Retour du Mont Aigoual avec des oignons doux

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Dans leur vallée des Cévennes, Max et Jean-Luc font pousser des oignons doux, des patates et des courgettes, leur science a de lointaines racines. Photo © Marcel Leroy

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Tu haches menu les oignons doux, les mêles à la viande hachée, ajoutes un jaune d'oeuf, façonnes les boulettes, les déposes dans la casserole, verses la purée des tomates qui ont poussé dans le jardin et attends que le repas soit prêt. Tu déplies la carte, pointes le Mont Aigoual, entre Mende et Le Vigan. Tu relis l'article découpé dans cet exemplaire de l'Obs datant de janvier dernier et par ce biais,  reviens à la fin de cet été. Tu renoues avec cette escapade dans un espace-temps autre, t'imprégnes  des photos de l'article, revois les légendes et reviens à ce portfolio passionnant. Il retrace le quotidien des travailleursdu dernier observatoire météo habité nuit et jour, en France. Il semble que cette aventure se termine, dommage...   

A l'Aigoual, depuis 1894, des météorologues se relaient pour décrypter les signes du ciel, à l'abri dans un étrange manoir de grosses pierres perché à 1567 mètres d'altitude, devant un décor à couper le souffle. Là-haut, le regard file vers les Alpes, les Pyrénées, la Méditerranée et se noie dans le moutonnement des vallées nervurées de sentiers où cheminent des silhouettes humaines, minuscules. Le vent souffe de toutes ses forces, embarque des paquets de nuages, les déchire dans des nappes de bleu où flottent des oiseaux des cîmes. On s'éterniserait face à cette fresque qui change selon les saisons. En hiver, monter à l'Aigoual est difficile, parfois impossible. Dans ces moments extrêmes, l'équipage de la station météo est pareil à celui d'un voilier du temps de la course au thé.

C'est à Notre-Dame de la Rouvière que l'on pose les sacs. Un ami tombé amoureux d'une maison blottie dans le Mas de Mourgues avait proposé d'y passer quelques jours, histoire de voir comment va la vie, dans ces hautes contrées que l'on voudrait sauvages un peu, encore. Notre Alaska à nous, lecteurs paisibles des aventures de Jack London ou de Jim Harrisson? C'est ce que l'on ressentait, sans télé, sans radio, sous la lune et le soleil, l'orage et les bourrasques. En écoutant les voisins raconter les chemins, le temps des entreprises textiles et du ver à soie, des guerres de religion et les émotions de ceux qui se détournent des métropoles.

Au début, il faut bien le reconnaître, les échos de la ville te manquent. Ainsi les vitrines des bioutiques et les enseignes des cafés. Puis tu prends tes distances avec l'actualité, les remous lointains d'une agitation qui, soudain, se fait floue. Une autre réalité se dessine. Sous l'arbre, devant la porte usée, un panier d'oignons doux attend. Le lendemain, un cageot de tomates est là. Le jour suivant, c'est un tas de courgettes. Max, grand cycliste, grand voyageur, fin comme un vélo de course, né dans le mas, s'avère savant et généreux, en matière de jardinage et de conversation. Jean-Luc, un autre voisin, excelle lui aussi dans l'art du potager. Quant à Monique et Christian, ils habitent la maison qui abritait l'école de vallée, jusque dans les années 50. Dans la grande pièce, écoutant Monique et ses souvenirs,  devant une photo de clase en noir et blanc, on croirait entendre la voix de l'instituteur pendant la dictée. On serait dans Le Grand Meaulnes...

Max demande si on veut aller marcher avec lui dans la montagne. Il emporte de l'eau dans son sac à dos. Va bon train,  sans se hâter pourtant. De loin en loin, il s'arrête pour observer une plante, jauger la taille d'un arbre, héler un  marcheur qui déboule. Les sangliers ravagent les jardins. On a vu un mec bizarre tapi dans un ancien abri de berger. Que fuirait-il? Le chaos d'e n bas? Il ne gêne personne. Même pas les oiseaux. Sur la route en lacets, un vélo vacille comme un  scarabée. Faire gaffe à ne pas déraper sur les pierres qui roulent. Sur cete terre, de l'autre côté de la montagne, Max gardait les moutons. Les bergers passaient la belle saison avec les bêtes. Ils ne s'ennuyaient jamais. Revenait la froidure et c'était fini.

Dernier soir. Max vient dire au revoir. Jean-Luc est passé pendant l'après-midi, avant de regagner Ganges. Monique et Christian ont éteint la lumière. Ils n'ont pas oublié de souhaiter bonne route aux gens du Nord. Tu ne  repars pas les mains vides. Les caissettes de légumes trouvent leur place dans le coffre de la bagnole. Dans l'habitacle, alors que le Mont Aigoual se fond dans les lointains, le parfum des oignons doux des Cévennes se répand. Une odeur chargée de couleurs, jaune,  verte, bleue, de grains de terre sèche et d'images qui pâlissent. Dans l'éclat mordoré de la pelure des oignons,  un mode de vie rural, dont l'esprit revient dans l'air du temps, se déploie sur fond de réchauffement climatique. Et le Mont Aigoual, impassible, fait front aux tempêtes, à la neige en rafales brutales, espère la morsure du soleil et de l'été. Ainsi les humains, sens aiguisés malgré le tumulte pour saisir la mélodie du vent. Là-haut, tu sais, se planquerait bien une forme de liberté qu'il faut gagner. A petits coups de patience, de calme, de pastis partagé avec les récits du crépuscule. Au Mas de Mourgues, on a envie de sortir de sa poche un harmonica d'enfant et de jouer sans être musicien.

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