L’été sera « douf »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Lundi 1er juin

Leur terrain de jeu syrien est devenu un peu exigu. Il ne reste plus beaucoup d’immeubles à détruire, pas non plus beaucoup de villages à raser. Erdogan et Poutine pensent désormais en découdre un peu sur le théâtre libyen. On n’est pas loin de l’Europe autour de Tripoli, de l’autre côté de Mare nostrum. Une ou deux bases pourraient un jour se révéler bien utiles. Et puis – qui sait ? -, il n’est pas impossible que la Russie et la Turquie finissent par trouver un accord de coopération. Le pays est vaste et disponible. Début janvier les deux grands démocrates y ont inauguré ensemble un gazoduc. Ils se sont partagé la coupure du ruban. Pourquoi ne pourraient-ils pas demain se partager la coupure du pays ? En tout cas, ils y ont les mains libres. Oui, bien sûr, l’ONU surveille leurs déploiements… Mais à part ça…

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 La firme germano-espagnole Gemesa fait savoir qu’elle mettra sur le marché des éoliennes d’une dimension équivalente à celle de la Tour Eiffel en 2024. L’Allemagne va en installer dans ses espaces maritimes, en Mer du Nord et en Mer Baltique. Elle en captera de l’électricité dont on ne peut pas encore évaluer la quantité mais il est certain que le chiffre sera impressionnant ; et que, déjà, d’autres implantations à exploiter sont à l‘étude. Au début du siècle, une fronde s’était levée dans la station huppée de Knokke-le-Zoute contre le projet d’implanter un parc éolien au large. Ces hautes bestioles à hélices risquaient de gâcher la vue des rupins, nantis résidentiels. Les éoliennes qui seront disponibles dans trois ans déploieront une dimension quinze fois plus importante que celles qui auraient dû être installées dans l’horizon knokkois. Un jour, afin d’alimenter les sèche-cheveux des baigneuses et les machines électroniques de leur mari, un recours à Gemesa s’avérera peut-être indispensable là-bas...

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 Le déconfinement s’accélère en France, sauf pour l’Île de France (donc Paris), Mayotte et la Guyane. Guilleret, n’ayant pas perdu sa joie de rendre heureux, Cédric Dutilleul, le patron du bar à vins « Le Griffonnier », rue des Sausssaies (8e arr.), adresse un message à ses clients et conclut : « Il est temps de remettre la France au goulot ! » Voilà pourquoi, comme disait le Général, « La France sera toujours la France »…

Mardi 2 juin

 Nous voici dans le mois du verdict pour l’Union européenne, le stop ou encore post Covid-19, avec la condition sine qua non : pour que ce soit encore, il faut faire plus. Parmi les analyses les plus intelligentes, celle du journaliste économique François Longlet qui, à sa manière, a trouvé une appellation savoureuse pour qualifier les pays frugaux / radins / pingres, fourmis du Nord et les autres, cigales du Sud. Il parle des « buveurs de bière et des buveurs de vin », version fort contestable mais imagée de bien-être qui peut apaiser les tensions du débat.

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 Un exercice pour un séminaire de journalisme. En 1842 (l’année de la mort de Stendhal), Balzac s’interrogeait sur « le difficile problème littéraire qui consiste à rendre intéressant un personnage vertueux. » On sait que le siècle connut ensuite la vague des romanciers réalistes fort éloignés de ce souci-là. Mais comment, aujourd’hui, pourrait-on interpréter cette phrase si l’on remplaçait « littéraire » par « journalistique » ?

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 « La critique du langage ne peut éluder ce fait que nos paroles nous engagent et que nous devons leur être fidèles. Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde. » (Albert Camus, 1944)

 Cet été, il risque de faire douf. Ce n’est qu’en Belgique francophone, et surtout à Bruxelles, que cette expression évoquant un temps lourd peut être entendue. Mais son avenir est assuré : elle figure désormais dans la nouvelle édition du Petit Robert qui sera disponible après-demain en librairie. Le célèbre dictionnaire ne s’est pas contenté d’officialiser un belgicisme, il en adouba d’autres dont le savoureux « Avoir le cul dans le beurre » qui ne concerne pas celui de Maria Schneider dans « Le dernier tango à Paris » de Bernardo Bertolucci ou celui d’Andrea Ferréol dans « La grande bouffe » de Mario Ferreri. « Avoir le cul dans le beurre » se dit d’une personne qui vit très aisément grâce à une fortune qu’elle n’a pas constituée elle-même. On pourrait donc parler plutôt des fesses de Laetitia Hallyday. Par exemple. Ou de Delphine Boël.

Mercredi 3 juin

 Il faut sauver le soldat Renault. Plus de 15.000 emplois menacés dans le monde dont 4 à 5000 en France. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, s’engage à injecter quelques milliards dans l’entreprise afin de la maintenir en vie. Ce n’est qu’un début. D’autres interventions de l’État du même type surgiront tôt ou tard (sûrement tôt…) Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle avait sauvé Renault en la nationalisant. Ce mot qui fait peur à la droite – et qui, cependant, trouvera bien sa place dans les faits – sera désormais peut-être délaissé par Macron. Il faudra donc s’attendre à une substitution sémantique. Á l’heure où les nouvelles éditions de dictionnaires sont mises en vente grossies de quelques dizaines de termes, le président n’aura pas à se gêner. 

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 Ce soir, à Berlin, les deux partis de la Grande coalition se réunissent pour ventiler les 130 milliards d’euros que l’Allemagne va pouvoir consacrer à la relance de son économie. Les débats seront difficiles, houleux même, et la nuit ne suffira peut-être pas à les clore dans l’apaisement. De l’extérieur, les Verts mettent la pression sur l’occasion idéale d’imposer de nouvelles mesures écologiques à l’industrie automobile. Celle-ci représente 13 % de l’économie allemande. L’extrême droite titille le bon sens des citoyens à n’importe quel prix, selon son habitude, mais il est bon de veiller à ne pas lui prêter le flanc. Et puis on retrouvera les options idéologiques classiques à équilibrer nécessairement : les sociaux-démocrates défendent la relance par la consommation tandis que les conservateurs optent plutôt pour la baisse des impôts. Toutes ces pistes ne sont pas propres à l’Allemagne. Elles se retrouveront peu ou prou de pareille nature sur la table des autres gouvernements européens. La différence, c’est que Merkel et ses ministres sont déjà au départ d’un nouveau cycle de gestion étatique tandis que les autres discutent, cherchent, remanient…

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 Bien que le Festival de Cannes fut annulé, Thierry Frémeaux a tenu à dévoiler la sélection afin que les films qui auraient dû être en compétition puissent contenir cette mention dans leur générique. La grande particularité de cette sélection est la présence de cinq comédies. Un changement considérable dans l’histoire du plus grand rendez-vous du cinéma mondial. Dans les attrayantes 800 et quelques pages du « Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes » conçu et rédigé par le président Gilles Jacob (éd. Plon, 2018), on ne trouve pas d’entrée à des mots comme Audiard, Blier, Comédie, De Funès, Fernandel, Rire, etc. Et s’il est question par exemple de Michel Serrault, c’est pour ses rôles dramatiques dans « Les fantômes du chapelier », le Chabrol adapté de Simenon, ou dans « Garde à vue » de Claude Miller ; même si l’auteur est obligé de citer « La Cage aux folles » pour que sa recension soit conforme à la carrière de ce fabuleux acteur. Cannes, c’est du sérieux, du grave. C’est pourquoi, le changement annoncé par le délégué général n’en est pas un ; c’est plutôt une révolution. Rendez-vous en mai 2021 pour mesurer si le coup d’essai était un coup de maître, un coup de force, un coup pour rien, ou une mutation à coup sûr.     

Jeudi 4 juin

 Le second tour des élections municipales françaises se déroulera le dimanche 28 juin. Selon le règlement électoral, les listes avaient jusqu’à mardi la possibilité de fusionner. On ne compte plus les villes grandes et moyennes où les candidats LREM feront cause commune avec les Républicains. Tombe ainsi enfin le rideau de l’inconstance. Les macronistes, ce mouvement qui ne se voulait ni à droite ni à gauche, cet ensemble prétendant insuffler une cure de jouvence au monde politique, va donc parvenir à obtenir quelques élus locaux grâce à l’appoint qu’ils apporteront aux listes de droite. Perdre son âme pour par-ci par-là une poignée mandataires locaux, c’est déjà une défaite annoncée ; une chute morale et une capitulation politique. L’inconstance est double, comme dans Marivaux, sauf que là, cela se termine bien.

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Au temps du Covid-19, se laver les mains plutôt que s’en laver les mains, et se souvenir ainsi de Germain Nouveau, qui les célébra dans un si beau poème :

« …

Il circule un printemps mystique dans les veines 

Où court la violette, où le bleuet sourit ;

Aux lignes de la paume ont dormi les verveines

Les mains disent aux yeux les secrets de l’esprit.

… »

 Après avoir été tour à tour le compagnon de Rimbaud et celui de Verlaine, il finit ses jours sous le porche de l’église de Pourrières (Var), son village natal, « vieillard d’une infinie misère, sec comme un vieil Arabe ».  Á Pâques, étonnés de ne pas le voir, ses voisins, s’inquiétèrent. Il était sur son grabat, mort depuis trois jours. C’était le 4 avril 1920. Encore un centenaire oublié.

 Le poème « Les mains », de Germain Nouveau, figure désormais dans toutes les anthologies. 

Vendredi 5 juin

Ministribules, escroc, traître d’opérette, enflure, larbins, nullités… Tels sont quelques termes (la liste n’est pas exhaustive) que l’on peut extraire du billet qu’Elie Barnavi publie dans Regards, la revue mensuelle du Centre communautaire laïc juif de Bruxelles. Des mots que l’on n’a pas le loisir de lire habituellement sous la plume de ce gentleman. Certes, l’homme n’a jamais apprécié Benyamin Netanyahou, mais il croyait dur comme fer que le Premier ministre israélien réputé indéboulonnable devrait cette fois laisser la place. Certes il a espéré, sans le vénérer pour autant, que Benny Gantz serait celui qui culbuterait la statue. Mais Gantz a fini par devenir le partenaire de Netanyahou et l’ancien ambassadeur d’Israël à Paris - qui s’accordait si bien en son poste avec Jean Daniel et Leila Shahid, la fougueuse représentante de l’autorité palestinienne – est fâché, très fâché. Quand on lui fait remarquer, il répond : « On le serait à moins non ? », et il ajoute : « Et encore ! Je me retiens ! » Barnavi cultive l’ire du désespoir. Il est donc surtout triste, et l’on ne peut que le comprendre.

                                                                        *

Cherche un jeune Chevènement désespérément. Ce serait l’état d’esprit actuel du président Macron qui révéla d’ailleurs, au cours de sa campagne présidentielle, avoir voté pour l’homme de la Nation en 2002. Son ministre du Budget, Gérard Darmanin, reconnaît en avoir fait de même. Á qui le tour ? a-t-on envie de lancer, tant la réputation de l’ancien ministre de Mitterrand rallie les attentions à l’heure d’une refonte pour une relance. Celui que l’on croyait ringard devient moderne. Cela doit amuser son ami Régis Debray qui défend ce type de théorème depuis longtemps. L’archaïque n’est pas celui qu’on croit… Si le président découvrait l’oiseau rare, ce serait pour remplacer son Premier ministre. Mais doit-il se séparer d’Édouard Philippe à l’heure où celui-ci, fort de la manière dont il a géré la crise sanitaire, vogue dans les sondages de popularité quelques coudées au-dessus du président ? C’est peut-être précisément pour cette raison que ce dernier voudrait s’en séparer…

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 Les travailleuses du sexe sont, elles aussi, très touchées par la crise sanitaire. Qu’est-ce qu’une pute sans client ? Un désir sans plaisir, une offre sans demande, une disponibilité sans occupation, une attente sans visite. Et c’est austère, morose, sépulcral comme une maison close ouverte aux quatre vents.

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