Le squat 123 explore les interstices urbains

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Ce" Veilleur", créé à partir de débris, porte, quelque part en Espagne, un regard sur un monde différent où l'humanité serait plus respectée que la volonté de consommer prônée par les différentes formes du pouvoir. Photo © Marcel Leroy

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La rencontre s'est déroulée à Monceau, à la porte ouest de Charleroi, dans une salle du château qu'entoure un vaste parc dont l'arboretrum est un paradis un peu perdu. Le relais social avait choisi cet ailleurs enchâssé dans le territoire urbain, situé non loin du Rockerill et de l'espace citoyen de Marchienne, pour échanger sur les "entre-deux de l'espace urbain". Soit pour évoquer notamment la question des squats, en tant que témoins d'une urgence sociale, en tenant compte du contexte de l'époque, des citoyens et des lieux. Geneviève Lacroix et son équipe ont réuni quatre témoins engagés. Ils se sont exprimés en présence d'un public de travailleurs sociaux, dont des éducateurs de rue, ces acteurs de l'ombre au rôle majeur pour ceux dont le lien avec le système s'est distendu. Voici, résumés à grands traits, leurs points de vue. 

Clara Guillaud vient de Paris, où elle travaille au jour le jour pour accompagner ou étudier les pratiques culurelles qui s'enracinent dans les interstices urbains, soit ces espaces vides, délaissés, dépassés, terrains vagues, immeubles disqualifiés. Les anciennes usines reconverties en centres d'art, comme pousse l'herbe sauvage entre les pavés, déterminent une manière autre de penser la ville, de repenser ces lieux marginalisés. Comme le sont des humains, aussi. Du coup, ces lieux-là s'avèrent plus libres que certains, corsetés dans les conventions officielles. Dans ces lieux on réinvente la communauté, des microdynamiques urbaines naissent. Uniques. Qui n'ont qu'un temps. Ces expériences sont locales et participatives. Clara a parlé du 6b, un vaste immeuble de Saint-Denis, dans le 93; d'une place du 10e arrondissement de Paris redevenue conviviale en accord avec les riverains et d'un ancien musée requalifié pour héberger des gens qui avaient échoué dans la rue.

Le bouwmeester de Charleroi, Giorgio Maillis (soit l'architecte-urbaniste qui coordonne le déploiement de la ville), est engagé dans une mission de quelques années pour accompagner la future cartographie de Charleroi. Avec les crises successives (industrielle, affaire Dutroux, politique), le centre-ville a non seulement perdu la moitié de ses habitants (20.000 dans l'intra-muros en 1950, 10.000 aujourd'hui, pour une population totale de 204.000 âmes). Des centres commerciaux ont poussé à l'extérieur du coeur de la cité, les contribuables les plus nantis sont partis en périphérie, alors que la "métropole sambrienne" s'étiolait tout en hébergeant les grands services au public. D'où la nécessité de tracer un plan d'avenir, en retravaillant le territoire du centre, avant de suivre avec les communes satellites. Des zones de développement ont été définies  - en mars 2017, le nouveau centre Rive Gauche, soit le quartier de la gare du Sud, sera ouvert, devrait ramener du monde dans les rues. Et le Quai 10, avec ses quatre nouveaux cinémas, a ouvert ses portes ce mois-ci...-, les financements planifiés, le défi est de faire redémarrer le moteur urbain pour créer une animation, et, à terme, des emplois pour ramener des habitants. La culture joue un rôle essentiel dans la relance.

Pierre-Olivier Rollin...Journaliste, cet ancien éducateur de rue  dirige le BPS22, musée de la province de Hainaut où l'art et la société se rejoignent. Il suit pas à pas l'aventure des "friches culturelles". Dans ces lieux désertés, les formes de participation citoyennes s'épanouissent, essaiment. Exemple-phare, le Rockerill, usine de 2000 m2 devenue salle de concert, centre d'art, avec ses ateliers, bref, lieu de création mais encore de palabre. L'art de friche est un langage autre. Alors que des grands musées privés apparaissent dans le contexte de néo-libéralisation mondial, les institutions publiques éprouvent de plus en plus de difficultés à mener à bien leur mission. Au BPS22, Rollin s'ingénie à faire le lien entre la créativité spontanée des friches culturelles et les grands courants de pensée de l'époque. Il redoute la soumission de l'art au marché. Les musées publics font de la résistance. C'est au travers de leur travail d'éducation, d'information sur les oeuvres pour des publics qui veulent comprendre leur temps, qu'ils jouent leur rôle. 

Occupant du squat 123, situé rue Royale à 1000 Bruxelles, depuis dix ans, Réginald de Potesta de Waleffe est un libertaire, militant du logement citoyen. Il raconte le 123, cet immeuble de la Région wallonne laissé naguère vide au centre de la capitale. Une réalisation par définition fragile qui prouve qu'avec un effort collectif de personnes aux compétences diverses, bien organisées, il est possible de réaliser une forme d'utopie. L'occupation première a, grosso-modo, convaincu la Région wallonne (propriétaire du building) de signer une convention avec ses occupants, ceux-ci s'engageant à respecter une série de prescriptions. Le 123, avec ses logements, ses équipements communautaires, sa galerie pour les artistes, ses ateliers, sa mixité sociale, est une micro-société qui défend l'idée que des  milliers de bâtiments  vides, dans une cité où la crise du logement est grave, représente un non-sens. La convention  entre la Wallonie et les occupants stipule que le bâtiment devrait être vidé avec un préavis de douze mois, si nécessaire. La lutte du 123 ferait-elle jurisprudence, un jour?

Comme les friches culturelles ont vu pousser un art citoyen par opposition à un art soumis (pas toujours, bien sür...)au marché, les squats réussiront-ils à pousser la réflexion sur le droit au logement pour tous et l'ineptie de la spéculation face aux priorités humaines? Ces idées croissent dans les interstices urbains, dans ces espaces où la parole est libre. Le Relais social de Charleroi a eu une vraie idée en ouvrant le débat sur les interstices et leurs enseignements. Leur nécessité dans un monde formaté, uniformisé, alors que les gens n'entrent pas tous dans des cases sociales définies, surtout avec la crise terrible qui accentue la précarité. sans public, pas de débat possible. Denis Uvier, cet éducateur de rue qui défend les SDF de toutes ses forces et de sa conviction, a insisté sur l'urgence des drames quotidiens. Pour lui, le squat 123 serait peut-être l'arbre qui cache la forêt. Comment réussir d'autres 123 avec des personnes qui sont à bout de forces et sans espérance? Uvier, comme tant d'autres gens de terrain, opère à vif, dans la rue, pense cabanes, tentes, chauffage, alors que froid épuise les sans abri.

Il est vrai que Denis Uvier, avec sa parole si libre, si vive, écorchée vive, est la preuve que des interstices urbains jaillissent des avancées. Le Relais social devrait poursuivre son exploration, appeler d'autres témoins, partir des éclairages apportés par les diverses sources pour  avancer dans le dessin d'un atlas des entre-deux. Parce que c'est là que se profile le monde de demain. Alors que l'emploi est quasi inaccessible pour ceux qui ont manqué de chance au départ,  la culture, la connaissance, peuvent encore unir les gens pour avancer. Plus que jamais, créer, surtout sa vie, est une capacité essentielle. Au Quai 10, dans ces nouveaux cinémas, signe prometteur d'avenir, "Paterson", le film de Jim Jarmusch, montre le quotidien d'un chauffeur de bus qui écrit des poèmes sur une vie qui serait obscure mais s'avère fertile en rencontres. Il parle des interstices de la cité, des gens qui y vivent et c'est beau. Il faut des témoins pour le proclamer. 

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