Pulsions

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 4 min.

Monsieur Fernand, soixante ans, habite avec sa femme une rue du centre de la ville depuis vingt ans. Au bout de sa rue, se trouve le quartier chaud de la capitale avec des femmes en vitrine sous des néons multicolores. De loin, le quartier possède des airs de fête foraine qui donnent envie d’y faire un tour. Pourtant, jamais, Monsieur Fernand ne s’est aventuré jusque-là. Le sexe, la chair étalée, les poils peut-être, la vulgarité et la lubricité , il déteste. De plus, si quelqu’un l’apercevait dans cette rue, cela détruirait à tout jamais son personnage d’homme respectable qu’il a mis des années à construire.

Aujourd’hui, c’est différent, depuis le temps qu’il y pense et qu’il en a envie, Monsieur Fernand décide de marcher jusqu’au bout de la rue. Il relève le col de son imperméable, cache ses yeux sous son chapeau et marche jusqu’au bout de la rue. De loin, le bout de la rue a des aspects de fête foraine mais, de près, la fête est triste. Pas de musique ni d’enfant dans cette fête où personne ne parle. Les hommes longent les murs et les vitrines en cherchant l’obscurité. Monsieur Fernand fait comme les autres. Pourvu que personne ne le reconnaisse ! Il avance sur quelques mètres et puis, s’arrête et ose lever les yeux vers une vitrine. Jamais, il n’a vu de femme aussi belle ! Son visage, ses cuisses, ses seins, ses bras. Tout est magnifique ! Le vrai portrait d’une princesse qui lui sourit. Il a l’impression qu’elle ne regarde que lui en l’invitant à entrer. Si Monsieur Fernand a déjà eu le courage de marcher jusqu’au bout de la rue, il n’est pas prêt à entrer chez cette femme et à dépenser son argent. Un reste de morale le retient par la manche. Il pense mafia et trafic d’êtres humains pour ne pas rejoindre cette femme qui l’appelle comme si elle le connaissait personnellement. Pourtant, cette belle inconnue, il la désire comme jamais, il n’a désiré une femme. Toute son attention étant tendue vers la vitrine, il n’a pas remarqué tout de suite qu’il n’est pas le seul à l’examiner. Autour de lui, d’autres hommes qui désirent également cette femme ont pris place. Des hommes qu’il trouve vulgaires et à qui, jamais, il n’adresserait la parole. Il a honte, tellement honte. Voilà ! Le constat est sans appel : Il doit ressembler à ces hommes lubriques et pervers. Sa honte le recouvre comme un costume cousu à sa taille par un grand couturier. La veste, les manches, le pantalon, le gilet, le costume de la honte lui va comme un gant. Le seul moyen de s’en défaire : s’enfuir ! Soudain, il n’a plus qu’une idée, quitter ce quartier, fuir et rentrer chez lui. Il se fraie tant bien que mal à travers les hommes qui bandent et qui lui sourient comme s’il était l’un d’eux. Il se dégage de l’atroupement des hommes et rentre chez lui. Dans l’appartement qu’il occupe depuis toujours, il trouve sa femme en train de visionner les informations à la télévision. Les nouvelles sont désastreuses. Un attentat terroriste à Madrid et un tremblement de terre en Indonésie. On parle de plus de cinq mille morts. Ces tragédies le foudroient sur place. Il est obligé de s’asseoir pour ne pas perdre l’équilibre. Ces catastrophes sont liées à son incursion dans le quartier des prostituées, il en est persuadé. Il n’a pas été capable de se contrôler. Pas étonnant que le monde ne se contrôle plus. Quelle honte ! Mon Dieu quelle honte ! A trois heures du matin, au lit, il ne trouve pas le sommeil. Son cerveau lui montre en boucle les images de l’attentat et du tremblement de terre dont il est responsable, c’est une certitude. Son cerveau lui montre aussi la femme dans la vitrine qui s’intéressait à lui.

La prochaine fois, il se jure qu’il aura de l’argent en poche et qu’il ira enfin la rejoindre. Qu’importe les conséquences pour le monde !

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