L'homme baudruche

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 3 min.

Les humains sont-ils des garde- fous physiques pour leurs congénères ? Peut-être. Depuis que sa famille a explosé en petits morceaux et qu’il vit seul, si seul, tellement seul, son corps s’est laissé aller et a gonflé démesurément jusqu’à envahir tout l’espace de l’appartement. Il ne grossit pas, il s’étend. Personne n’est présent pour empêcher son corps de gonfler. Le vide de son existence a pris place à l’intérieur de son corps. Chaque fois qu’il inspire, il gonfle un peu plus. Personne ne pose les mains sur lui pour empêcher son corps de se développer. Il n’est pas obèse, pas lourd mais sa solitude est si grande que son corps, livré à lui-même, s’est dilaté, gonflé d’air et s’est transformé en baudruche. On dirait que le vide de son existence intime a trouvé place à l’intérieur de son enveloppe.

Son corps est si vaste qu’il a du mal à sortir de chez lui et qu’il est incapable de pénétrer dans un bus. Son poids n’a pas varié mais il ressemble à un château gonflable. La seule activité qu’il est encore capable de mener à bien consiste à traverser la rue pour se rendre à la terrasse du bistrot d’en face prendre son café. Et encore, ce n’est pas simple : ses cuisses sont tellement gonflées qu’il a du mal à poser un pied devant l’autre et il maîtrise difficilement l’équilibre de son corps/ montgolfière.

Sur la terrasse du café d’en face, une vieille toujours la même, l’empêche de s’envoler en le retenant par une cheville et répète sans cesse : « L’été est bien fini. »

- On dirait bien, répond-il.

- Il va pleuvoir, ajoute la vieille.

- Peut-être, dit-il.

Personne ne vient jamais le voir parce qu’il est incapable d’ouvrir la porte de son appartement pour laisser entrer quelqu’un. Ses enfants inquiets frappent à sa porte.

- Je ne peux pas vous laisser entrer, car je ne peux pas ouvrir la porte, leur dit-il, mon corps prend trop de place.

De toutes façons, il ne pourrait pas soutenir une conversation.

Ses oreilles sont tellement gonflées qu’il est quasiment sourd et sa bouche surdimensionnée n’articule que peu de mots compréhensibles. Affalé sur le sol, journée après journée, il regarde défiler les images à la télévision. Il sort rarement de chez lui. L’effort est pénible comme le regard des passants. Seule, la terrasse du café d’en face est un refuge. La vieille est heureuse de voir quelqu’un et la serveuse de travailler.

L’été est bien fini, dit la vieille

- On dirait bien, répond-il.

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- Il va pleuvoir, ajoute la vieille.

- Peut-être, dit-il.

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