L'interminable comédie Brexit

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Des opposants au Brexit réclamaient la tenue d'un deuxième référendum lors d'une gigantesque manifestation à Londres, le 23 mars 2019. Photo © NIKLAS HALLE'N - AFP
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Mercredi 16 octobre

 Couic ! Après tant de tergiversations, après tant de manœuvres aux limites de la rupture, après tant de palabres, de déclarations incendiaires, après un dédain exprimé par le Premier ministre britannique vis-à-vis de son parlement, après tant et tant de temps gâché, tant et tant de temps perdu, on nous dit que l’on serait au bord d’un accord qui pourrait être entériné au sommet de ce jeudi. La vérité, c’est qu’aussi bien le trio Tusk, Juncker, Barnier que l’empressé Boris Johnson n’ont intérêt à constater un No deal qui serait néfaste pour le Royaume-Uni, mais pas très bon non plus pour l’Union.

 Couic ! La Commission Von der Leyen a du retard à l’allumage. Il faut remplacer les recalés, une tâche délicate s’il en est. La Commission Juncker est donc prorogée d’un mois. On pensait qu’un délai supplémentaire serait nécessaire au Brexit et qu’entretemps, la Commission Von der Leyen serait installée. C’est l’inverse qui se produit. Mieux vaut que la belle Ursula démarre son mandat sans que le dossier Brexit lui soit encore dans les pattes dira-t-on. Certes. Cette affaire risquera quand même de l’encombrer. Comme il y a le beurre et l’argent du beurre, il y a le divorce et l’argent du divorce.

Jeudi 17 octobre

 Á la fin du mois de juin, le très sérieux et très influent journal allemand Die Welt donnait un portrait de Boris Johnson basé sur le roman qu’il fit paraître sous le titre évocateur : « Les septante-deux vierges ». Quant au titre de cet article, il laissait le lecteur pensif, et pour le moins soucieux : « Boris Johnson fait du Brexit une comédie ». Un mois plus tard, il devenait Premier ministre. Ce soir, il est parvenu à obtenir un accord ratifié par le Conseil européen. On se réjouit à Bruxelles en faisant preuve néanmoins de prudence. Á Londres, on est beaucoup plus circonspect. Johnson obtiendra-t-il l’aval de son Parlement ? Rien n’est moins sûr. Réponse samedi. En attendant la comédie se poursuit.

Vendredi 18 octobre   

 Il paraît que Kaïs Saïed, le nouveau maître de la Tunisie, est un pur partisan de l’islam et que l’islamisme ne lui serait pas étranger. Il paraît qu’il est incapable de formuler un avis, de résoudre un problème, sans faire référence au Coran. Il paraît que le parti intégriste Ennahada l’a porté vers le pouvoir en toute discrétion. Le président serait très opposé à l’égalité hommes / femmes, à des avancées au plan des mœurs, et les observateurs qui le qualifient de « conservateur » sont bien gentils.

 Soit.

 Mais Kaïs Saïed  a recueilli plus de 73 % des suffrages. Et si le peuple tunisien a choisi d’élire un avocat inconnu dont l’essentiel de sa candidature reposait sur la lutte conte la corruption, c’est d’abord parce que le jasmin est fané, que tous les progressistes qui ont combattu la dictature n’ont pas été dignes de gouverner.

 On ne peut donc que suivre l’évolution du pays, lui qui accueillera l’an prochain le Sommet de la Francophonie.

                                                                        *

 Durant tout le magma qui enroba les discussions sur le Brexit (et qui les enrobe toujours au point de les rendre plus opaques…) on n’a pas beaucoup entendu Sadiq Khan, le maire de Londres. Il est pour la tenue d’un second référendum et l’avenir immédiat lui donnera peut-être raison. Pour l’heure, il a lancé l’opération « Nous sommes tous Londoniens » en faveur de migrants européens égarés, inquiets pour leur devenir. Il dit son geste préventif afin d’éviter un nouveau windrush scandal, en référence aux expulsions erronées commises par le ministre de l’Intérieur l’an dernier. Si les migrants européens ou ceux des Caraïbes peuvent être identifiés en une fausse illégitimité, que penser du sort des migrants clandestins ? On les pense arriver au compte-goutte mais ils sont finalement plus nombreux. C’est toujours difficile de gagner la Grande-Bretagne mais pas impossible. La Grande-Bretagne est une immense île. Elle peut donc être intégralement contournée, au même titre que les règles.   

Samedi 19 octobre

Il est des personnages qui ont marqué leur époque en posant un geste ordinaire, zélé, paraissant tout à fait secondaire, et qui pourtant bouscule  considérablement le destin d’un peuple. Ironique et persifleur, Roland Topor les décrivait ainsi : « Il est des gens qui ne laisseront d’eux que des latrines pleines », faisant sienne le constat de Léonard de Vinci. Le député conservateur britannique Oliver Letwin est de ceux-là. En ayant naguère fait voter un amendement, il est parvenu, par une procédure emberlificotée à enrayer le chemin compliqué de son Premier ministre. L’accord que celui-ci avait conclu avec le Conseil européen a été rejeté par la Chambre des Communes, non pas sur son contenu, mais sur l’opportunité légale de le soumettre au vote aujourd’hui. En conclusion, le Premier ministre est contraint d’encore demander un report.

 Fidèle à la position ferme qu’il a toujours adoptée, Boris Johnson se refuse à solliciter ce report.

 On assiste donc à un geste que l’histoire politique et même l’histoire tout court n’ont jamais connu : Boris Johnson a envoyé deux lettres au président Tusk ; l’une pour demander le report, qu’il n’a pas signée, l’autre pour le rejeter, qui porte sa signature. Tous les synonymes du mot farce ont déjà été utilisés dans cette ténébreuse affaire. Il sera instructif de découvrir les unes des tabloïds anglais qui paraîtront demain. 

 En face du Parlement ce sont cette fois des centaines de milliers de citoyens qui reprennent espoir, arborant le drapeau européen et répétant inlassablement leur souhait de voir organisé un second référendum. On ne le soulignera jamais assez : le 23 juin 2016 le Royaume-Uni vota en faveur de son départ de l’Union européenne. Seuls 37 % des citoyens participèrent au scrutin. Parmi ceux qui manifestent leur volonté de rester dans l’Union, combien d’entre eux se sont-ils abstenus en ce triste jour d’été, il y a trois ans et s’en mordent les doigts qui tiennent la hanse de leur bannière bleue étoilée ? That’s the terrible question.

Dimanche 20 octobre

 Jean-Marie Cavada, ancien journaliste et député européen sortant, publie dans le JDD une tribune avec quelques amis afin de revendiquer la création d’une Déclaration des droits et libertés fondamentaux numériques. Si l’on veut éviter que l’homme soit asservi par sa propre création, cette revendication tombe sous le sens. Cela dit, depuis 1948, année de naissance de la Déclaration des droits de l’homme de l’ONU, le monde, dans ses changements successifs, a dégagé d’autres domaines qui devraient à l’analyse, être intégrés dans ladite Déclaration. Faire adopter la nouvelle mouture est, comme aurait dit Kipling, une autre histoire.

                                                                        *

 Ils ont été capables de dire qu’ils ne voulaient plus faire partie de l’Union européenne, ils ne sont pas capables de dire : « On s’en va… »

 Si des plumes journalistiques britanniques se déchaînent à propos du comportement irréaliste de la Chambre des Communes, d’autres, plus réfléchies, commentent la pagaille avec un peu de recul teinté de sagesse. Ainsi, pour l’intellectuel David Goodhart, c’est le signe que la démocratie est bien réelle et surtout qu’elle fonctionne. Pour le philosophe et historien francophile Theodore Zeldin, ce qui se passe au Royaume-Uni est le premier signe important du délitement de l’Europe. Il y a deux manières d’analyser cette affirmation. D’abord celle nourrie par un optimisme européen : beaucoup d’observateurs pensaient que le Brexit allait faire des petits, que d’autres membres de l’Union suivraient le même chemin. Il n’en est rien. Tout au long des trois années qui ont suivi le référendum favorable à la sortie, le Conseil européen a constamment été unanime, faisant bloc, sur les positions à prendre, les résolutions qu’il convenait d’adopter, résultant du travail de Michel Barnier. Ensuite celle de l’examen réaliste, moins optimiste pour l’avenir de l’Europe. La montée en puissance du fait régional vers une identité de plus en plus tournée en volonté d’indépendance constitue un risque majeur par l’effet dominos. Que le Brexit provoque le soulèvement de l’Écosse n’est pas un pronostic absurde. Dans la foulée de la dislocation britannique, une autre naît en Espagne et beaucoup d’autres peuvent suivre : la Flandre, l’Italie du Nord, la Corse, etc. Quand Juncker parle de « dernière chance pour l’Europe », il est sûrement motivé par cette crainte de la dislocation. C’est à Ursula von der Leyen et sa commission de renforcer la structure de l’Union, de la faire progresser, d’en diffuser les résultats et peut-être ainsi de donner vie à l’identité européenne, faute de pouvoir renouveler le rêve européen.

                                                                        *

 Le dessin de Wiaz dans Le Journal du Dimanche (JDD) montre Édouard Philippe, la mine renfrognée, dire : « Ça va de mal en pis entre les Kurdes et les Turcs » tandis qu’Emmanuel Macron lui répond, tout sourire : « Oui mais tout s’arrange entre Laetitia et les enfants de Johnny ! ». Les actualités sont malades des fausses informations (fake news) ; elles le sont aussi de l’horizontalité. Tous les faits sont traités à la même échelle et dégagent une valeur d’importance égale. Á celles et ceux qui les reçoivent de procéder au tri et de les traiter en degrés d’importance. Autant dire que la subjectivité rayonne dans l’innocence des savoirs.

Lundi 21 octobre

Vincent Delerm commente la parution de son nouvel album, « Panorama », et du film qui l’accompagne, « Je ne suis pas sûr si c’est tout le monde ». Il évoque son attachement à la littérature, au cinéma et aux chanteurs qui l’inspirent, comme Alain Souchon. Il n’hésite pas à faire référence au passé, qui « fabrique le présent », sans pour autant craindre de paraître ringard. C’est tellement évident qu’on hésite à le souligner. Et pourtant ! Le mythe de l’an 1, notamment dans les spectacles, est si envahissant…

                                                                        *

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 Ce ne sera qu’un 90e anniversaire, pas un centenaire, et pourtant les médias se préparent à l’évoquer. Le Jeudi noir de Wall Street tombera cette année… Un jeudi, le 24 octobre, dans trois jours. Pourquoi tant s’attacher à l’évocation de la crise de 1929 ? Y aurait-il un parallèle à établir avec l’activité boursière actuelle ? 

  
 

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