occidentaux, obligés de chercher les faveurs des pays jadis méprisés comme l’Algérie.

Ce pays se montre de plus en plus comme un pivot de la nouvelle politique mondiale, médiateur entre puissances régionales, très actif au sein de l’Union Africaine dont il aura bientôt la présidence et qui pourra aussi se faire entendre au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies.

C’est ainsi que l’Algérie a, tout récemment, réuni à Alger les diverses factions palestiniennes afin qu’elles se parlent et adoptent une stratégie commune face à l’occupant israélien dont les exactions sont de plus en plus sanglantes (plus de 200 morts de civils, y compris des enfants) assassinés cette année, dans la plupart des cas par des colons juifs extrémistes. Ce sont de scandaleuses violations des droits humains les plus élémentaires qui s’ajoutent aux bombardements effroyablement meurtriers par l’armée israélienne, qui ont causé des milliers de morts depuis des années dans la Bande de Gaza où la population palestinienne est prisonnière d’un blocus inhumain. Les Nations Unies, les Etats-Unis, l’Europe laissent faire, ferment les yeux, ne prennent aucune sanction contre les crimes d’Israël, au contraire de la très sévère réaction à la guerre menée par la Russie en Ukraine à la suite de l’extension de l’OTAN à ses frontières.

Le monde musulman (dont les pays arabes) voit cela comme un affront permanent, comme une suite du processus colonial d’antan qui a fait la richesse des pays occidentaux au détriment du développement du reste du monde. L’on observe ainsi l’émergence d’un nouvel non-alignement aux politiques occidentales. Avec quelques couacs comme l’allégeance du Maroc à l’ancien président étatsunien Donald Trump qui a échangé la propriété du Sahara Occidental, territoire non autonome reconnu par les Nations Unies, contre un accord avec Israël (dans le cadre des « accords d’Abraham » signés avec les Emirats Arabes Unis et Bahrein en 2020 et élargis ensuite au Soudan et au Maroc). L’actuel président des Etats-Unis, Joe Biden, n’a toujours pas confirmé ou infirmé ces accords.

Nul doute que les conséquences de ces « Accords d’Abraham » seront discutées lors du prochain sommet de la Ligue Arabe. En effet, les pratiques répressives meurtrières d’Israël sur les Palestiniens indignent les populations, de même que l’occupation et la répression du Maroc sur le peuple du Sahara Occidental. Ce peuple étant représenté au sein de l’Union Africaine par la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), un Etat reconnu à ce niveau-là mais toujours pas au niveau de l’ONU. Et pour cause : la France qui protège le Maroc avec lequel elle partage beaucoup d’intérêts économiques et stratégiques s’oppose toujours fermement à l’indépendance du Sahara Occidental. Ce petit pays reste donc la dernière colonie d’Afrique, il n’a pas été « décolonisé » par l’Espagne qui l’a simplement transféré au Maroc, au mépris du droit international et notamment du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à s’autodéterminer. La population espagnole, largement favorable à l’indépendance du peuple sahraoui, a vu avec stupéfaction son Premier ministre Pedro Sanchez reconnaître que le statut d’autonomie au sein du royaume du Maroc est une bonne solution. La réaction algérienne a été ferme : crise diplomatique et réduction des accords gaziers avec l’Espagne. De retour d'une visite au Maroc, la nouvelle ministre des Affaires étrangères belges, Hadja Lahbib, semble commettre la même erreur que Pedro Sanchez.

Quant à l’Union Européenne, elle se tait dans toutes les langues, attendant l’arrêt définitif de la Cour de Justice de l’Union européenne qui condamne l’occupation marocaine et l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental et reconnaît les Sahraouis comme un peuple représenté politiquement par le Front Polisario. Déjà, la Cour de Justice pour les droits humains et des peuples de l'Union africaine a prononcé un arrêt très clair condamnant le Maroc pour son occupation illégale du Sahara Occidental. Notre ministre Hadja Lahbib en a-t-elle pris connaissance?

Cette avancée juridique donne aussi espoir aux défenseurs du peuple palestinien puisqu’il y a de nombreux points de ressemblance entre ces colonisations illégales. L’architecture juridique mondiale élaborée au sein des Nations Unies est la seule protection des peuples. Si elle n’est pas appliquée, la diplomatie sera évincée par la raison du plus fort - et donc par les guerres. Ce sera un échec de plus dans l’histoire de l’humanité.   

 Sur les boulevards d’Alger, flottent les drapeaux des pays arabes.  Parmi eux, ceux du Maroc, de la RASD et de la Palestine que l’Algérie a été le premier Etat à reconnaître en novembre 1988.  L’Algérie annonce qu’elle est et restera fidèle à ses engagements, à son soutien à la lutte des peuples contre les colonisations. Ses interlocuteurs de la Ligue Arabe dépasseront ils leurs seuls intérêts économiques et géopolitiques ?

En savoir plus:

 https://grip.org/les-accords-dabraham-tenants-et-aboutissants-dune-nouvelle-entente-au-moyen-orient/

https://orientxxi.info/magazine/sahara-occidental-l-espagne-s-aligne-sur-le-maroc-et-se-fache-avec-l-algerie,5515

https://comitebelgesaharaoccidental.wordpress.com/

https://www.lalibre.be/international/afrique/2022/10/21/sahara-occidental-pour-la-belgique-le-plan-dautonomie-du-maroc-est-une-bonne-base-2LKWFRPEGZAEVKOIVQNFO7FXJQ/

Déjà paru sur ELL:

https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/sahara-occidental-les-armes-ou-la-diplomatie

https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/sahara-occidental-%E2%80%93-maroc-une-victoire-du-droit-international

https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/surtout-ne-parlez-pas-du-sahara-occidental

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