Pour le pétrole, les Etats-Unis ont attisé le djihadisme

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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L’actualité proche et moyen-orientale ressemble à un  patchwork d’événements plus ou moins sanglants que beaucoup unifient, à tort, sous le terme de radicalisme musulman. En réalité, sous-jacent à ces drames, il y a une vieille guerre du pétrole menée par les Etats-Unis.

Récemment, a circulé dans les réseaux sociaux un texte d’une remarquable honnêteté historique, signé Robert Francis Kennedy jr, neveu du président US assassiné et avocat spécialisé dans le droit de l’environnement (1). A lire in extenso en suivant ce lien (2). En voici quelques extraits éclairants :

« Pour que les Américains comprennent réellement ce qui se passe, il importe de rappeler certains détails de cette histoire sordide mais méconnue. Pendant les années 50, le président Eisenhower et les frères Dulles – Allen Dulles, directeur de la CIA et John Foster Dulles, Secrétaire d’État– repoussèrent les propositions de traité soviétiques visant à faire du Moyen-Orient une zone neutre dans la guerre froide et laisser les Arabes gouverner l’Arabie. Au lieu de quoi, ils élaborèrent une guerre clandestine contre le nationalisme arabe – qu’Allen Dulles considérait comme du communisme – en particulier quand l’autogestion arabe menaçait les concessions pétrolifères. Ils fournirent une aide militaire américaine secrète aux tyrans en Arabie saoudite, en Jordanie, en Irak et au Liban, favorisant des marionnettes à l’idéologie djihadiste conservatrice qu’ils considéraient comme un antidote sûr au marxisme soviétique. Lors d’une réunion à la Maison-Blanche en septembre 1957 entre Frank Wisner, directeur des programmes de la CIA, et John Foster Dulles, Eisenhower conseilla à l’Agence : “Nous devrions faire tout ce qu’il est possible pour insister sur l’aspect ‘guerre sainte’,” selon une note prise par son secrétaire d’équipe, le général Andrew J. Goodpaster. »

R.F. Kennedy jr explique comment la fragile démocratie syrienne a été balayée par un coup d’Etat fomenté par la CIA visant à placer à sa tête un fantoche qui accepte l’instauration d’un « pipe-line trans-arabique, un projet américain destiné à relier les champs pétrolifères d’Arabie saoudite aux ports libanais via la Syrie. »

Le peuple syrien mit à nouveau à sa tête le démocrate qui avait été destitué mais celui-ci choisit alors le camp soviétique. Inacceptable pour la CIA qui envoya « ses deux sorciers du coup d’État, Kim Roosevelt et Rocky Stone, à Damas. »

« Deux ans auparavant, Roosevelt et Stone avaient orchestré un coup d’État en Iran contre le président démocratiquement élu Mohammed Mossadegh, après que celui-ci eut tenté de renégocier les termes des contrats inéquitables que l’Iran avait passés avec le géant pétrolier britannique, la Compagnie Pétrolière Anglo-Iranienne (aujourd’hui BP). Mossadegh, premier dirigeant élu en 4 000 ans d’histoire iranienne, était un populaire champion de la démocratie dans le monde en voie de développement. Mossadegh avait expulsé tous les diplomates britanniques après la découverte d’une tentative de coup d’État émanant d’agents du renseignement du Royaume-Uni travaillant main dans la main avec BP. Mossadegh, cependant, commit l’erreur fatale de résister aux demandes de ses conseillers d’expulser également la CIA qui, comme ils l’en soupçonnaient avec raison, était complice du complot britannique. Mossadegh avait une vision idéaliste des É-U comme modèle pour la nouvelle démocratie iranienne, incapables de telles perfidies. »

« Après avoir renversé Mossadegh au cours de l’Opération Ajax, Stone et Roosevelt installèrent le Shah Reza Pahlavi, favorable aux compagnies pétrolières des É-U mais dont les deux décennies de sauvagerie patronnée par la CIA à l’encontre de son propre peuple depuis le trône du Paon firent finalement exploser la révolution islamique de 1979 qui a miné notre politique étrangère depuis 35 ans. »

La CIA tenta d’appliquer la même méthode à la Syrie mais les officiers syriens déjouèrent les tentatives de déstabilisation. Furieux, les Américains incitèrent la Turquie à envahir la Syrie, ce qui fut déjoué par l’opposition ferme de la Ligue arabe. La CIA s’est alors alliée aux Frères musulmans pour déstabiliser la Syrie ce qui accentua son alliance avec les Soviétiques et avec l’Egypte de Nasser. Nous sommes en 1958 et l’Irak avait comme roi un ami des Etats-Unis, qui fut renversé par des officiers anti-américains. Eux aussi se tournèrent vers les Soviétiques à la suite des révélations de corruptions par la CIA.

« Cinq ans plus tard, la CIA réussit finalement à renverser le président irakien et à porter au pouvoir le parti Baas. Un jeune assassin charismatique du nom de Saddam Hussein était l’un des chefs distingués de l’équipe baasiste mise sur pied par la CIA. », écrit Kennedy.  Mission : faire la guerre à l’Iran. Pour cela, les Etats-Unis armèrent abondamment les forces irakiennes y compris en armes chimiques. « Dans le même temps, la CIA fournissait illégalement à l’Iran, adversaire de Saddam, des milliers de missiles antichars et anti-aériens pour combattre l’Irak, un crime rendu célèbre par le scandale de l’Irangate. Des djihadistes de chaque camp retournèrent plus tard nombre de ces armes fournies par la CIA contre le peuple américain. », souligne Kennedy.

Voilà pourquoi l’opinion publique arabo-persique et musulmane est devenue anti-américaine et que se sont installées des dictatures sur les ruines des démocraties et d’un islam modéré détruits par les manigances de la CIA.

« Une flopée de dictateurs iraniens et syriens, parmi lesquels Bachar el-Assad et son père, ont utilisé l’histoire des coups sanglants de la CIA comme prétexte à leur gouvernement autoritaire, leurs tactiques répressives et leur besoin d’une alliance forte avec la Russie. Ces affaires sont donc bien connues des gens en Syrie et en Iran qui interprètent naturellement les rumeurs d’intervention des É-U à la lumière de cette histoire. »

Logique turque et modèle russe

Voilà qui éclaire non seulement les tensions actuelles entre Etats arabes et persiques mais permet aussi de comprendre le double jeu de la Turquie. L’enjeu primordial pour la Turquie est d’empêcher la constitution d’un Etat kurde, cette population qui se trouve à la fois en Turquie, en Syrie et en Irak. Voilà pourquoi la Turquie a longtemps soutenu l’Etat islamique (E.I.). Cela est apparu clairement lors de la mort récente du « ministre des Finances » de l’ E.I. qui finançait les combattants avec le pétrole de contrebande, et ce avec l’aide d’officiels turcs. (3)

Les USA et l’Europe ont fait pression sur la Turquie, membre de l’OTAN, pour réprimer l’E.I. et pour contenir sur son territoire les milliers de réfugiés fuyant les bombardements des alliés et les exactions de l’E.I. ainsi que du régime syrien. Le président Erdogan, a donc commencé à s’attaquer aux forces islamistes tout en bombardant les Kurdes, s’alliant ainsi avec la Russie qui soutient le régime syrien.

Pendant ce temps, la Turquie poursuivait ses négociations avec la Russie concernant le transport de gaz russe vers l’Europe à travers la Mer Noire et la Turquie, le Turkstream, évitait ainsi le passage par l’Ukraine. Rappelons que l’enjeu majeur de la déstabilisation de l’Ukraine par l’OTAN, les USA et l’UE ne vise en rien l’établissement d’une démocratie en Ukraine mais les seuls intérêts énergétiques étatsuniens qui ont poussé les Européens à rompre avec la Russie, leur principal fournisseur de gaz, et les inciter à acheter le pétrole irakien, saoudien et le gaz de schiste américain ! Ainsi provoquée gravement, la Russie a annexé la Crimée et l’OTAN, toujours sous pression des Etats Unis, a établi une pression militaire aux frontières de la Russie, dans des pays nouvellement européens et farouchement anti communistes, recréant ainsi une nouvelle guerre froide qui ne profite en rien à l’Europe mais au contraire la déstabilise et l’appauvrit. Lire à ce sujet l’éditorial de Serge Halimi dans le Monde Diplomatique d’août 2016. (4)

Quant à Erdogan, (5) son modèle est bien Poutine qui, faute d’avoir été accepté comme un interlocuteur acceptable par l’Europe mise sur un nouveau nationalisme, celui d’une grande Russie reconnue comme grande puissance de ce monde. Même nationalisme, teinté de religion, chez Erdogan qui entend bien poursuivre l’œuvre d’Atatûrk, la laïcité en moins et devenir un modèle pour le monde musulman. Voilà pourquoi la répression de la tentative de coup d’état militaire est favorablement accueillie par une majorité de la population turque, qui se reconnaît fort bien dans cet homme à l’irrésistible ascension politique. Voilà pourquoi, aussi, l’Europe réagit si peu aux dérives autocratiques de ce président dont le pays est toujours membre de l’OTAN mais se rapproche tant des intérêts russes.

Les nationalismes exacerbés qui émergent aujourd’hui sont l’antithèse des projets communs  de paix, de démocratie, de culture désirés par les Européens. Seul reste un grand marché, faussement libre, géré par des boutiquiers sans vision politique. Quant aux Nations Unies, une fois de plus, elles montrent leur impuissance à apaiser les extrêmes violences entre Etats. Les marchands d’armes, eux, se frottent les mains…(6)

 

  1. https://en.wikipedia.org/wiki/Riverkeeper)
  2. http://m.solidariteetprogres.org/actualites-001/guerre-en-syrie-le-point-de-vue-du.html
  3. https://www.theguardian.com/world/2015/jul/26/isis-syria-turkey-us?CMP=share_btn_tw
  4. http://www.slate.fr/story/39375/erdogan-nouvel-ataturk-turquie
  5. http://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/HALIMI/56084
  6. http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/ventes-d-armes-en-2015-la-france-a-explose-les-compteurs-03-06-2016-2044079_53.php

 

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