Notre drame commun

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Mardi 16 avril

 Macron renonça hier soir à son intervention télévisée. Il fit bien. L’incendie qui ravagea une grande partie de la cathédrale de Paris fut très vite perçu comme un drame qui mobilisa tous les médias en des émissions spéciales jusqu’au début de la nuit (Drame : le mot est employé par Libération pour sa une, repère historique comme tant d’autres. En pleine page : la flèche reconstruite par Viollet-le-Duc qui s’effondre et seulement ces deux mots : « Notre drame ». Superbe raccourci avec un jeu de mots si expressif… Le deuil est beau quand il est sobre). Le plus étonnant, c’es que ce drame ne fut pas que parisien, il fut national. Mais il ne fut pas non plus que national, il fut européen et mondial. Il ne touchait pas que les catholiques, il concernait tout le monde. C’est pour cela que le titre de Libération est fort. Ce drame, c’est notre drame. Le drame de la communauté humaine. De toutes parts vinrent des paroles de solidarité, de sympathie, d’encouragements. Tout à coup, Paris recouvrait sa place de Ville lumière, de Ville universelle. Amiens, la plus grande, Bourges, Reims, qui fut en partie détruite par les bombes de ’14-18… Bien d’autres cathédrales gothiques de renom pourraient subir le malheur sans déclencher pour autant l’élan que l’on vécut hier soir. Cet élan va se concrétiser, c’est sûr, par des dons importants, magistraux, peut-être même disproportionnés. « Nous la rebâtirons, je m’y engage » déclara Macron devant le monument éventré par les flammes. Il n’aura pas besoin d’ouvrir les caisses de l’État. Un chantier de plusieurs décennies va s’ouvrir où des talents vont s’adonner à une œuvre colossale de restauration. Notre-Dame de Paris accueillait 30.000 visiteurs par jour. Elle gardera son attraction aimantée, aimante.  

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 « Rebelles », d’Allan Mauduit, est un film distrayant parce qu’il propose une histoire invraisemblable et parce que l’on se plaît à suivre le jeu du trio infernal formé de la belle Cécile de France, l’impétueuse Audrey Lamy et l’inénarrable Yolande Moreau.

Mercredi 17 avril

 Selon World Inequality database, depuis 1980, les 1 % des Européens les plus riches ont vu leur revenu moyen croître deux fois plus vite que celui des 50 % les moins aisés. Ce n’est pas le procès de l’Europe libérale, c’est celui de l’Europe ultralibérale.

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 Le livre, une présence, une force, un témoin du supplément d’âme pour tous. Après les attentats de Charlie-hebdo et du Bataclan, en 2015, le Traité sur la tolérance de Voltaire connut un succès considérable. Il semble que le "Notre-Dame de Paris" de Victor Hugo connaîtra le même sort. La plupart des librairies sont en rupture de stock. 

Jeudi 18 avril

 Des badauds continuent d’errer autour de Notre-Dame de Paris. Des Parisiens viennent et reviennent, comme s’ils voulaient vérifier qu’ils n’ont pas été victimes d’un cauchemar. Les micros des médias se tendent. Il est désormais question de la reconstruction du monument et de son coût. On attend l’ouverture de la souscription nationale. Une dame signale qu’elle donnera 100 euros et que « si ce n’est pas assez », elle donnera encore 100 euros deux ou trois mois plus tard. Une autre « espère pouvoir donner 100 euros… » On sent que ces braves gens se soumettent à un petit sacrifice pour sauver le prestigieux patrimoine national. L’antenne est rendue au studio. On apprend que des promesses de dons furent déjà enregistrées pour plus d’un milliard. Les capitaines d’industrie Pinault, Arnault et Bettencourt atteignent à eux trois 500 millions. Comme les patriciens sous l’Ancien régime, comme les riches aristocrates de la Renaissance italienne (et d’ailleurs ...), les très fortunés ambitionnent de laisser leur nom dans l’histoire de l’Église. S’ils n’y perçoivent plus sans doute le billet assuré pour le paradis, ils ressentent toutefois le merveilleux sentiment d’avoir été utiles à leurs pays. Oui, braves eux aussi, et surtout en leur âme et conscience, avec des abattements fiscaux à la clé…. Ces annonces indécentes démontrent combien la situation économique et financière de l’État est bancale. Avant même que soit lancée la souscription nationale, les fonds réunis pour restaurer Notre-Dame dépassent peut-être la totalité des besoins. Certains observateurs craignent que l’incendie de Notre-Dame soit le signe d’un désastre à venir, d’une Apocalypse moderne. C’est en tout cas le révélateur d’inégalités croissantes et criantes au sein du peuple de France. Dans quelques jours, Emmanuel Macron devrait indiquer qu’il ne rétablira point l’impôt sur la fortune (ISF). 

Vendredi 19 avril

 Le spectre des années noires hante l’Irlande du Nord. Des bombes explosent à Londonderry. Une journaliste en meurt. La police considère que l’attentat est dû à des dissidents de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) qui n’ont jamais apprécié les accords de paix. Ceux-ci datent de 21 ans. Il est étrange que ces guerriers de banlieue ne se soient pas manifestés pendant plus de deux décennies. Le Brexit n’aurait-il pas réveillé leur colère ? Une majorité d’Irlandais veulent une Irlande unie ; ils ne souhaitent pas lier leur sort à celui du Royaume-Uni, voilà l’explication. Un Brexit interne - demain l’Écosse indépendante - voilà où les tergiversations du parlement britannique pourraient mener. « Un p’tit peu d’Eire, ça fait Dublin » avait autrefois lâché François Reynaert. Si même l’humoriste est prophète…  

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 Arte a obtenu un document Confidentiel Défense par lequel on apprend que les armes vendues par la France à l’Arabie saoudite tuent des civils au Yémen. Florence Parly, ministre de la Défense, nie. Les armes françaises sont « utilisées de manière défensive ». Qu’est ce que cela veut dire ? Une arme, c’est fait pour tuer. Le lien de la France avec l’Arabie saoudite – comme celui d’autres puissances occidentales – est connu et ne date pas d’hier. Bien des raisons, bonnes ou mauvaises, qui relèvent de la diplomatie réaliste, en découlent. C’était la tache nécessaire dirait-on. Cela ne bousculait personne, pas davantage les consciences. Mais aujourd’hui, le jeune prince impétueux Ben Salam adopte des attitudes martiales. Il se sent pousser des ailes de conquérants, ce qui explique la guerre stupide qu’il mène au Yémen. Il n’a pas fini de mettre ses amis privilégiés dans l’embarras.

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 Sur la manchette du livre que vient de publier l’enseignante et essayiste Barbara Lefebvre (« C’est ça la France », éd. Albin Michel), il est écrit : « Qu’a-t-on fait pour mériter cela ? » Ce soir, elle présente son dernier-né sur Europe 1. Inévitablement, le dialogue atterrit sur la personnalité d’Emmanuel Macron. « Le problème avec Macron, c’est qu’on ne voit jamais quand il est dans la com’ ou dans la réalité »

Samedi 20 avril

 Le haut-militaire al—Sissi, qui dirige l’Égypte depuis six ans, s’est bâti une révision de la Constitution qui le laissera au pouvoir jusqu’en 2030. Un référendum doit l’approuver. Il paraît qu’un sort peu enviable est réservé à ceux qui s’y opposent. Vraiment ? Ceux qui s’y opposent, ne seraient-ce pas des terroristes désireux de faire du tort à ce grand pays arabe ? Heureusement que le maréchal Sissi veille !

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 L’Ukraine prend tout à coup, par sa campagne présidentielle, une longueur d’avance sur tous les pays réputés pourtant plus développés qu’elle médiatiquement. Grâce à Internet, des vidéos de campagne infâmes sont projetés où l’on voit notamment un candidat prononcer l’oraison funèbre de son adversaire devant sa tombe… Et bien d’autres images délirantes du même tonneau qui effacent totalement l’idée d’exposer un programme de gestion. « Nous sommes les héritiers de Charlie-hebdo ! » lance la responsable de ces facéties audiovisuelles. Le second tour oppose le président sortant à un comédien très populaire mais totalement inexpérimenté. Le face-à-face habituel ne se déroule pas dans des studios mais en plein air, sur scène, dans le stade olympique de Kiev, devant une assemblée aussi nombreuse et excitée que pour un combat de boxe ou un concert rock. On est dans le degré zéro de l’exercice démocratique. C’est en Ukraine, un ancien grand pays du bloc soviétique, bien calé entre la Russie et l’Union européenne.

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 La violence est de retour dans la 23e prestation des Gilets jaunes. On casse, on pille, et le même constat est souligné devant les caméras : « Oui, il y a des casseurs qui nous ont infiltrés mais on n’y est pour rien… » On observe néanmoins que Gilets jaunes et Black blocs font de plus en plus souvent cause commune. Un autre manifestant déverse sa bile sur le gouvernement. Il le soupçonne d’avoir déclenché l’incendie de Notre-Dame pour détourner l’attention des médias. Qu’il se rassure : BFM/TV est là pour couvrir leurs actions et diffuser leurs bêtises. De plus en plus de citoyens doivent en avoir marre de ces médiocres gesticulations. Il et probable aussi que de plus en plus de policiers doivent redouter l’arrivée du samedi. Ils étaient encore 60.000 cet après-midi à se faire taper dessus au moindre faux pas…

Dimanche 21 avril

Le comique a gagné ! Volodymyr Zelensky dirigera donc l’Ukraine. Il a remporté le second tour de l’élection présidentielle avec plus de 73 % des voix. Faut-il que le peuple aspire au changement pour s’exprimer aussi massivement au profit d’un homme inexpérimenté. Demain est un autre jour. On voudrait savoir ce qu’en pensent Poutine et Merkel, et ce qu’ils se sont déjà dits à ce propos.

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 Les familles Pinault et Arnault, ainsi que les descendants héritiers de Liliane Bettencourt ont assisté, chacun de son côté, à l’office religieux de la fête pascale. Comme tous les fidèles, ils ont participé à la quête. Leurs services de communication n’ont pas révélé le montant de leur obole. 

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 Elle est fringante la petite Zeniter, au prénom Alice, comme celle des merveilles. Est-ce l’héroïne de Lewis Carroll qui l’inspire ? En tout cas, elle n’a que 33 ans mais elle est déjà une vedette littéraire. Diplômée de Normale sup (rue d’Ulm), elle se dit romancière, traductrice, scénariste, dramaturge et metteur en scène. Rien que ça ! En 1917, son roman « L’Art de perdre » (éd. Flammarion) fut couronné de nombreux prix, dont le Goncourt des lycéens. Son dernier roman, « Home sweet home », rédigé avec Antoine Philias (éd. L’École des loisirs) – qui prépare une biographie de Bob Dylan en vingt volumes… - est paraît-il conçu pour adolescents. L’action se déroule à Cleveland (Ohio) au moment de la crise des subprimes. C’est sans doute une bonne manière de démontrer les failles du système capitaliste. Militante de gauche ? Pas vraiment. Quand on l’interroge sur ses options politiques, elle répond qu’elle est une adepte du « Çavapétisme ». Voici un néologisme savoureux qui pourrait bien avoir bientôt sa raison d’être.

Lundi 22 avril

 Daesh n’est pas mort. On le répète depuis qu’il fut chassé de son territoire croupion d’où devait naître un califat : l’État islamiste est toujours vivant. Le Sri Lanka vient d’en subir la preuve. Quelques grands hôtels et surtout quelques églises chrétiennes bondées en ce jour de fête pascale ont connu des attentats. Il y aura sûrement plus de 300 morts et au moins 500 blessés. Puisque la religion est un mal nécessaire à la réalisation, à la tenue et à la marche de l’humanité, il est indispensable de faire en sorte que la liberté religieuse soit inaliénable. En ce domaine aussi, le minoritaire est pourtant souvent traqué. Dieux de tous les Livres, entendez-vous !

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 Le peuple soudanais veut plus de démocratie. Le peuple algérien veut plus de démocratie. Á Khartoum autant qu’à Alger, aucun meneur n’est identifié, peut-être parce qu’aucun candidat meneur n’est accepté. Ni chef, ni guide. C’est la tendance qui se dégage des rejets de pouvoirs forts. Soit. Ni Dieu, ni César, ni tribun. C’est un peu ce que les Gilets jaunes voulaient aussi. Ils sont de plus en plus infestés de Blacks blocs.

Mardi 23 avril

 Qui est Camille Pascal ? Un haut fonctionnaire, romancier, essayiste, né en 1966 à Montpellier. II fut conseiller de Nicolas Sarkozy, rédacteur à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Il apparut à l’écran sur France 2 au cours de la soirée de direct continu causée par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Il se déclara « très catholique » et « très meurtri » … Comme il fut amené à démontrer le rôle historique de la cathédrale, il lâcha une énorme bourde que personne ne corrigea, en affirmant qu’après la descente glorieuse des Champs-Elysées le 25 août 1944 le général de Gaulle ne se rendit pas à l’Hôtel de Ville mais bien à Notre-Dame. On comprit qu’étourdi par l’émotion, il dévoilait ce qu’il aurait aimé que fût l’Histoire plutôt que ce qu’elle a été. Le dérapage, pour énorme qu’il fut, pouvait être dû aux circonstances dramatiques. Cependant, le beau parleur se manifesta de nouveau en calembredaines samedi soir chez Laurent Ruquier au point, pour son plus grand orgueil, d’être qualifié d’ « incollable » par le célèbre meneur de débats. Évoquant cette fois le roman « Notre-Dame de Paris », il expliqua sans ambages que le 28 juillet 1830, Victor Hugo était déprimé parce que sa femme allait accoucher d’un enfant qui n’était pas de lui mais de Sainte-Beuve. Or, tous les biographes sérieux de Victor Hugo situent la relation d’Adèle Foucher avec Sainte-Beuve bien au-delà de cette date où naquit leur cinquième enfant, Adèle, la seule qui survécut à son père. Ne craignant pas de tomber dans le tragi-comique de boulevard, Alain Decaux alla même plus loin (« Victor Hugo », éd. Librairie Académique Perrin, 1995) en précisant que Sainte-Beuve était infirme : « Il est hypospade. J’ai demandé au docteur Paul Ganière, éminent historien de la médecine, de m’éclairer sur cette maladie que les biographes qui la citent se révèlent incapables de l’’expliquer : ‘L’hypospade est un homme atteint d’un vice de conformation appelé l’hypospadias qui consiste en ce que l’urètre s’ouvre en dessous de la verge et non en son extrémité […] Dans la majorité des cas, cette malformation n’entraîne pas de perte du sens génésique mais rend la fécondation très improbable et la plupart du temps impossible’. » Les animateurs d’émissions de radio ou de télévision devraient cesser d’inviter Camille Pascal. Cet homme débite des carabistouilles avec un tel aplomb qu’il abuse des centaines de milliers de citoyens, à commencer par les journalistes et les animateurs eux-mêmes.  

Mercredi 24 avril

Arte diffuse « Le Livre d’Image » qui reçut – fait unique dans l’histoire du Festival – une Palme d’or spéciale l’an passé. Jean-Luc Godard réussit une œuvre où, à la fin de sa vie, il repousse encore un peu plus les limites du cinéma comme il le fit durant toute sa vie. On peut aussi considérer qu’avec ce long métrage, à 87 ans, il prend congé de son art. Alors, la toute dernière phrase qu’il prononce en voix off avant que ne défile le générique de fin se grave dans les mémoires comme un testament : « Et même si rien ne devait être comme nous l’avions espéré, cela ne changerait rien à nos espérances. »

Jeudi 25 avril

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 Conférence de presse du président Macron. Il v changer de cap mais pas de méthode. Pour le concret, voyez le Premier ministre. Mais où est passé le fringant jeune homme qui soulevait les foules et décapait les discours ambiants ?

 

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