Sahara Occidental : la trahison des Etats

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Manifestation des participant(e)s à la 44ème EUCOCO à Vitoria au pays basque espagnol. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Nous pourrions naïvement croire que la signature de traités, de conventions, de résolutions et accords en tous genres, garantis par l’ONU, lieraient loyalement des Etats en vue de la paix, de l’entente réciproque pour le bien de tous… (1) L’exemple du Sahara Occidental, dernière colonie d’Afrique, brise cette illusion.

Ainsi, les Nations Unies reconnaissent depuis 1963 le Sahara Occidental comme un territoire non autonome dont les habitants devraient se prononcer librement sur leur sort par le biais d’un référendum d’autodétermination. En 1966, l’Assemblée générale des Nations Unies demande à l’Espagne, alors puissance coloniale, d’organiser rapidement un référendum afin que le peuple sahraoui exerce son droit à l’autodétermination. Rien n’y fit et en 1973, de jeunes intellectuels sahraouis créent le mouvement de libération « Front populaire pour la libération de la Saguia Al-Hamra et du Rio de Oro » : le Front Polisario. L’Espagne ignore l’avis de la Cours Internationale de Justice qui ne voit aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental, le Royaume du Maroc et la Mauritanie, et riposte par les « Accords de Madrid » en novembre 1975, partageant ce territoire entre la Mauritanie et le Maroc. Mais ces accords ne transfèrent pas à ces deux pays le statut de puissance administrante qui est donc toujours aux mains de l’Espagne même si les gouvernements successifs de ce pays refusent de l’admettre.

Face à la résistance populaire sahraouie, le roi Hassan II du Maroc lance, ce même mois de novembre 1975, une « marche verte », lançant 350.000 civils marocains vers le Sahara Occidental, une invasion suivie par l’occupation militaire du territoire. Quant à la Mauritanie, elle envahit le sud du territoire mais conclura en 1979 un accord de paix avec le Front Polisario, laissant le champ libre au Maroc. Le Maroc bombarde les déplacés sahraouis avec des bombes au phosphore et au napalm. Ils se réfugient dans des camps au sud-ouest de l’Algérie où ils vivent jusqu’à présent avec l’aide internationale et celui, vital pour eux, de l’Algérie. Plus de 173.000 réfugiés attendent depuis 1975 que la justice internationale se fasse. Des milliers de Sahraouis vivent, eux, dans les territoires occupés par le Maroc, soumis aux brutalités de l’occupant et prisonniers d’un mur de 2720 km de long, sur un terrain parsemé de mines, pour contenir le Front Polisario à l’est du Sahara Occidental.

En 1988, le Front Polisario et le Maroc s’accordent sur un cessez-le-feu et un référendum d’autodétermination, sous l’égide de l’Onu et de l’Union Africaine. Il est signé en 1991 et le Conseil de sécurité des Nations Unies déploie pour la première fois une force de maintien de la paix : la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental). Un peu plus tard, le Maroc refuse la liste des électeurs établie par la MINURSO en vue du référendum et se retire en 2003 du processus.

Pourquoi un tel acharnement du Maroc à empêcher un processus démocratique voulu par la communauté internationale ? Simplement parce qu’il profite d’un appui inconditionnel de la France, puissance tutélaire du Maroc, et de sa position dominante armée pour piller allègrement les ressources naturelles de ce petit pays situé entre mer et désert.

Quant à la MINURSO, elle n’a pas mandat d’empêcher les innombrables violations des droits humains commis en territoire occupé par les forces armées et la police marocaines. Ce mandat est déterminé par le Conseil de sécurité de l’ONU au sein duquel la France, grande amie du Maroc, alliée économique et stratégique, fait obstacle aux droits des Sahraouis.

Le monde se contente de cela : pas de guerre mais la répression et des spoliations accomplies sous les yeux de tous. Alors, les droits humains, les droits d’un peuple sont négligeables… Telle est l’immoralité de la politique menée par la France qui se dit championne des droits humains.

La 44ème EUCOCO dénonce l’Espagne et la France

Pour la 44ème fois, s’est tenue la réunion des comités européens de soutien au peuple sahraoui (EUCOCO). Plus de 440 personnes représentant des pays d’Europe mais aussi d’Amérique latine et d’Afrique, des parlementaires, des syndicalistes, des ONG ont réaffirmé le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Ils plaident pour un règlement pacifique des différends ainsi que doivent l’organiser les Nations Unies. Un peuple qui a déposé les armes, qui a opté pour la voie pacifique et souhaite simplement que sa population se prononce sur son avenir, est condamné à attendre dans des camps de réfugiés et dans des territoires occupés sous menaces et brutalités constantes des forces marocaines. Ce peuple perd l’espoir. Les jeunes qui n’ont connu que la souffrance et les larmes parlent de prendre les armes. Leurs aînés qui savent ce que signifie une guerre, ils en ont été victimes, cherchent une stratégie de lutte plus efficace.

Les comités de soutien n’arrêtent pas leurs actions de pression sur les parlementaires, sur les ministres, sur les instances internationales afin que le droit soit respecté. Des actions judiciaires ont même été menées récemment avec succès par les avocats du Front Polisario auprès de la Cour Européenne de Justice de Luxembourg, la plus haute instance de l’Union européenne qui a précisé dans ses arrêts que l’exploitation par le Maroc des ressources minières, piscicoles, agricoles du Sahara Occidental était illégale car ce territoire est distinct de celui du Maroc. Mais le Parlement européen ainsi que la Commission européenne, aveuglés par le dogme du libre-échange et surtout par la cupidité du monde politique et des affaires, ne se soucient guère de faire appliquer le droit.  Or, c’est une véritable guerre environnementale et économique qui est menée sur ce territoire, une spoliation violente des ressources naturelles. (2)

 On ne peut s’empêcher de comparer cette tragique situation à celle des Palestiniens à qui les gouvernements israéliens successifs volent tout à commencer par l’eau, les terres, les cultures, la culture même d’un peuple empêché de vivre dignement, sans reconnaissance d’un Etat indépendant et d’un territoire reconnu, victime de bombardements, de snipers, d’emprisonnements à grande échelle et sans protection d’une quelconque justice indépendante.  

Le Sahara Occidental est la dernière colonie d’Afrique. La Palestine colonisée par les grandes puissances occidentales au Proche-Orient et divisée par l’ONU en 1948, est aujourd’hui occupée par Israël.  Dans les deux cas, ces Etats occidentaux ne corrigent pas leurs fautes et soutiennent les pouvoirs occupant illégalement ces territoires. Ils ne tentent pas de rétorsions économiques, ils n’exercent que de faibles pressions sur les gouvernements pourtant coupables de terribles violations des droits humains. A peine peut-on entendre cette célèbre formule : on invite à « plus de retenue » !

En ce mois de décembre 2019, le Front Polisario, représentant du peuple sahraoui, reconnu par l’ONU et membre de l’Union Africaine, tiendra un congrès important car on y réactualisera la stratégie à mener pour son autodétermination. L’Algérie, qui protège et accueille des milliers de réfugiés sur son territoire, plaide pour une Union du Maghreb Arabe afin de faciliter l’intégration des peuples dans le cadre du respect des droits humains. Ce pays entend interpeller la conscience de la communauté internationale afin qu’elle fasse preuve de solidarité avec les actions de promotion de la dignité humaine.

Des Espagnols, représentants des nombreux comités et associations de soutien aux Sahraouis, espèrent beaucoup d’un prochain gouvernement progressiste en Espagne qui dénoncerait les fallacieux accords de Madrid de 1975, ce qui faciliterait une future reconnaissance de la souveraineté de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) proclamée en 1976, et ainsi, mettre fin officiellement à la colonisation. Mais en Espagne aussi, le commerce avec le Maroc, le pillage des ressources naturelles du Sahara Occidental sont une affaire juteuse et l’on peut craindre que, là aussi, la cupidité de certains ne l’emporte sur les droits d’un peuple tout entier et le respect des règles de droit international.

(1) Voir notre série sur le Multilatéralisme, compte-rendu des séminaires organisés par la Fondation Henri La Fontaine à Bruxelles. https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/quand-trump-tue-le-multilat%C3%A9ralisme

https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/l%E2%80%99utopie-multilat%C3%A9rale-la-paix-par-le-droit

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