Le Sud sauvera le Nord!

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une industrialisation moderne et respectueuse de l’environnement peut sauver les économies de nombreux pays.

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Il ne se passe un jour sans que soient dénoncées l’une ou l’autre exactions de puissantes multinationales contre des populations pauvres ou isolées mais vivant sur des terres riches en matières premières. Plongez-vous dans l’enquête « Green Blood » menée par 30 médias. « Forbidden Stories » (histoires interdites), est un réseau de journalistes d’investigation, créé en 2017 pour poursuivre le travail de reporters ­menacés, ­emprisonnés ou assassinés. Le Monde et 29 autres médias, dont le Guardian, au Royaume-Uni, L’Expresso au Portugal ou la ­Süddeutsche Zeitung en Allemagne ont uni leurs efforts dans ­l’opération « Green Blood » (« sang vert ») sur les pratiques particulièrement opaques du secteur minier dans trois pays de trois continents : la Tanzanie, le Guatemala et l’Inde. Pendant huit mois, 40 reporters de 15 pays ont poursuivi l’enquête des journalistes locaux, ­menacés, poursuivis et même assassinés pour avoir dénoncé ­l’impact des mines sur la santé et l’environnement. Les histoires sont tragiquement véridiques. La cupidité de certaines grandes entreprises est sans borne. Et le mensonge est leur défense la plus habituelle.

De nombreuses associations dénoncent ce pillage des richesses du Sud et les dommages irréparables causés à la nature et surtout aux humains qui sont privés de leurs terres, ou empoisonnés par les pesticides qu’ils sont forcés d’utiliser, les sols sont gravement pollués par les produits rejetés par les industries minières, etc.

Certaines associations réagissent en saisissant la justice. Tout récemment, deux ONG françaises (Survie, Les Amis de la Terre) et quatre ONG ougandaises ont attaqué en justice le géant pétrolier français Total pour non-respect d'une nouvelle loi qui impose aux multinationales françaises un devoir de vigilance, y compris à l'étranger. Cette action en justice - une première - vise la filiale ougandaise de Total et deux de ses sous-traitants à propos d’un mégaprojet pétrolier dénommé Tilenga. Il consiste en l’exploitation de 419 puits dans six champs pétroliers, ce qui pourrait conduire au déplacement de 50 000 personnes et avoir des conséquences graves pour l’environnement. Cela affecterait aussi une zone naturelle protégée dans le parc des chutes Murchison, sur le Nil. Une usine de traitement du pétrole serait édifiée et un oléoduc transporterait jusqu’à 216.000 barils de pétrole par jour jusqu’à une raffinerie à Kabaale, une ville du district de Hoima, et de là au port de tanga en Tanzanie.

Total a désormais trois mois pour se conformer à cette loi imposant un devoir de vigilance de l’entreprise, de ses filiales et sous-traitants. En cas de non-conformité, ces ONG pourraient assigner en justice Total pour violations des droits humains et risques de graves atteintes à l'environnement, entre autres, devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

« Ce premier cas sera un vrai test pour voir si cette loi nous permet enfin de prévenir de nouvelles catastrophes humaines et environnementales », explique Juliette Renaud, la responsable de la campagne Régulation des multinationales aux Amis de la Terre.

Quelles politiques industrielles au Sud ?

Il est évident que rien ne pourra se faire en terme de transition économique vers un développement durable sans analyser ce qu’il se passe au Sud de notre monde industrialisé et polluant. Un Sud trop souvent exploité pour ses matières premières et sa main d’œuvre à bas prix. Cette partie du monde a le droit de se développer et d’aspirer à un niveau de bien être équivalent au nôtre, tout en évitant la catastrophe annoncée, celle du dérèglement climatique mortifère pour tous.

Une nouvelle politique industrielle s’impose mais l’ordre économique mondial a déjà changé : c’est bien l’Asie de l’est et du sud qui mène la croissance industrielle mondiale. La Chine est devenue la première puissance industrielle du monde (un quart de la production mondiale), devant les Etats-Unis, deux fois plus que l’Amérique latine et de l’Asie hors chine et quinze fois plus que celle de l’Afrique et du Moyen-Orient !

A côté de cela, la part de l’Inde se montait en 2017 à 3,3% de la production moniale, devant la France ; cette toute puissance chinoise indique un phénomène préoccupant à savoir la désindustrialisation précoce des pays en développement, notamment en Afrique et Amérique latine alors que leur développement était resté nettement inférieur à celui des pays du nord.

Ces pays sont exportateurs de matières premières sans en tirer les bénéfices et donc sans que les populations ne sortent de la précarité. Car un développement sans industrie implique des régressions sur le plan social, démocratique, environnemental.

Cette analyse est détaillée dans l’ouvrage collectif « Quêtes d’industrialisation au Sud ». On y rappelle que les tentatives tiers-mondistes de maîtrise politique de leur développement économique (Conférence de Bandung en 1955 et Plan d’action de Lagos en 1980) ont été laminées par le « Consensus de Washington » en 1989 ; celui-ci jetait les bases du néolibéralisme et la mainmise totale sur les économies du monde entier par les institutions financières internationales siégeant à Washington à savoir la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, soutenus par le Trésor américain. On a vu ce que cela a donné. Le néolibéralisme a provoqué la catastrophe économique et climatique dont nous souffrons aujourd’hui.

Il s’agit donc, pour les pays en développement, d’éviter ces pièges et d’inventer une industrialisation moderne et soucieuse de l’environnement, une économie locale et de transformation permettant aussi l’exportation, une redistribution des profits auprès des populations locales afin de favoriser leur émancipation économique et sociale.

Dans ce cadre, l’économie numérique constitue un enjeu majeur pour les décideurs politiques des pays en développement car ils doivent éviter l’emprise numérique des Etats-Unis en développant des politiques protectionnistes au bénéfice de leurs propres populations. Ce que l’Europe peine à mettre sur pied pour le moment mais que la Chine a fort bien réussi.

Nous vivons des guerres commerciales mondiales qui embrasent certaines régions du globe. Des guerres pour le pétrole, pour le gaz naturel, pour le gaz de schiste, pour l’eau…  Et nous nous appauvrissons tous ensemble en tuant notre environnement.

Les pays en développement peuvent nous sauver s’ils évitent nos erreurs et si on les laisse faire !

https://forbiddenstories.org/fr/

http://www.rfi.fr/afrique/20190625-ouganda-total-petrole-murchison-environnement-survie-amis-terre

http://www.cadtm.org/Politiques-industrielles-au-Sud-a-quelles-conditions

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« Quêtes d’industrialisation au Sud » d’Alternatives Sud, édité par le Cetri et les éditions Syllepse.

 

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