Médiathèque: sabordage à huis clos

Zeitgeist

Par | Penseur libre |
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Mise à mort de la médiathèque? Trois dates pivots rythment aujourd'hui l'affaire: 25 septembre (Conseil d'administration), 30 septembre (Cabinet ministériel) et... 13 septembre, soirée de contre-attaque. (Voir fin de papier.)

C'est Joseph Roth qui met le doigt sur l'abomination: "Peu d'observateurs dans le monde semblent se rendre compte de ce que signifie l'autodafé de la culture cinématographique, l'expulsion des films DVD et toutes les autres tentatives forcenées de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour détruire l'esprit."

Ce sont les lignes d'ouverture du court écrit paru en septembre 1933 à Paris dans les Cahiers juifs sous le titre L'autodafé de l'esprit, que viennent de republier les éditions Allia dans sa collection de minces volumes qu'on dirait comme conçus pour se glisser dans l'étui à cigarettes - ou de toilette.

En 33, il était évidemment question des bûchers nazis où flambait les produits de l'impur art dégénéré (entartete Kunst) et le texte stigmatisait donc non l'autodafé des DVD mais des livres, non l'exclusion de la culture ciné mais des écrivains juifs et non la forcenée Fédé WéBé mais les "tentatives" d'éradication du Troisième Reich. Entre les deux, il y a une sacré différence. Ce ne sont pas des fachos, ni même des excités issus de partis dits non démocratiques qui veulent la mort de la Médiathèque.

Obsolescence programmée

Car il faut bien savoir - se rendre compte, comme écrivait Roth1 - que l'idée, le "plan d'action" comme ils se plaisent à dire en milieu décideur, l'objectif, donc, est de vider toutes les médiathèques de leur contenu, films et disques CD, d'en arrêter toute acquisition nouvelle et, forcenés jusqu'au bout, vendre à l'encan tout film ou disque "doublon" afin que ne subsiste, au dépôt, qu'un exemplaire de chacun: l'usure, la déterioration, la perte ou le vol, peu leur chaut.

L'idée, le plan d'action, l'objectif que personne ne claironne, c'est d'effacer d'un trait de plume ministériel une charmante institution culturelle née en 1953 au motif qu'elle serait devenue obsolète, qu'elle n'a pas "évolué avec son temps" ou, plus crûment, c'est partout entre les lignes, qu'elle n'est pas "rentable".

Du même trait de plume, virer (expulser, dirait Roth) les quelque 13.500 hommes et femmes qui, en 2017-2018, se sont rendus dans une médiathèque pour emprunter un film ou un disque. Allez vous faire voir ailleur.

Du même trait de plume, démolir "l'outil" du personnel, les travailleurs et travailleuses qui aident fort gentiment les habitués et néophytes dans leur choix, qui enregistrent les entrées et sorties, rangent et reclassent films et disques, disposent des endroits pour les nouveautés, les coups de cœur, les médias "de passage" et ceux récemment retournés. À la spacieuse longiforme médiathèque installée sur le campus de l'ULB, un travailleur fait un grand geste du bras: "Tout sera vide, ici." Œuvre d'art futuriste? Ci-gît le Néant? Une de ses collègues est en congé maladie depuis un mois, état de dépression profonde. D'une consultation interne, dit un délégué Setca, 80% du personnel sont contre ce "plan d'action". Rien à fiche. Allez vous faire voir ailleurs.

Le fait du prince

Car tout se passe pour ainsi dire à huis clos. Aux manettes, une direction composée essentiellement de cumulards bureaucratiques, petits soldats ayant carte de Parti. Le conseil d'administration2, présidée par le sénateur socialiste Philippe Mahoux, paraît l'être tout autant, des petits soldats cumulards qui n'ont guère la fibre culturelle. Idem pour la ministre chrétienne CdH en affaires courantes, Alda Greoli, créature de l'actuel président Maxime Prévot, dont absolument rien dans son parcours d'apparatchik (mutuelles, assurance complémentaire, business de la santé) ne l'indiquait pour s'occuper de matières culturelles. Du pur "belgistan".

Délire belgistanais, encore, que ce Conseil d'adminstration appelé à avaliser ledit plan d'action ce mercredi 25 septembre afin qu'ensuite il soit frappé du sceau ministériel le lundi suivant, le 30 septembre, par le fait du prince d'une équipe sortante, en affaires courantes, donc avant que le nouvel exécutif puisse s'installer et énoncer (éventuellement) sa propre politique culturelle. On a déjà vu plus dingue.

Encore un peu de socio-cul bolognaise?

Sans doute faudrait-il encore dire un mot de ce calamiteux "plan d'action" qui s'inscrit dans le droit fil de la dérive "sociocul" entamée en 2013 lorsque les médiathèques seront rebaptisées "Point culture" (comme "Pas de culture"?), néologisme prémonitoire. La raison d'être de l'institution (acquérir, préserver et diffuser disques et films) passe à l'arrière-plan en faveur de "happenings" socio-éducatifs, le personnel étant prié de jouer aux boy-scouts sous le nom de "médiateurs" (n'importe quoi) en animant des "espaces de co-working" (ce franglais résume mieux qu'un dessin le pli anti-culturel). Bref, c'est prendre les visiteurs des médiathèques pour des cons. À éduquer. C'est dans l'air du temps.

À terme, ainsi, les médiathèques seraient déménagées3 dans les bibliothèques (économies d'échelle salariales en vue) avec, répétons, aucun film, aucun disque sur place. Il faudra commander "en ligne", et tant pis si tel film ou disque s'est entre-temps déteriorié, perdu ou oblige à se mettre dans une interminable file d'attente.

C'est foutu? Ce vendredi 13 septembre un "comité d'usagers" bas le rappel pour une soirée de réflexion (sur le mode festif hélas) censée produire des "pistes" alternatives. Voir (sur FB): https://www.facebook.com/events/343301389957804/362675728020370/?notif_t=admin_plan_mall_activity&notif_id=1567851902258199

Et, puis, il y a la pétition. Je dis ça, je dis rien: https://www.change.org/p/madame-alda-greoli-ministre-de-la-culture-sauvons-les-collections-de-la-médiathèque-de-pointculture

1Un grand, Joseph Roth, 1894-1939. Lire le petit Allia, 45 pages, 3,10 euros, puis La marche de Radetzky, Points Seuil, 2008.

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2Car la Médiathèque est une ASBL, aberration n°1 dans ce dossier...

3Comme notait le travailleur de la médiathèque de l'ULB cité plus haut, c'est faire de l'institution "un canard boîteux pour mieux l'achever ensuite".

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