Clivant, l'Ukraine. Et tabou, l'Otan. Sur cette toile de fond, une petite saga de chasse aux sorcières, journalistico-particratique. Mama mia!

Il était une fois le dimanche 26 février 2023. Il faisait plutôt frisquet. Du côté de la gare du Nord, les pittoresques maisons closes ont fait place à d'inhumaines tours verre-béton-acier que la spéculation immobilière a fourgué à l'État. Il y a aussi des aires gazonnées balayées par les vents. Pas un rat ne s'y aventurerait, même en tenue de touriste japonais. C'est de ce no-man's-land miséreux que s'ébranlent en général à Bruxelles les cortèges de manifestants. Idem, ce 26 février.

Cela se voulait manifestation nationale mais il n'y a pas foule. Un millier, guère plus. Si la grande idée était de faire la preuve de ce que la population belge est éprise de paix et qu'elle n'a de vœu plus cher que la fin des hostilités en Ukraine, c'était plutôt raté. L'insignifiance du mot d'ordre a dû jouer. La paix: qui n'est pas pour? Mais quel paix, comment et, surtout, entre qui? Entre l'Ukraine et la Russie? Ou entre Washington et Moscou? Et quoi, l'Europe aux abonnés absents?

Une paix pavée de...

Rien de cela dans le tam-tam de notre dimanche frisquet et clairsemé. Donc, il était une fois: rien du tout. En bonne logique, l'histoire devrait s'arrêter là, en queue de poisson, et le conte aller ailleurs se trouver des protagonistes moins anémiés. C'est sans compter avec les conséquences, car dans l'historiette qui nous occupe, la souris va accouché d'une montagne. Un monticule, diront d'aucuns, mais ça, c'est si on se place à Pékin. Or, là, c'est Bruxelles, la capitale des skieve architekt.

C'est qu'au sein des organisateurs de cette manifestation, quelques voix s'étaient faits entendre pour dire qu'il fallait absolument mettre en avant le rôle moteur de l'Otan dans cette guerre. Quelques voix: le gros de la troupe, lui, était cependant d'avis de ne pas politiser et d'en rester sur le thème consensuel de la paix et de la condamnation unilatérale de la Russie, histoire de "ratisser" large. Ainsi fut fait. D'un côté, des calicots arc-en-ciel "peace and love". De l'autre, en nombre restreint mais très visibles, des bannières épinglant l'Otan. De ce côté-là, pour les nostalgiques, un petit air de "US go home".

C'est à partir de là que commence un vaudeville bien dans l'esprit du folklore politique belge. Car quelques jours plus tard, voilà que s'empare de son téléphone un représentant de ce qui fut le parti catholique, devenu social-chrétien, puis humaniste et enfin "engagé", le micmac des étiquettes n'entamant guère, reconnaissable entre mille, l'atavisme propre aux descendances vaticanes. Qu'elles soient plutôt de droite ou plutôt de gauche, le saint esprit sera toujours de la partie. Il prend donc son téléphone notre bonhomme et, comme il est d'usage en pareil cas, il téléphone. À qui? Au journal La Libre, de même obédience. On est entre gens qui se comprennent à demi-mot. Et c'est pour dire quoi?

C'est du téléphoné?

Là, on n'en sait que ce que le journal choisira d'en dire, ce d'évidence avec une oreille fort complaisante. Il y aura ainsi, au départ dudit téléphonage, plusieurs articles, les 2, 10 et 17 mars 2023. D'où il ressort que le parti chrétien-humaniste-engagé est outré et a claqué la porte de l'association-coupole (le CNAPD, c'est sur Google), la cheville ouvrière côté francophone de la manifestation pour la paix en Ukraine, ce au motif que le petit groupe de manifestants anti-Otan aurait "infiltré" le cortège et brandi des slogans "pro-Poutine" - affirmation doublement fausse, ce petit groupe étant membre du CNAPD depuis plus de vingt ans et avaient à ce titre activement participé à l'organisation de cette manifestation, et n'avait pour le surplus étalé aucun slogan "pro-Poutine" (sic). En d'autres temps, les journalistes recoupaient leurs sources, mais ça, bonsoir.

Le petit groupe en question, le CSO, Comité de surveillance Otan (Google réagit ici aussi direct), s'est évidemment fendu d'un droit de réponse à La Libre, qui restera lettre morte. Là, encore, au rayon mœurs journalistiques: re-bonsoir. Ceci soit dit en passant.

Cachez-moi cette verrue

Vaudeville, acte II. L'affaire est loin d'être close à ce stade, les articles de La Libre ayant eu de facto fonction de rampe de lancement. C'est que dans la foulée, nos chrétiens-humanistes-engagés vont demander que le CNAPD éjecte le CSO au terme d'une procédure d'exclusion. D'un claquement des doigts? Presque. Car, et ceci n'étonnera que les candides, le CNAPD est surplombé comme beaucoup d'autres grosses ONG-coupoles d'une structure dirigeante - conseil d'administration (†) - totalement particratisée, composée de chrétiens (4), de socialistes (2), de ptb-istes (1) et (parmi les plus zélés défenseurs de l'Otan), d'écolos (2). Manquent juste à l'appel les libéraux, mais l'entrisme, ce n'est pas leur fort. Il ne fut dès lors pas très difficile, à ce niveau-là, de parvenir à une décision de suspension du CSO en attendant l'exclusion par assemblée générale des organisations membres, une trentaine.

Cette délibération-là aura lieu le 27 juin dernier avec, en point d'orgue, la proposition d'exclusion, mesure rarissime dans le petit monde plutôt bisounounours de l'associatif, surtout lorsque la motivation est d'ordre politique. N'y est pas étranger évidemment le fait que la guerre en Ukraine est un sujet passablement "clivant" et, même, source de haines corses entre, jusque-là, des amis, principalement dans la gauche et ce qui s'en réclame. Pour le conseil d'administration, douche froide. Car sur les quelque trente-deux associations membres, présentes ou représentées, le rejet de l'exclusion projetée sera acquis par 59% des voix, 72% si l'on y inclut les abstentions.

Du mémoire de défense prononcé par la représentante (‡) du CSO, on retiendra particulièrement peut-être l'espoir que, malgré les "divergences importantes au sein des associations de paix", celles-ci puissent se régler, non pas "à coups d'exclusion ou de suspension", mais au travers de "débats honnêtes entre nous". Il y a là comme un écho teinté d'ironie émis à l'adresse de la presse dite "mainstream" où, sur le sujet, il n'y a pour ainsi dire nul débat, honnête ou autre.

Il n'y aura pas d'acte III. Le conseil d'administration désavoué du CNAPD n'a pas démissionné, en tout ou en partie. Et La Libre n'a donné aucune suite au courrier l'invitant à informer son lectorat de l'évolution embarrassante du dossier et, pourquoi pas, en faisant amende honorable par rapport aux allégations mensongères dont le journal s'était fait le véhicule.

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(†) On laissera aux historiens de la linguistique le soin d'expliquer comment les membres de conseils d'administration en sont venus à passer du statut d'humbles conseillers de leur institution à celui d'administrateurs plénipotentiaires. Et aux politologues de talent d'autopsier le mouvement de dé-démocratisation des associations, mû par l'État, fondé de pouvoir de qui on sait, et consistant en un transfert progressif des pouvoirs de décision aux conseils d'administration au détriment des assemblée générale, de moins en moins souveraines.
(‡) C'est délibérément que les protagonistes de ce petit conte de non-fiction - journalistes, administrateurs CNAPD, porte-parole du CSO - ont été anonymisés. Leurs noms importent peu, bien leurs actes.