On oubliera…

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Arrêtée en janvier 1944, Ginette Kolinka a été déportée au camp d'Auschwitz, jusqu'à la libération / © France 3 Franche-Comté / R. Poirot

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Dimanche 7 juillet

 C’est un air connu. Bénéficiant de l’appui du peuple, la gauche redresse le pays en prenant des mesures d’austérité indispensables. Et puis la droite peut revenir au pouvoir… C’est ce que François Hollande a connu ; c’est, à un degré beaucoup plus grave, ce que la Grèce connaît présentement. Battu comme prévu aux élections législatives, Alexis Tsipras restera dans l’histoire de son pays comme celui qui parvint à le maintenir dans l’Union européenne malgré un état de faillite. Grâce au soutien appuyé de François Hollande, qui a résisté à la volonté d’Angela Merkel, plus encline à sanctionner ainsi qu’à exclure.

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 John D. Rockefeller aimait vanter les mérites de l’homéopathie. Emmanuel Macron vient d’exclure les médicaments homéopathiques du remboursement. C’est donc une preuve que le président de la République peut parfois se détacher des milliardaires.

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 S’il copie encore le président français, Donald Trump devra recevoir à la Maison Blanche l’équipe féminine de football qui vient, une nouvelle fois, de remporter la Coupe du Monde. L’accolade, la poignée de main ou la main au …

 Lundi 8 juillet

 Érudit et sage (sage parce qu’érudit ?), George Steiner accomplit une œuvre dont aucune page n’est à négliger. Enfant, il échappa de justesse à la Shoah grâce à la perspicacité ainsi qu’à la lucidité de son père. Ce destin le conduisit à explorer l’Histoire dans le prisme de sa judéité. L’on perçoit tout particulièrement sa tâche à travers « Notre patrie, le texte » (Hachette-Littérature, 2003). On y trouve notamment la belle réflexion que Rousseau livre dans « Le Contrat social » : « Forcé de combattre la nature ou les institutions sociales, il faut opter entre faire un homme ou un citoyen ; car on ne peut pas faire à la fois l’un et l’autre. » Et puis, sans doute en réfléchissant sur l’évolution d’Israël, il souligne un constat qui, hélas, s’applique de plus en plus à d’autres pays ces temps-ci : « … le nationalisme est un genre de folie, une infection virulente qui pousse l’espèce au massacre mutuel, qui est aussi synonyme d’abstention de la pensée libre et claire, de la poursuite désintéressée de la justice. »

Mardi 9 juillet

 Cocorico ! Bernard Arnault, le patron de LVMH, est désormais détenteur de la 3e fortune mondiale. Avec ses 100 milliards d’euros, il n’est plus précédé que de Jeff Bezos (Amazon, 119) et Bill Gates (Microsoft, 107). Emmanuel, encore un effort !

Mercredi 10 juillet

 Il n’y a pas que pendant les fortes chaleurs qu’il faut s’intéresser à la chère langue française, mais elle rafraîchit l’esprit, davantage que la politique. Ainsi le délicieux Loránt Deutsch, lorsqu’on lui parle des anglicismes qui envahissent notre vocabulaire, et qui rassure : « La moitié de leur vocabulaire vient déjà de chez bibi. Bouteille / bottle ; vendange / vintage ; tour / tower… » Mais le sommet est évidemment God save the queen, composé par Lully pour saluer la guérison de la fistule anale de Louis XIV ! Plus fort que la devise « Honi soit qui mal y pense » ou l’autre, « Dieu et mon droit ». Is n’t ?

 L’académicien Frédéric Vitoux n’est pas en reste : « Certains réclament que l’on change l’intitulé de la Déclaration des droits de l’homme. Ils proposent « les droits humains », ce qui voudrait dire que les droits sont humains par opposition à cruels, ou inhumains, ou divins ? D’autres proposent « les droits de la personne ». On pourrait dire tout aussi bien de l’individu ou de l’être humain. Ce qui serait abaisser la noblesse et l’universalité de la formule historique. Cet exemple illustre très bien le danger d’une ignorance de l’histoire d’une langue. Les esprits progressistes qui suggèrent d’abandonner « l’homme » dans la déclaration de ses droits ne se souviennent pas, ou ne savent pas, que le mot vient du latin « homo », qui désigne l’espèce humaine, et non du latin « vir », qui désigne l’adulte de sexe masculin. La confusion s’ajoute à l’amnésie. »

 Quant à l’écriture inclusive, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un philologue ou un académicien pour lui prédire un avenir bouché. Le bon sens suffit.

Jeudi 11 juillet

 Á la fin du siècle dernier, les sociologues s’inquiétaient du fait que les enfants passaient en moyenne 4 heures par jour devant la télévision, c’est-à-dire plus de temps qu’avec leurs parents ou leurs maîtres. Désormais les petits américains consacreraient 8 heures chaque jour à leur smartphone. Un tiers de la vie dans le lit, un autre tiers à la poucette (dixit Michel Serres), que faire du troisième tiers ? L’amour ? Bof oui, peut-être…

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 C’est terrible à dire, mais on oubliera. Sur la manchette de son livre écrit avec Marion Ruggieri l’éditeur Grasset a imprimé : « Arrêtée par la Gestapo en mars 1944 avec son père, son petit frère et son neveu, Ginette Kolinka est déportée à Birkenau. Elle sera seule à revenir. Aujourd’hui, elle raconte, dans toutes les classes de France, pour qu’on n’oublie jamais… » C’est tragique, mais on oubliera. Quand il n’y aura plus comme elle des témoins vivants, quand les machines de l’audiovisuel comme Arte ne reflèteront plus les événements de l’horreur parce que l’image lasse et que les audiences baissent, quand le temps alimentera le révisionnisme… Comme aujourd’hui, on se souvient des batailles napoléoniennes tandis que personne ne connaît le sort des dizaines de milliers de pauvres types laissés mourants sur les champs. En tout cas, ce n’est pas le livre de Ginette qui maintiendra le flambeau. « Le Canard enchaîné » maîtrise son art de la moquerie par respect : « Ginette Kolinka est rentrée à Paris en 1945. Il lui a fallu plus de soixante-dix ans pour pouvoir parler. Elle se marre, remercie les jeunes filles qui l’accompagnent à Birkenau, rit d’elle-même… »

Vendredi 12 juillet

Angela Merkel aura 65 ans dans 5 jours. Au pouvoir depuis 2005, elle est désormais de plus en plus souvent prise de tremblements au point que des vidéos se multiplient sur le net en Allemagne sans qu’une image n’échappe aux jambes ou aux lèvres vibrantes. Cela devient pathétique. Emmanuel Macon n’a que 41 ans et demi. On peut se demander la forme physique des protagonistes ne joua pas un rôle majeur dans les multiples coups de fil et les nuits blanches qui furent nécessaires à l’accouchement d’une nouvelle équipe directionnelle européenne. Macron gagna la partie à l’usure. De même que l’Histoire n’est pas souvent racontée à travers les épidémies, de même n’effleure-t-on souvent que l’état de santé de ses protagonistes en la narrant. Cette photo de Yalta, en février 1945, où Roosevelt pose, pâle, un plaid sur les jambes (il mourrait le 12 avril…), à côté de Staline en pleine forme, rayonnant…

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De Patrick Besson : « Beau comme un poème de Verlaine écrit dans le Sacré-Cœur ». Combien d’auteurs n’auraient pas aimer trouver cette comparaison ?

Samedi 13 juillet

De moins en moins de médecins acceptent, en France, de pratiquer des avortements. On trouve même des départements où il est désormais impossible d’avoir recours à une IVG. Une cinquantaine de députés de gauche ont tiré une sonnette d’alarme en direction de Macron. Il y a peu de chances qu’ils soient entendus. D’abord parce qu’ils sont encore très minoritaires, ensuite parce que l’époque est réactionnaire et que le président de la République a beau se sentir tout puissant et très novateur, il n’est pas disposé à choisir des voies incertaines susceptibles de lui compliquer la vie. Et puis enfin, parce qu’après tout, il n’est peut-être pas si attaché à la loi Veil. Maintenant qu’il l’a installée au Panthéon, il peut se permettre de la laisser reposer en paix.

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Dans son maître-ouvrage "Les Aveux du roman" (éd. Fayard, 2001), Mona Ozouf intitule son chapitre consacré à Bouvard et Pécuchet : L’égalité dans l’insignifiance. Lumineuse formule. Et l’on se prend à se demander quels seraient aujourd’hui les deux patronymes qui conviendraient à ce judicieux portrait en couple…

Dimanche 14 juillet

Les manifestations diverses célébrant la Fête nationale française et leur retransmission en nombreuses heures télévisuelles dégagèrent de la matière pour un pertinent exercice d’analyse médiologique dont voici trois éléments de réflexion parmi d’autres :

1. Á propos du pouvoir des images. Il fallait avoir recours aux chaînes privées secondaires (BFM…) ou aux télévisions étrangères (RTBF…) pour constater que de violents débordements contestataires avaient lieu sur les Champs-Élysées pendant le défilé, donnant naissance à une répression vive de la police et à près de 200 arrestations. Les chaînes officielles montraient en direct un cortège impeccable dominé par un Macron rayonnant, saluant ses armées en chef reconnu et incontesté.

2. Á propos du protocole. Bien que la Constitution de la Ve République ne prévoie pas de statut pour le conjoint, le président continue de montrer qu’il ne la respecte pas. Á la tribune d’honneur, Brigitte se tenait à sa gauche, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, la ministre de la Défense et les autres étant relégués au deuxième rang voire plus loin. On n’imagine pas Yvonne de Gaulle – ni d’ailleurs toutes les autres épouses des présidents successifs - occuper pareille place de first lady, fonction usurpée. Macron avait choisi d’inviter quelques chefs d’État et de gouvernement européens. Aucun d’entre eux n’était accompagné de son conjoint.

3. Á propos des échos de presse malveillants. Pour l’heure, ce sont ceux de Médiapart à l’encontre du ministre de l’Écologie François de Rugy, ancien président de l’Assemblée nationale, qui défrayent la chronique. François de Rugy avait été placé juste derrière Macron, en une légère diagonale, si bien que lorsque la caméra s’orientait vers le président, elle ne manquait jamais de trouver dans son champ le ministre qui connaît la tourmente. L’observateur averti en aura très vite conclu que Macron n’entend pas se laisser intimider par les attaques mettant son ministre en difficulté. Edwy Plenel aura saisi le message. S’il n’a rien d’autre à révéler, ses articles auront fait pschitt… Mais si son dossier accusateur est plus épais – ce qui, le connaissant, n’est pas exclu – l’image deviendra un fardeau pour le président de la République.

Au-delà de toutes ces études iconographiques, il y eut aussi les images du concert à la Tour Eifel. 500.000 personnes entonnant La Marseillaise rythmée par les artistes et l’Orchestre de Paris, de couplet en couplet in extenso et le refrain vibrant dans les poitrines, c’était mieux que les uniformes qui marchent au pas devant le couple présidentiel monarchique. C’était la nuit. Là-bas, aucune caméra n’aurait pu parvenir aux abords. De toutes façons, dans les buissons du Champ-de-Mars, on n’aurait découvert que de savoureux bécotages. De la dentelle blanche ou rose, pas de gilet jaune.

Lundi 15 juillet

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De nouvelles révélations concernant la vieille affaire Kadhafi – Sarkozy donnent l’occasion aux rédactions de publier des photographies inédites réunissant les deux chefs d’État pour la postérité. Les poignées de mains ne sont pas franches et le Français semble parfois embarrassé, engoncé. Peu importe finalement qu’un hypothétique magot ait pu être versé à Sarkozy. Il a, de toutes façons, déshonoré la République et ce geste odieux n’a pas de prix.

 

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