RIP

Zeitgeist

Par | Penseur libre |
le

Février 2019.

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Lecture 3 min.

Perdre un être cher est notre lot commun, tôt ou tard. On ne peut alors s'empêcher de vouloir mettre des mots "sur". Knut Lindelöf, enseignant retraité, socialiste de la vieille école, tient en Suède un des meilleurs "blogs" de réflexion politique et culturelle, ouvert aux contributions des âmes sœurs et frères. En perdant celle qui a partagé sa vie durant un demi-siècle, il a écrit ces lignes, belles et vaines sources de réconfort dont on veut croire qu'elles nous toucheront toutes et tous, tôt ou tard.

Perdre une camarade de vie

Perdre une camarade de vie est peut-être plus bouleversant que tout autre chose. Peut-être encore plus dramatique que d'avoir un enfant. Se trouver après une longue vie de travail et de tangence devant la mort ensemble est chose qu'on a peine à imaginer. Cela peut aller vite et cela peut s'étirer longuement. Dans le meilleur des cas, sans souffrance corporelle. Pour Barbro, ce fut et long et douloureux.

On se sent perdu, tous les repères s'évanouissent, on n'est plus que présence dans un présent absolu. On cherche à s'y cramponner mais on n'en a pas la force. On sait que la séparation définitive est proche, que son vis-à-vis va prendre le chemin du néant et que tu resteras seul à quai en agitant la main un peu idiotement. Tout effort pour penser à ce que tu feras quand tu quittes le quai - seul - s'écroule comme un château de cartes, le penchant à broyer du noir ne faisant qu'accroître.

Et puis soudain on est là à chercher pragmatiquement à mettre de l'ordre, spirituellement et émotionnellement, dans une mousse hors de tout contrôle interne. Des mots et des expressions de la religion viennent vous chatouiller aux encoingnures. Mais ils ne sont d'aucun secours. Il me faut trouver les miens propres. Un poème de Maria Wine (recueil Lövsus i moll, Bruissements de feuilles mortes en bémol, éd. Bonniers 1979) a surgi d'une carte de condoléance d'un bon et sage vieil ami:

Je n'ai pas l'intention d'être morte pour toi /

quand je serai morte /

Avec tes souvenirs de moi les plus lumineux /

j'espère pouvoir atténuer ta tristesse /

Je ne te permets pas de porter mon deuil /

plus qu'il n'est nécessaire /

Je n'ai pas foi en l'oubli complet /

mais je vais t'apprendre l'art du tri: /

apprends à distinguer les souvenirs lumineux /

de la dernière souffrance insistante /

de façon à ce que le miroitement de joie /

chasse ton sentiment d'abandon /

et fasse que tu sentes que tu vis encore /

entre un toi et un moi.

Le poème met des mots sur les choses qui tourbillonnent et m'offre comme un marchepied. Du point de vue pratique, c'est très simple, mais on ne peut masquer l'abîme qui s'ouvre et qui ne doit pas nous engloutir - "plus qu'il n'est nécessaire". Simple comme tout!

Un des grands dilemmes de la vie devient soudain réalité et doit impérativement être confronté, on n'est tout de même pas seul en ce monde. De temps à autre, la flamme de vie se fait sentir au centre de la confusion mentale.

Un "nous" long de 50 ans devient soudain un "je" désertique. D'avoir été quelque chose ensemble avec Barbro a donné à la vie un sens particulier, maintenant effacé. L'être humain est une créature sociale, seul, il est tellement plus faible...

Knut Lidelöf, 27 mars 2019.

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Source originale (avec photo de la regrettée): https://www.lindelof.nu/att-forlora-en-livskamrat/

 

Février 2019
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