Ne jamais dire "jamais"

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Plusieurs milliers de sympathisants de l'ex-président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ont manifesté dimanche 9 juin 2019 à Curitiba (sud) devant la prison où il est incarcéré depuis un an pour corruption. Photo © AFP / NELSON ALMEIDA

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Samedi 1er juin

La gauche s’était tellement disloquée de l’intérieur que François Hollande avait dû décider de ne pas représenter sa candidature. Elle fut laminée aux élections législatives qui suivirent la présidentielle. Elle se veut à présent sur la voie de la reconstruction. Rien n’est moins sûr. La droite avait vécu la sordide aventure Fillion. Elle fit pâle figure mais elle donnait l’impression de recouvrer dynamisme et cohésion. Ce n’était qu’un leurre. La liste qu’elle présenta dimanche dernier aux élections européennes a réalisé un score historiquement faible. Elle est en crise d’adhésions et de représentation. Le projet canonique d’Emmanuel Macron est de ce fait apparu au grand jour : casser les familles traditionnelles, ne laisser que l’extrême droite comme opposant principal. L’avenir du quinquennat (et même du suivant) se résume donc désormais à une question simple et claire : le Rassemblement national peut-il un jour arriver au pouvoir ? C’est le sujet primordial des commentateurs et des observateurs. C’est aussi le sujet des déjeuners en ville. Ni les défenseurs de la réponse affirmative, ni les partisans de la réponse négative ne possèdent les dons de la voyance. On peut juste oser quelques éléments de réflexion. Ainsi, outre les lieux communs du type « En politique tout est possible » ou « Rien n’est jamais acquis », etc., on notera qu’autrefois, durant les années d’ascension de la gauche, tous ceux qui redoutaient son arrivée se consolaient en prétendant que le scrutin majoritaire à deux tours ne lui permettrait jamais de dominer l’Assemblée nationale. Cependant, l’ « état de grâce » prédit par Mitterrand lui apporta une majorité très confortable (la vague rose…) en juin 1981. Autre lieu commun : « En politique, il ne faut jamais dire « jamais » »

Dimanche 2 juin

 Deux décennies avant le siècle, quand on employait les initiales PC dans le langage courant, on parlait du parti communiste. En un rien de temps, la technologie supplanta la politique. PC devint « personal computer ». Par bonheur, c’est le français qui s’imposa (pour une des rares fois) grâce au beau substantif d’ordinateur. L’an prochain, on aura peut-être oublié que parler d’AOC n’a plus rien à voir avec l’œnologie mais plutôt avec la présidence des États-Unis d’Amérique. Car de même qu’il fallait, il y a près de quinze ans, percevoir et suivre ce grand et beau noir qui répétait « Yes we can », de même convient-il de s’intéresser à Alexandria Ocasio-Cortez, 29 ans, socialiste du Bronx, devenue la plus jeune élue du Congrès, et que donc ses fans nomment désormais AOC. Son combat, c’est la lutte contre la corruption, ce qui va la conduire à l’affront avec la mafia ; et la justice sociale, ce qui l’opposera totalement au big system américain. Bref, elle est bien partie pour être l’anti-Trump par excellence, même si son jeune âge ne la propulsera pas au tout premier plan. Á suivre pendant les primaires démocrates où l’on se pressera au portillon. 

Lundi 3 juin

 Marion Maréchal (anciennement Marion Maréchal – Le Pen…) est née le jour des Droits de l’Homme. Ça ne s’invente pas. Elle aura 30 ans le 10 décembre prochain. Depuis qu’elle a pris ses distances avec sa tante Marine, elle observe, elle donne des conférences, elle attend… Elle a même créé une école. De temps en temps, elle distille un avis, une critique, un peu de venin parfois, mais pas trop, toujours bien relayée par les médias. Puisque Laurent Wauquiez, après la branlée que Les Républicains reçurent dimanche, a décidé de rendre son tablier, Marion lance l’idée d’un grand parti de droite à reconstruire, par-delà le Rassemblement national. Trois fois rien, juste un petit ballon d’essai… Une réflexion de joueuse de poker. Pour voir… Macron spécule sur une bipolarisation où il sera toujours gagnant face à Marine. Mais ce sera plutôt la nièce qu’il devra un jour affronter. Et là…

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 Jours ludiques en Angleterre. Donald Trump débarque. Amateurs de nonsense, soyez bénits ! Les médias ne le lâcheront pas d’une seconde. Avant même que son avion atterrisse, il traite déjà le maire de Londres de loser. Bizarre. On aurait plutôt pensé que le maire de Londres fût un « winner »… Puisque, musulman, il a gagné haut la main l’élection municipale. Mais il est vrai que toute la politque de Trump repose sur le qui-perd-gagne, alors… Bah ! Tant que l’on peut en rire…

Mardi 4 juin

 Contrairement à ce que l’on pourrait croire, à ce que les médias laissent entendre, l’extrême droite ne progresse pas dans toute l’Europe. Au Danemark, elle a perdu plus de 50 % de ses suffrages. La grande gagnante est la social-démocratie qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, à ce que les médias laissent entendre, n’est pas en crise partout. Dans la soirée du 26 mai, à Copenhague, les libéraux faisaient les yeux doux à la présidente des socialistes. C’est que demain, on votera pour les élections législatives.

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 Petit message à Emmanuel Macron. Dans les années soixante, André Malraux avait énoncé un théorème en marbre : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien. » Un homme a longtemps médité ce postulat, jusqu’à en trouver la sortie. Ce fut, les 10 et 11 juin 1971, le Congrès d’Epinay, la création du Parti socialiste,  et ensuite, pendant dix ans, l’irrésistible ascension jusqu’à l’Élysée. 

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 Jean-Pierre et Luc Dardenne développent un talent très personnel pour, caméra à l’épaule, suivre le héros de leur histoire et le rendre proche, familier même, en donnant connaissance de ses moindres gestes, comme celui, par exemple, de se laver les mains. Le jeune Ahmed se lave souvent les mains, chaque fois qu’il lui arrive de toucher quelque chose d’impur. Son imam l’a sensibilisé aux versets coraniques au point de l’avoir conduit dans un monde qui le met en conflit permanent avec celui, ordinaire, dans lequel il se meut. Idir, l’adolescent qui incarne Ahmed, est pleinement dans le rôle et l’on attend que les Dardenne révèlent comment ils l’ont découvert, comment ils l’ont repéré dans le casting, et surtout comment il est aujourd’hui admis dans la communauté musulmane de sa région. Ce qui semble certain, c’est que contrairement à d’autres acteurs amateurs venus au cinéma et y faisant carrière grâce aux Frères (Émilie Dequenne, Olivier Gourmet…) Idir ne devrait pas continuer sur cette voie. Il ne faut jurer de rien mais il est comme dans le film, disait Luc, « très fermé ». « Le jeune Ahmed » est une histoire simple, troublante, banale mais ô combien délicate, appartenant à la vie quotidienne de n’importe où, dans une déchirure familiale qui pousse à l’éloignement et à l’isolement ; qui ne rassure pas. Il ne faut pas compter sur les Dardenne pour raconter un vivre ensemble qui procure un happy end. Pour cela, voir plutôt chez Walt Disney.

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 Au cours de son voyage en Roumanie, le pape a demandé pardon, au nom de l’Église catholique, pour les attitudes condamnables qu’elle prit autrefois à l’égard des Roms. Page suivante : sur le plateau de Ruquier, samedi soir, Christine Angot a créé la polémique dans une comparaison osée entre la Shoah et l’esclavage des noirs africains. Elle s’excuse. Qu’est-ce donc que ce monde où l’on pratique la rédemption à tour de bras, effaçant d’un revers de main (un moment de honte est vite passé) des actes ou des propos qui ont entaché parfois gravement l’épopée humaine ? Au regard de l’Histoire, le petit jeu de « qui excuse quoi ? »  est infini. Il ne remplacera pas le Monopoly dans les chaumières mais il développera les imaginations, parfois jusqu’à l’impasse suprême. Ainsi, imaginons que Nietzsche aurait voulu s’excuser d’avoir déclaré : « Dieu est mort ! » Auprès de qui aurait-il dû présenter des excuses ? Le pape, le grand rabbin, un ayatollah haut placé ? Son miroir, c’eût été mieux.

Mercredi 5 juin

 Curitiba, capitale de la région brésilienne de Paraná, dont la métropole compte plus de 3,5 millions d’habitants, pourrait bien devenir un des hauts lieux de mémoire dans l’histoire de la Gauche. La prison qui se trouve en bord de ville abrite depuis le 7 avril 2018 l’ancien président de la République, Lula da Silva, toujours très populaire au point qu’un campement s’est constitué sur la place juste en face de la cellule qu’il occupe. Trois mille personnes y séjournent en permanence si bien qu’un village sauvage s’est quasiment constitué où passent chaque jour des centaines de sympathisants. Il est possible de se désaltérer, de se nourrir et, bien entendu, d’y loger en bénéficiant de conditions sanitaires précaires mais suffisantes. Parmi les banderoles et les calicots, on envoie des messages de solidarité à l’illustre détenu et l’on commente la politique du dangereux Bolsonaro qui ne s’est pas gêné pour nommer ministre le magistrat qui fit emprisonner Lula sans preuve. Le journal Le Soir consacre deux pages pleines à ce lieu de protestation permanente. On doit souhaiter qu’il motive ses confrères et les médias audiovisuels. Il y a là matière à un reportage hors du commun, surtout par les temps qui courent.

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 « Le refus d’une Institution à reconnaître ses erreurs, moi, j’aime ça !» lance Roman Polanski. Suivez son regard. Et du coup, il réalise un film sur l’Affaire Dreyfus avec Jean Dujardin dans le rôle du lieutenant-colonel Picquard et Louis Garrel dans celui d’Alfred Dreyfus. Sortie le 13 novembre. On se réjouit déjà.

 

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