Quelle est la liberté du journalisme ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Un exemple de journalisme de résistance en temps de guerre.

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Lecture 11 min.

La première édition des Assises européennes du journalisme s’est tenue à Bruxelles sous l’égide de ce grand journaliste français que fut Albert Londres. Dans les années 20, il inventa un style de reportage écrit d’abord, photographié ensuite. Sa devise était : « J'ai voulu descendre dans les fosses où la société se débarrasse de ce qui la menace ou de ce qu'elle ne peut nourrir. »

Nos « valeurs » démocratiques

Il disait aussi : « notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Donc, que cela plaise ou non aux publics des médias, le journaliste cherche les informations sur la vie de la société, sur ses problèmes, sur ses drames mais aussi sur ses réalisations, ses cultures, ses défis. Le tout à la lumière des valeurs communément reconnues en démocratie et que l’on peut résumer par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et dont nous allons donc célébrer les 75 ans en décembre 2023. Si elle mérite d’être complétée par quelques droits et devoirs notamment en matière d’écologie, elle reste la référence majeure pour ces fameuses « valeurs » dont se revendique l’Union Européenne. Témoin, cette phrase de son préambule :  

« Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité et que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme. »

Dans l’article 19 de la DUDH, il est précisé : « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »

Témoigner, au péril de sa vie

Les journalistes témoignent, analysent, expliquent, mettent en perspective, même si cela déplaît à certains, puissants ou non. Particulièrement en période de guerre, ils témoignent des massacres de civils et notamment d’enfants, qu’ils soient mis en prison voire abattus par des forces colonisatrices comme c’est le cas en Palestine, bombardés comme ce fut le cas en Irak, en Syrie, en Afghanistan et encore toujours au Yémen, en République Démocratique du Congo. Ils méritent la confiance du public, pour autant que ces journalistes soient des professionnels qui ont accepté d’obéir aux règles de déontologie journalistique et d’offrir un service au public, même si leur média est privé.

Cela c’est la « noblesse » du métier. C’est aussi courir le risque d’être assassiné comme au Mexique, comme à Malte, comme en Russie et dans trop d’autres pays parce que des journalistes décrivent des choses que les puissants, mafieux ou politiques, ne veulent pas voir révélées.

Pour affronter ces risques et remplir cette mission, les journalistes doivent être mieux compris et protégés par les sociétés démocratiques. Ils doivent bénéficier d’une meilleure protection juridique, politique et financière. En contrepartie, ils doivent rendre aux citoyens le service d’une information basée sur des faits vérifiés, objectivés, recoupés, donc, passés au crible de la critique. Une information dont le but est d’aider les gens à devenir de meilleurs citoyens participant de manière éclairée à la gestion politique de la société.

Ces Assises européennes du journalisme ont eu lieu à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales (IHECS) où l’on forme chaque année des dizaines de futurs journalistes. Ces jeunes ont pu constater, lors des nombreux débats très intéressants, combien le métier est confronté à de nouveaux défis, notamment celui posé par le développement du numérique et des plates-formes hyper puissantes, les GAFAM, qui écrasent la liberté d’expression en annonçant son extension quasi illimitée. Une liberté menacée par le déferlement de fausses informations de plus en plus vraisemblables vu le perfectionnement des moyens techniques… et la diminution de l’esprit critique des publics, et pas nécessairement chez les jeunes. 

S’est instaurée une défiance envers les médias d’information et les journalistes, alimentée par les divers courants populistes et d’extrême-droite qui montent en puissance en Europe et aux Etats-Unis, ainsi que par des courants « complotistes » en tous genres, tels ceux qui ont surgi lors de la récente pandémie. Ajoutons à cela les propagandes politiques et guerrières venant de nombreux pays aux tendances totalitaires où la presse n’est pas vraiment libre, voire d’institutions comme l’OTAN. Malgré cela, le journaliste doit atteindre la « vérité », parfois au péril de sa vie. Le plus souvent, il (et surtout elle) subit des avalanches de propos menaçants, haineux, dénigrants, du harcèlement intolérable. Et cela en étant mal considéré, mal payé, ne bénéficiant pas toujours du statut de salarié mais bien de celui d’indépendant, taillable et corvéable à merci.

Le Media Freedom Act

Voilà pourquoi une part importante de ces Assises a été consacrée à la démarche de la Commission européenne en vue d’instaurer un Media Freedom Act qui apparaît cependant ambigu car il pose la question de la défense des médias par les pouvoirs publics au détriment - peut-être - de la liberté d’expression et de la non-ingérence du politique dans le journalisme.

Les témoignages parfois poignants de journalistes de pays de l’Est de l’Europe et ainsi que de la FEJ (Fédération européenne des journalistes) appuient cette vision d’une politique européenne visant à mieux réguler les médias, à mieux connaître qui sont les propriétaires des médias, à répartir au bénéfice de rédactions et des journalistes eux-mêmes les énormes bénéfices des GAFAM qui se sont enrichies en « volant » le travail des journalistes. Jean-Marie Cavada, président d’honneur de cette première Assises européennes du journalisme s’est longuement attaché à décrire le combat pour les droits d’auteurs et les droits voisins dans le secteur presse ; nous y reviendrons dans un prochain article.  

Le processus règlementaire du Média Freedom Act vise aussi à identifier les mainmises étatiques afin de déterminer si la presse est encore libre selon nos critères universalistes. Elle n’est pas libre en Russie, mais pas non plus en Hongrie, ni en Pologne, ainsi que le soulignait la vice-présidente de la Commission européenne Véra Jourova, chargée des Valeurs et de la Transparence.

Le but est de « corriger notre incapacité à aider les médias contre les menaces politiques, économiques et le travail journalistique ». « Nous ne voulons pas abaisser le niveau de protection là où il est déjà élevé »-  (ce qui est le cas en Belgique par exemple). « Nous ne voulons pas réguler les médias mais un espace médias, les conditions de travail, la transparence sur les propriétaires des médias, comment être reconnu comme média d’information. » Tout cela pour nous protéger contre les méga plateformes et les censures qu’elles pourraient exercer. Nous protéger aussi des espionnages et pressions politiques sur les rédactions. La Commission souhaite donc la création d’un Bureau européen des Médias avec les divers régulateurs européens avec comme but premier, selon Mme Jourova, de condamner au plus vite Russia Today et Sputnik, deux organes officiels de la Russie.

Mais la question principale est celle de l‘indépendance de ces régulateurs de l’audiovisuel dans les divers pays. Nombre d’entre eux dépendent des pouvoirs politiques et leurs directions sont nommées en fonction des partis présents au gouvernement. Il ne s’agit donc pas d’une parfaite indépendance même s’ils assurent, comme c’est le cas en Communauté Wallonie-Bruxelles, que leurs décisions sont totalement indépendantes.

Par contre, Mme Jourova n’a pas mentionné les Conseils de presse et Conseils de déontologie qui sont eux vraiment indépendants des pouvoirs publics. Ils représentent le secteur presse (éditeurs et journalistes) et même, comme en Belgique, les citoyens associés à la vigilance sur la déontologie des journalistes et des médias. C’est le système de l’autorégulation par rapport à une régulation étatique et, dans ce cas-ci, de la Commission européenne. Il serait plus clair pour les citoyens que ce soient de tels Conseils qui définissent ce que sont les médias de propagande, plus nombreux qu’on le pense car ils ne se limitent pas à Russia Today ou à Sputnik. Ainsi, Radio Free Europe est financé par le Congrès des Etats-Unis.

Qui définit ce qu’est la propagande ? Qui peut interdire des médias, c’est-à-dire des rédactions fonctionnant avec des journalistes ? Cela peut-il être considéré comme une atteinte à la liberté de la presse et la liberté d’expression ? Ne serait-il pas préférable d’éclairer les citoyens sur les propriétaires des médias (publics et privés), les modes de fonctionnement, l’indépendance journalistique des rédactions, et les laisser libres de leurs choix ?

En fait, visant à aider les journalistes et les médias d’information les plus menacés, on risque d’encadrer plus fortement une liberté constitutionnelle précieuse : la liberté de la presse. Les débats au Parlement européen à ce sujet seront sans doute très animés !

(Suite la semaine prochaine)

Déjà publié sur ELL à ce sujet :

https://www.entreleslignes.be/humeurs/par-th%C3%A9ophraste/la-guerre-de-l%E2%80%99information

 Le faux Soir

Cette bande dessinée relate une histoire vraie, amusante et tragique à la fois. Durant la dernière guerre mondiale, l’Allemagne occupait la Belgique et s’était emparée du plus grand journal belge de l’époque, Le Soir. C’était « Le Soir volé ». La plupart des journalistes avaient « brisé leur plume », s’étaient enfuis ou avaient rejoint la résistance. De « collabos » produisaient et éditaient le Soir volé qui était très lu par la population car, au-delà de la propagande, il fournissait des informations utiles à la vie sous occupation.

Parmi les journalistes « libres » et un réseau de résistants, naquit l’idée de créer un événement qui ridiculiserait l’occupant et redonnerait du moral aux Belges. D’où l’idée d’un « faux Soir » réalisé exactement comme un Soir volé mais avec un contenu subversif, hilarant, humiliant pour l’occupant.

Cette BD raconte cette aventure magnifique que certains auteurs payèrent du prix de leur vie.

A noter qu’à l’époque, journalistes et personnel technique, ouvriers d’imprimerie, imprimeurs, distributeurs formaient une grande famille, celle d’un journal quotidien. Les résistants se trouvaient aussi parmi ces divers corps de métier et leur courage doit être salué.

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  • « Le faux Soir », Denis Lapière, Daniel Couvreur, Christian Durieux. Ed. Futuropolis. 2021. Un fac similé du Faux Soir accompagne l’album.

 

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