Les algorithmes, champions des élections?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Photo prise lors de la manifestation, ce jeudi place du Luxembourg, contre la montée de l'extrême droite en Belgique et en Europe, organisée par le mouvement Stand-Up. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Ces dernières élections, chez nous très complexes puisqu’elles étaient fédérales, régionales et européennes, ont encore compliqué le tableau politique belge et européen. Ce qui est frappant est la réaction des jeunes votants : une partie vote vert et généralement européen progressiste mais une autre partie loin d’être négligeable, a voté extrême-droite sans le moindre complexe. Et sans nécessairement se trouver parmi les populations les plus défavorisées.

Comment votent donc ces jeunes? Comment se font ils leur culture politique ?

Dans le Soir du 29 mai, Vincent de Coorebyter note que « en même temps que la société se dépilarise (NDLR. Le système des piliers belges traditionnels basés sur les grandes familles politiques et les institutions qui leur sont liées comme les mutuelles, les syndicats, les réseaux scolaires…), on voit se durcir de nouveaux clivages et de nouvelles radicalités à la faveur du règne des réseaux sociaux et des algorithmes. » Donc, nos instruments intellectuels actuels deviennent relativement inadéquats, explique le philosophe.

Il note aussi que nombre d’électeurs du Vlaams Belang ne vivent pas dans des régions défavorisées et sont plutôt prospères mais que leur ignorance de la politique et des problèmes sociaux est très grande et qu’ils ne se soucient pas de la solidarité sociale ni des défis climatiques. Ils ne veulent rien changer à notre mode de vie actuel.

Lors de ces dernières élections, il est apparu une corrélation entre le vote de droite extrême et d’extrême droite et l’investissement de ces partis dans les réseaux sociaux. Ainsi, la VRT a demandé à Facebook et à Google (YouTube) de leur envoyer les dépenses des partis flamands entre mars et mai 2019. Et les chiffres parlent d'eux-mêmes : au total, les partis flamands ont investi plus de 800.000 euros dans les publicités sur les réseaux sociaux. À lui seul, le Vlaams Belang a dépensé la moitié de ce montant. La N-VA est le deuxième parti à avoir investi environ 170.000 euros.

Un investissement rentable puisque ces deux partis ont triomphé au nord du pays, après avoir diffusé leurs messages populistes, simplistes, xénophobes, antisystème.

Comment réguler Facebook ?

Le magazine français Alternatives économiques, sous la plume de Justin Delépine, analyse le rapport français remis au secrétaire d’Etat au Numérique par la mission « Régulation des réseaux sociaux. Expérimentation Facebook ». « Composée de juristes, d’ingénieurs, de chercheurs en informatique, cette mission entend poser les bases de l’approche française de la régulation des réseaux sociaux. », précise Justin Delépine.  Le sujet est d’importance car les réseaux sociaux représentent un canal d’information pour un tiers des Français et pour la moitié des 18-24 ans. « Ces réseaux créent de nouvelles formes de relations sociales, (…) et bousculent à la fois les structures sociales historiques et la primauté de l’organisation territoriale des Etats et de nos sociétés », écrivent ces chercheurs. De plus, ils opèrent « des choix éditoriaux dans l’affichage et l’agencement des différents contenus qu’ils diffusent. Ces choix sont réalisés par un algorithme, nourri des données, riches et variées, dont dispose le réseau social sur chaque utilisateur, afin de lui diffuser tel contenu à tel moment particulier. »  Ceci donne au réseau social « la capacité d’accélérer la diffusion de certains contenus ou, au contraire, d’en ralentir la propagation ». Cette éditorialisation joue un rôle essentiel « dans la capacité des réseaux sociaux à prévenir ou accentuer des dommages en matière de cohésion sociale. » avertissent les chercheurs.

Le problème est structurel, selon ces chercheurs qui se réfèrent aux processus mis en place par les publicitaires.

L’article cite Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Nantes : « Les plates-formes comme Facebook ont intérêt à hystériser et à polariser au maximum le débat, puisque ce sont ces contenus qui font naître de la colère et des émotions fortes qui suscitent le plus d’interactions et surtout à partir desquelles les internautes se dévoilent et permettent donc que soient extraites des données riches et fines sur eux », explique-t-il.

Le grand maître d’œuvre de cette évolution est Facebook, le plus grand réseau social au monde avec plus de deux milliards d’inscrits. « Dans le classement des réseaux sociaux les plus populaires dans le pays arrivent ensuite YouTube, service de Google, puis Instagram (15 millions d’utilisateurs) et WhatsApp. Deux services qui affichent des taux de croissance très importants, et qui sont également… deux filiales de Facebook. Dans les faits, « responsabiliser les réseaux sociaux » et responsabiliser l’entreprise dirigée par Mark Zuckerberg sont deux expressions quasi synonymes. » écrit Justin Delépine qui cite le rapport de la Mission : « Contenus incitant à la haine, contenus terroristes, pédopornographiques, harcèlement en ligne, usurpation d’identité, (…) impacts sur le lien social à travers la diffusion de fausses informations et de rumeurs infondées, des tentatives de manipulation frauduleuse de l’opinion publique »…

Il est évident que de telles puissances économiques sont très réticentes à toute autorégulation. La Mission française propose donc de créer une autorité chargée de réguler le secteur, qui « s’inscrirait dans un dialogue entre les plates-formes, les pouvoirs publics et la société civile, et surtout dans un cadre de régulation européen. »

Un vaste chantier pour nos futures éminences européennes qui devraient être sensibles au fait que les amendes imposées pourraient se chiffrer en milliards d’euros comme c’est déjà le cas lorsque des abus de position dominante sont condamnés. Le législateur européen doit, selon les auteurs du rapport, « imposer la transparence ainsi que l’accès aux données à partir desquelles l’algorithme a été construit. Car, répètent-ils, sans un accès aux règles d’éditorialisation et d’ordonnancement des contenus, c’est-à-dire une transparence des algorithmes, l’autorité régulatrice resterait aveugle, et la régulation des contenus problématiques inopérante. »

Il y a urgence car la manipulation des opinions publiques, surtout des jeunes, a pris une ampleur inédite dans l’histoire : « En 2016, c’est bien le réseau social Facebook qui est apparu comme le responsable de tentatives d’influence sur l’élection présidentielle américaine qui avait vu la victoire de Donald Trump. En 2018, c’est la messagerie WhatsApp qui était accusée de reproches similaires lors du scrutin présidentiel au Brésil ayant porté au pouvoir Jair Bolsonaro. », écrit Justin Delépine dans Alternatives Economiques.

L’ignorance fabriquée

Parallèlement à ce dévoilement de conséquences néfastes de l’usage des réseaux sociaux sur la formation des opinions publiques en matière politique, des chercheurs se penchent sur la fabrique de l’ignorance comme instrument de manipulation de l’opinion publique. Ce sont les théories de l’« agnotologie », la science de la privation de connaissances. Nous étions confrontés à des manipulations de plus en plus savantes et sournoises de nos comportements de consommateurs, pour le plus grand bien de la publicité et du système de consommation de masse. Voici qu’apparaissent les techniques diverses et tout aussi sournoises visant à nous maintenir dans l’ignorance.

Les chercheurs travaillent notamment sur « l'ignorance comme produit d'une stratégie. Il s’agit là de considérer que l’on a pu tenter de gommer, de saper ou de fragiliser une connaissance fiable existante. Ainsi, faire disparaître de la connaissance de l’espace public, par exemple dans le cadre d’un secret d’État ou industriel, ou la rendre indisponible, inutilisable pour justifier des inférences et des décisions – comme dans certaines formes de climato-scepticisme ou les campagnes orchestrées par les cigarettiers – c’est bien « créer » de l’ignorance. C’est ce sens, stratégique, qui a occupé des auteurs aussi divers que Naomi Oreskes et Erik Conway au sujet du climato-scepticisme, Wendy Wagner et Thomas McGarity sur le terrain juridique, Gerald Markowitz et David Rosner à propos de la silicose, du chlorure de vinyle ou du plomb, mais aussi David Michaels sur de nombreux toxiques, dans des études historiques. Dans tous ces exemples, les auteurs ont étudié la manière dont une connaissance stable et fiable pouvait se retrouver fragilisée et, par-là, ne plus apparaître comme connaissance aux yeux du public et des décideurs. » Voilà ce que nous lisons dans l’Encyclopédie Universalis, une source peu suspecte de radicalisme gauchiste.

Que faire contre ces perversions du système de la connaissance ? Investir les réseaux sociaux, diffuser des messages vérifiés, crédibles, incitant à la recherche de la connaissance tout en étant ludiques, clairs, vivants… Les nouveaux moyens de communication offrent des opportunités énormes de redynamisation de la pédagogie, de l’information, de la communication qui forgent des esprits éclairés et non pas des moutons consommateurs abêtis et voilés d’ignorance.

https://www.rtbf.be/info/article/detail_la-tactique-du-vlaams-belang-sur-les-reseaux-sociaux-s-est-averee-payante?id=10230895

https://daardaar.be/rubriques/politique/vlaams-belang-le-champion-europeen-des-pubs-sur-facebook/

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https://www.alternatives-economiques.fr/responsabiliser-facebook-mission-impossible/00089298

https://www.universalis.fr/encyclopedie/agnotologie/

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