Mortel carrousel turco-syrien

Les calepins

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Mercredi 9 octobre

 Erdogan avait des fourmis dans l’index. Il appuya sans tarder sur le bouton des commandes fatidiques, feignant d’omettre la reculade de Trump. La Turquie bombarde donc le nord de la Syrie et le carrousel reprend de plus belle. Alléluia !

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 Lorsque l’on feuillette des ouvrages annonçant la fin du capitalisme (oui, on prévoit la fin de tout, et même des glaciers, pourquoi donc les régimes glaçants ne périraient-ils pas aussi… ?), on est confronté à des substantifs ou des expressions bizarres, souvent des néologismes de circonstance. Mais contrairement à d’autres disciplines, ceux-ci n’émanent pas de l’anglais. Notons par exemple, sans leur prêter un grand avenir : le lucre sans limites, le court-termisme de la finance, la déresponsabilisation… La dé-quelque chose (déremboursement, désamour…) est du reste une manie sémantique liée vraisemblablement à l’esprit du temps, et qui s’est incrustée depuis déjà longtemps dans le langage ordinaire. Tout amoureux de la France devrait avoir lu « Le Dépaysement-Voyages en France », le chef-d’œuvre de Jean-Christophe Bailly (éd. du Seuil) qui obtint le Prix Décembre en 2011 et le Prix Paris-Liège en 2012.

Jeudi 10 octobre

 Macron est un Européen convaincu, actif, dynamique, dont l’enthousiasme alimenté par une intelligence supérieure apporte au Vieux continent l’espoir d’améliorer sa construction. Dans cette partie si importante et si exigeante de ses activités, il sait repérer les talents susceptibles d’apporter à l’Europe la vitalité renforcée qui lui permettra de progresser. En revanche, Macron n’a pas le flair pour détecter la dimension politique des personnes qu’il repère. La liste de son parti aux élections européennes fut conduite par Nathalie Loiseau, un choix inattendu qu’il espérait d’abord gagnant parce que surprenant. L’impétrante était aussi mal à l’aise sur les plateaux, nulle aux tribunes, qu’un éléphant sans magasin de porcelaine. Macron vient d’encaisser une véritable humiliation : celle qu’il désigna pour la Commission, Sylvie Goulard, est recalée par les eurodéputés. L’Élysée a beau parler de « jeu politique », le coup est dur et il était prévisible. Cette femme, sûrement très compétente pour servir l’Europe (elle était déjà aux côtés du président Romano Prodi au début du siècle) a des ennuis avec la Justice pour des emplois fictifs au profit du parti de Bayrou, le MoDem. Elle sera peut-être blanchie mais pour l’heure, le parlement préfère ne pas transiger. Que va faire Macron ? Quelle sera la nouvelle lapine qu’il sortira de son chapeau ? Ah ! Si c’était encore François Hollande, il n’aurait que l’embarras du choix… Ségolène Royal, Martine Aubry, Élisabeth Guigou… Trois noms qui ont dû traverser les réflexions du président, ne serait-ce que pour certaines raisons tactiques, mais ce beau trio affiche désormais des âges un peu trop mûrs : de 66 pour la première à 73 pour la troisième, en passant par 69 à la maire de Lille… Pourtant, désigner la fille du nonagénaire Jacques Delors, ça aurait de la gueule, et ça libérerait le beffroi pour peut-être un candidat LREM….     

                                                                        *

 Il y a longtemps que Peter Handke aurait pu recevoir le Prix Nobel de Littérature. Son théâtre et ses 80 romans le justifiaient. Mais les polémiques déclenchées à la suite de son soutien à Slobodan Milosevic, le boucher serbe (censure de la Comédie française, procès – qu’il gagna – avec le Nouvel Observateur…) retardèrent la consécration. Elle survient aujourd’hui. C’est bien ainsi.

Vendredi 11 octobre

  • Non Recep, tu ne dois pas !...
  • Comment, j’avais compris que…
  • Non Recep, ce n’est pas bien de bombarder les Kurdes…
  • Mais…  Tu m’avais dit…
  • Oui, eh bien j’ai changé d’avis. Ou plutôt non : tu m’avais mal compris !

(extrait d’un dialogue imaginaire entre le président turc Recep Erdogan et le président étatsunien Donald Trump)  

                                                                        *

 Se souvenant de Rimbaud (« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans… ») le jury Nobel n’a pas couronné Greta Thunberg. Il a préféré honorer « L’Obama éthiopien », le Premier ministre d’Addis-Abeba Abiy Ahmed pour la réconciliation spectaculaire qu’il a réussie entre son pays et l’Érythrée, un conflit dont on ne parlait jamais, pour une guerre, la dernière du siècle passé, qui se solda par des dizaines de milliers de morts. L’Histoire dira dans deux ou trois décennies si le jury Nobel a manqué d’audace. Quoi qu’il en soit, sa fonction ne consiste pas à détecter le génie adolescent. Il pourrait aussi, si le combat pour le climat perdurait et par prudence quant au devenir de la petite suédoise, couronner dans un ou deux ans une organisation de type ONG chargée de mener ce combat et que Greta aurait constituée, ce qui, en toute logique, devrait se produire bientôt.

Samedi 12 octobre   

 On se promet de ne plus noter les trumperies, considérant que plusieurs livres paraîtront qui les répertorieront (de gros ouvrages, assurément, vu la masse…), et puis, c’est plus fort que soi, on n’y résiste pas, tant la bourde est énorme. Le président des États-Unis d’Amérique s’estime en droit logique d’abandonner les Kurdes parce que ceux-ci n’étaient pas venus aider au débarquement de Normandie, le 6 juin 1944. Le président des États-Unis d’Amérique est vraiment un imbécile. 

                                                                        *

 Xavier Bertrand prépare 2022. Ce peut être un candidat sérieux. Il entame sa longue marche anti-Macron par une réflexion sur l’islam et un reproche à propos du manque de clarté du président de la République. Pour Bertrand, Macron n’ose pas établir une nette distinction entre l’islam, religion musulmane et l’islamisme, idéologie terroriste. Partant, il y distinguerait même parfois de la confusion entre les concepts religieux et celui de laïcité. Á Liège, où François Hollande était venu clore trois journées de réflexions organisées par le Centre d’Action laïque (CAL) à l’occasion de son 50e anniversaire, le prédécesseur de Macron tient un langage équivalent sans toutefois l’inscrire en une charge contre le président actuel. Le lieu ne s’y prêtait pas. Il n’empêche que l’on peut se demander si, compte tenu des phénomènes d’immigration et d’intégrisme religieux souvent propices à des amalgames, la laïcité n’est pas en train de s’imposer comme élément du débat essentiel en une France déboussolée dans ses valeurs républicaines. Il serait temps, car comme le terrain de la laïcité avait été délaissé aussi bien par la gauche que par la droite, s’appuyant sur le fait qu’elle figure en toutes lettres dans l’article premier de la Constitution, l’extrême droite s’en était emparée.

Dimanche 13 octobre

 En France, on enregistre un suicide d’agriculteur par jour. Édouard Bergeon a réalisé son film « Au nom de la terre » en hommage à son père Christian qui périt de cette manière. On apprend cela juste avant que ne défile le générique de fin et du coup, on a tendance par respect, à revoir son jugement. Car on trouvait le film trop chargé de pathos ; un peu décousu aussi, qui donnait l’impression de proposer la dernière image tandis que l’histoire rebondissait ; qui emmenait le spectateur sur la voie d’un accident (les enfants imprudents avec le matériel de la ferme…), etc. Mais c’est une histoire vraie, on nous le dit, et c’est le fils qui la raconte. On est choqué. Les attitudes fortes de Guillaume Canet, le paysan qui court à sa perte, demeurent à l’esprit. Il n’y a pas assez de films qui traitent des drames de la terre. Autrefois, on admirait « Goupil mains rouges » (Jacques Becker, 1943) ou « L’Affaire Dominici » (Claude Bernard-Aubert, 1973) en suivant les tragédies qui se jouaient autour de Fernand Ledoux-Goupil, ou de Jean Gabin-Gaston. C’était des drames qui ressortaient aux faits divers. Les drames de la terre que le cinéma nous propose désormais concernent la vie ordinaire et bousculent le citoyen qui prend conscience d’une société bancale. 

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 Victor Hugo dit : « De tout ce qui fut nous, presque rien n’est vivant (…) Que peu de temps suffit pour changer tant de choses » (« Le Rayon et les Ombres », 1840). Il a 38 ans. Il dit vrai.  Oscar Wilde dit : « Le drame de la vieillesse, c’est qu’on reste jeune. » Il dit vrai.  Victor Hugo l’a prouvé.

Lundi 14 octobre

 Moissons dominicales.

Kais Saied est élu président de la République tunisienne avec plus de 75 % des voix. Ce sore ne nécessite pas d’autre commentaire que celui d’en prendre acte. Cet homme de loi intègre veut redonner vie à un pays tourmenté. C’est un conservateur au plan des mœurs, beaucoup plus ouvert aux idées neuves qu’on ne le craindrait. Et si c’était un de Gaulle tunisien ? Attendre et voir. Les ultraconservateurs polonais ont encore renforcé leur impact sur la société la plus catholique réactionnaire d’Europe. Il ne serait pas surprenant de voir arriver à l’ouest des cars de femmes venant se faire avorter, comme il en partait autrefois de France ou de Belgique vers les Pays-Bas. Et puis, un trait lumineux chargé d’air frais arrive de Hongrie. Pour la première fois depuis 2006, le parti de Viktor Orbán a perdu des élections. En l’occurrence, il s’agissait d’élections municipales. Plusieurs villes importantes sont passées au centre gauche, à commencer par Budapest.

 Mais pendant ce temps-là, Erdogan continue à pilonner les Kurdes et le Royaume Uni s’oppose à ce que l’Europe impose un embargo sur les ventes d’armes à la Turquie au prétexte que celle-ci fait partie de l’OTAN. C’’est peut-être le dernier acte qu’aura posé le Royaume-Uni en tant que membre de l’Union européenne. Un geste qui fera tache dans son histoire. Non vraiment, nous n’étions pas faits pour nous marier. Restons bons voisins, épaulons-nous en cas de péril, entretenons des bons échanges, mais vivons notre vie indépendamment les uns des autres.

                                                                        *

 Pascal Bruckner est devenu septuagénaire. Il est entré désormais dans ce qu’il nomme « l’été indien de la vie ». Il s’est repenti de ses errances bushiennes. On comprend donc qu’il regrette d’avoir été favorable à la guerre en Irak. Soit. En tant que philosophe, il pourrait disserter sur la pertinence et la véridicité du proverbe « Mieux vaut tard que jamais ». Cela nous enrichirait.

Mardi 15 octobre

 Quand un autocrate connaît des difficultés au plan économique, afin de les masquer tout en s’attirant un regain d’estime populaire, il déclenche une guerre. L’Histoire ne manque pas d’exemples, le plus cocasse étant la guerre des Malouines que déclencha la junte argentine le 2 avril 1982 et qui lui fut fatale deux mois plus tard. Pour l’heure, c’est Recep Erdogan qui dégaine contre les Kurdes, ceux-là mêmes qui avaient aidé l’Occident à éradiquer Daech, l’État islamiste. Vieille querelle à contre-jour d’une éclaircie trop brève sur la Syrie où, si ça continue, il faudra remercier Bachar el-Assad d’avoir mis son armée à la disposition de la défense kurde. De partout viennent des protestations. Cette fois, l’expression « communauté internationale » prend tout son sens puisque même la Chine appelle à l’arrêt des bombardements. Rien n’y fait. Erdogan déclare qu’il achèvera le boulot entrepris et savoure son aura reconquise. Une grande partie de son peuple lui montre son approbation au point que l’équipe nationale de football salue militairement ses partisans dans les stades à l’issue de ses prestations.

                                                                        *

 Elizabeth Warren. Née le 22 juin 1949 à Oklahoma City. Professeur de droit. Sénatrice du Massachusetts depuis le 3 janvier 2013. Parti démocrate. Á suivre.

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« Marcel Duchamp reçoit le prix Baudelaire ». Il fut un temps où ce titre aurait pu s’étaler dans la presse. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui est vrai. Le prix Marcel Duchamp, qui, depuis 2000, récompense les artistes de la scène française les plus novateurs de leur génération, a été attribué à Éric Baudelaire, artiste-cinéaste. Le Centre Pompidou devrait révéler ses talents dans une prochaine monstration. Á découvrir.

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