Re-moraliser la globalisation?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Les inégalités s’accroissent dans le monde, démontre Oxfam. Photo © Oxfam international

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Encore faut-il que la globalisation ait une morale ce qui n’est pas le cas. Sa seule vision est le profit de quelques-uns au détriment de la majorité de la population mondiale.

Ces quelques-uns se réunissent à Davos la semaine prochaine pour le Forum économique mondial 2019. Et l’on y retrouve des personnages peu « moraux » comme le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro, grand admirateur du président américain Donald Trump (qui ne viendra pas à Davos mais sera représenté par une forte délégation US). Ce nouveau-venu sur la scène politico-économique mondiale veut généraliser la vente d’armes dans sa population, livrer les terres des peuples autochtones et les réserves naturelles et biologiques pour toute l’humanité à l’exploitation capitaliste la plus prédatrice tout en mettant à mort les droits économiques et sociaux des Brésiliens. Un autre grand ami de Donald Trump sera présent lui aussi : Benyamin Netanyahu, Premier-ministre israélien poursuivi pour corruptions diverses, grand vendeur d’armes testées sur des Palestiniens prisonniers par un régime d’apartheid pire encore que celui qu’ont vécu les Sud-africains noirs.

Il y aura donc une soixantaine de chefs d’Etat et de gouvernement ainsi qu’une quarantaine de dirigeants d’organisations internationales en plus des plus puissants hommes et femmes d’affaires du monde. Donc, plus de 3000 participants réunis autour du thème « La mondialisation 4.0: concevoir une nouvelle architecture mondiale à l'ère de la quatrième révolution industrielle ». (1)

Le contexte est explosif : « Nous entrons dans une période de profonde instabilité provoquée par la disruption technologique (...) et le réalignement des forces géoéconomiques et géopolitiques », déclare le fondateur de ce Forum, Klaus Schwab.

« Disruption », le mot à la mode. Il signifie : « stratégie qui mise sur la rupture avec les conventions qui régissent les marchés, les entreprises, les modes de décision politique, pour faire émerger des visions inédites et innovantes. » Le problème est de déterminer qui provoque ces « disruptions » ? Et l‘on repense à la « stratégie du choc » décrite par Naomi Klein et qui a installé le néolibéralisme le plus puissant, le plus prédateur sur toute la planète.  Le but de ce forum : arriver à des « visions inédites » de gestion de notre futur commun. Mais au vu des politiques menées par les nouveaux et anciens dirigeants des pays les plus puissants économiquement, on peut craindre que ces « visions » soient utilisées pour mater les formes anciennes de résistances des travailleurs et des populations contre les inégalités dramatiques. De plus, l’innovation n’est pas nécessairement signe de progrès pour tous.

M. Schwab répond à cela que cette quatrième révolution industrielle doit être « centrée sur l'être humain, inclusive et durable ». Elle doit regarder aussi les personnes laissées sur le bas-côté de la route et donner une voix à la jeunesse.

Mais qu’est-ce donc que cette quatrième révolution industrielle ?

« La circulation des personnes, des biens et des idées est accélérée et développée par de nouvelles formes de transport et de communication. Et les développements technologiques, à leur tour, sont renforcés par la diversité des idées et l’ampleur croissante de la portée mondiale. » expliquent Nicholas Davies et Derek 0’Halloran du Forum. Ainsi, nous en sommes à la « mondialisation 4.0 » que les auteurs détaillent dans cet article (2). Une mondialisation qui doit réparer les erreurs du passé, affirment-ils : « La Quatrième révolution industrielle et la Mondialisation 4.0 sont des occasions de réparer ce qui a mal tourné au cours des époques précédentes. Et cela commence par la construction d'un engagement commun envers un avenir partagé, fondé sur des valeurs véritablement interculturelles : lutter pour le bien commun, préserver la dignité humaine et agir en tant que gardiens des générations futures. »

Une réalité « malaisante » dénoncée par Oxfam

Tout cela est bien beau mais ressemble à un catalogue de bonnes intentions lénifiantes. La réalité « malaisante » (il s’agit du mot de l’année 2018 : adj. « Qui suscite un malaise » (3)) se trouve plutôt dans les rapports annuels d’Oxfam qui, en 2018 à l’occasion du précédent Davos constatait que les inégalités s’approfondissaient (4):

  • Le nombre de milliardaires a connu en 2017 sa plus forte hausse de l'histoire, avec un nouveau milliardaire tous les deux jours.
  • Leur richesse a augmenté de 762 milliards de dollars en 12 mois.
  • Ce boom incroyable équivaut à sept fois le montant qui permettrait de mettre fin à la pauvreté extrême dans le monde.
  • 82 % des richesses créées dans le monde l'année dernière ont bénéficié aux 1 % les plus riches, alors que la situation n'a pas évolué pour les 50 % les plus pauvres.

Ajoutons à cela que le manque à gagner fiscal dû à l’évasion fiscale des grandes fortunes et des multinationales s’élève à 156 milliards d'euros chaque année pour les pays en développement.

Un exemple de cette situation véritablement tragique est puisé par Oxfam dans le secteur pharmaceutique : « Johnson & Johnson, Pfizer, Abbott ou Merck & Co éviteraient ainsi de payer jusqu’à 3,5 milliards d’euros d’impôts par an. Ce montant correspond à la probable évasion fiscale dans 9 pays riches et 7 pays en développement. » Cette nouvelle étude de l’ONG Oxfam révèle les transferts à grande échelle de leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. « De plus, les entreprises pharmaceutiques rendent leurs médicaments beaucoup trop chers. Janssen Pharmaceutica (filiale de Johnson & Johnson) a par exemple développé un médicament contre la tuberculose qui coûte jusqu’à 708 € en Afrique du Sud, alors qu’elle a la possibilité de développer une alternative générique qui peut être vendue 41€. »

Et Oxfam d’ajouter : « La firme belge Janssen Pharmaceutica n’a payé que 1 à 2% d’impôts en Belgique entre 2013 et 2015. A l’époque, le taux d’imposition officiel des entreprises était de 33,99%. Le pire ? Leur façon d’échapper à l’impôt est tout à fait légale. Ce sont les autorités qui mettent en place les mesures et accords fiscaux qui rendent cela possible. »

A Bruxelles, le secteur pharmaceutique dépense près de 40 millions d'euros pour influencer le processus décisionnel européen. Ce montant s'élève à 200 millions de dollars par an aux Etats-Unis. Avec cela, les grandes firmes multinationales peuvent s’acheter tous les rapports d’experts et exercer le lobbying intense qui mène à des décisions politiques en leur faveur.

Tout ceci n’est pas de l’infox, autre mot français qui supplanterait le vilain « fake news » tout en signifiant la même chose, à savoir « information mensongère et délibérément biaisée diffusée dans les réseaux sociaux, les médias, etc. » C’est de l’information bien étayée sur des pratiques même pas cachées.

La morale de la solidarité et du bien commun n’existe pas dans cette mondialisation économique, quoique prétendent les promoteurs du Forum Economique Mondial et leurs porte-parole.

Au moment où reprennent des négociations sur les relations économiques transatlantiques, dans lesquelles les Etats-Unis veulent inclure leurs produits agricoles genre maïs transgénique et poulets au chlore, au moment où l’Europe signe des accords avec le Maroc sur le dos des Sahraouis victimes d’une colonisation criminelle, pendant que l’on vend des armes à l’Arabie Saoudite qui provoque une des pires famines de l’histoire du Yémen en plus des victimes de la guerre, et que réapparaissent les armes nucléaires dans une nouvelle guerre froide, nous cherchons la morale… Désespérément !

1) https://www.bilan.ch/economie/wef-2019-le-forum-de-davos-veut-faire-fonctionner-la-globalisation

2) https://fr.weforum.org/agenda/2018/12/la-quatrieme-revolution-industrielle-est-le-moteur-de-la-mondialisation-4-0/

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3) Le mot de l’année : Malaisant. Article paru dans le Soir du 27 décembre 2018.

4) https://www.oxfamsol.be/fr/les-inegalites-continuent-de-saggraver-et-voila-pourquoi

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