Sahara Occidental : le Polisario brandit ses armes

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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M. Brahim Ghali réélu secrétaire général du Front populaire de libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario) et président de la République arabe sahraouie démocratique. Photo © Sahara Press Service.

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La tension entre le Maroc et le Sahara Occidental monte sans cesse, aggravée par un contexte géopolitique explosif. Le peuple sahraoui n’en peut plus d’attendre depuis près de 50 ans une solution diplomatique qui ne vient pas. Pourtant, elle lui est promise par les Nations Unies sous forme d’un référendum d’autodétermination, sans cesse repoussé par le Maroc, pays occupant une grande partie de ce territoire qui ne lui appartient pas.

En cette mi-janvier 2023, le Front Polisario, représentant du peuple sahraoui, tenait son congrès dans les sables et les pauvres masures et tentes du camp de réfugiés de Dakhla, baptisé ainsi en référence à la ville de Dakhla, occupée par le Maroc qui en fait un centre touristique mais aussi commercial très rentable pour la couronne. Une rentabilité qui a largement contribué à alimenter les pots-de-vin généreusement distribués à nombre de nos élus, qu’ils soient nationaux ou européens. Cela fait des dizaines d’années que le Maroc déploie une diplomatie de la séduction et de la corruption, notamment en France, ancienne puissance coloniale qui considère ce pays comme un pion stratégique pour le contrôle notamment militaire de la Méditerranée.

Le Maroc, partenaire commercial préféré

Quant à nos autorités européennes, elles ne se soucient guère des droits humains, du droit international et du droit européen qui pourtant protègent les Sahraouis.  Le partenariat UE-Maroc est trop important, ainsi que l’a rappelé notre « haut représentant pour les Affaires étrangères et la sécurité » Josep Borrell lors de sa rencontre, les 5 et 6 janvier 2023, avec les autorités marocaines : « Nous sommes le plus important partenaire commercial. Plus de la moitié des investissements étrangers et deux tiers du commerce extérieur. C'est un palmarès difficile à [dépasser]. Vous êtes aussi le bénéficiaire le plus important de la coopération de l'Union européenne dans la région. Dans la période 2014-2020, ça représentait 1,4 milliard d'euros. Et dans la période 2021-2027, on va passer de 1,4 [milliard d'euros] à 1,6 [milliard d'euros]. Dans ces temps de pénurie financière, le fait d'augmenter de 15 % nos apports financiers, c'est quand même aussi remarquable. »

Reste que l’Union européenne va être confrontée prochainement aux arrêts de sa propre Cour de Justice concernant ces relations économiques basées en partie sur l’exploitation illégale des ressources naturelles du Sahara Occidental occupé par le Maroc. Les procès contre les pays et contre les entreprises participant à cette spoliation risquent de se multiplier.

Diplomatiquement, J. Borrell a « réaffirmé le soutien de l’Union européenne au processus des Nations Unies et des initiatives de l'envoyé personnel du Secrétaire général pour le Sahara Occidental, Staffan de Mistura, visant à parvenir à une solution politique qui soit juste, réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable et qui repose sur le compromis en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. », selon le communiqué de l’UE. (1)

Les enjeux économiques sont tellement importants que la question du Sahara Occidental, dernière colonie d’Afrique, pèse peu en Europe. Il a fallu la révélation des corruptions nombreuses et anciennes de parlementaires européens pour que l’éthique et les droits humains reviennent (timidement) à l’ordre du jour. Mais aucune initiative politique n’est prise pour l’instant par l’Europe pour résoudre ce conflit. Il a été aggravé par les déclarations péremptoires de Donald Trump, alors président des Etats-Unis, « vendant » en quelque sorte le Sahara Occidental au Maroc en échange de l’acceptation par le colonisateur des « accords d’Abraham » restaurant les relations entre pays arabes et Israël (lui-même puissance occupante et criminelle de la Palestine). L’actuel président Joe Biden n’a pas infirmé cette déclaration qui, sans doute, correspond à sa vision de la déstabilisation mondiale qu’il a provoquée avec l’extension de l’OTAN aux frontières de la Russie et ses provocations vis-à-vis de la Chine.

Brahim Ghali réélu

C’est dans ce contexte angoissant que le Polisario a tenu son congrès au cours duquel M. Brahim Ghali a été réélu au poste de secrétaire général du Front Polisario et président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Il a obtenu 69 % des voix. Le Polisario se trouve à présent à la croisée des chemins : ou attendre un règlement politique qui ne vient pas au grand désespoir des jeunes générations condamnées au statut de réfugiés et à une vie dans la précarité extrême, ou intensifier la reprise des armes qui a eu lieu il y a deux ans déjà, à la frontière avec la Mauritanie. 

« Il existe une pression énorme pour intensifier les combats et revenir à nos méthodes de lutte antérieures, entre 1986 et 1989, quand nous avons livré des batailles qui ont donné de grands résultats en matière de récupération d’armement et de capture de prisonniers. Notre jeunesse et notre armée en particulier l’exigent », explique Brahim Ghali au Monde (2)

Plus que jamais, l’Europe devrait appliquer ses grands principes de paix par des relations, commerciales certes, mais aussi respectueuses du droit international. Sinon, on risque d’être confronté à une nouvelle guerre, activée par le désespoir, et une déconsidération encore plus grande des pays européens, notamment la France, dans cette partie de l’Afrique.

Un soutien international affirmé à Berlin

Un appel en ce sens a été lancé à Berlin lors de la 46ème Conférence européenne de soutien et de solidarité avec le peuple sahraoui (EUCOCO) qui a réuni 220 participants venant de plusieurs pays européens mais aussi d’Algérie (soutien essentiel du peuple sahraoui), d’Afrique du Sud (exemple important d’émancipation d’un peuple victime d’apartheid) et de Timor Leste, représenté par son ancien président Xanana Gusmao. Ce dernier a fait sensation en racontant comment ce petit pays colonisé par le Portugal dès 1586 gagna son indépendance en 1975 lors de la révolution des œillets qui libéra le Portugal de la dictature. Mais l’Indonésie qui occupait déjà la partie occidentale de l’île de Timor, envahit la partie orientale en 1976. L’armée indonésienne exerça une terrible répression, il y eut des massacres à grande échelle (200.000 morts) et des destructions de villes. L’ONU qui n’avait pas reconnu cette annexion a, comme pour le Sahara Occidental, organisé un référendum d’autodétermination en août 1999. Après de nouveaux massacres et la résistance des Timorais sous la bannière du Fretilin, le Portugal est revenu comme puissance administrante afin de mener des négociations pour l’indépendance avec l’Indonésie. L’indépendance du Timor oriental fut proclamée en 2002.

Un précédent historique qui donne énormément d’espoir aux Sahraouis… Pour autant que l’actuelle mission de Staffan de Mistura, représentant de l’ONU, aboutisse. Il faudrait pour cela que le Maroc reconnaisse enfin l’indépendance du Sahara Occidental. La pacification des relations profiterait à tout le monde. C’est possible, la preuve en est donnée par l’exemple timorais : actuellement, les relations entre l’Indonésie et Timor-Leste sont au beau fixe.

Sultana Khaya, symbole des violences marocaines

Autre moment émouvant de l’EUCOCO à Berlin : l’ex-président timorais Xanana Gusmao s’agenouilla devant Sultana Khaya. Geste symbolique qui dénonçait l’horreur de la répression marocaine sur la population sahraouie colonisée, les viols et mauvais traitements visant particulièrement les femmes. Cette marque de respect mettait en évidence le courage de ces femmes violentées qui pourtant poursuivent leur lutte pour l’indépendance, de manière non-violente mais avec détermination. Sultana Khaya a en effet été séquestrée pendant 19 mois dans sa maison de Boujdour à une centaine de kilomètres d’El Ayoun. Pendant tout ce temps, elle, sa mère et sa sœur ont été malmenées par les policiers marocains qui entouraient sa maison.

Voilà qui renforce l’urgence d’une intervention de nos gouvernements et des sanctions fermes afin de briser cette occupation criminelle.

(1) https://www.eeas.europa.eu/eeas/ue-maroc-un-partenariat-strat%C3%A9gique-qui-s%E2%80%99approfondit-et-s%E2%80%99%C3%A9largit_en

(2) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/01/23/sahara-occidental-au-front-polisario-la-pression-monte-pour-intensifier-la-guerre-contre-le-maroc_6158994_3212.html

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A Berlin, la 46ème réunion européenne des comités de soutien au peuple sahraoui a démontré une mobilisation de plus en forte des démocrates européens visant à changer les politiques européennes qui favorisent le Maroc. Photo © Gabrielle Lefèvre

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