Sale ma Gare du Nord? Un refuge!

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Par | Journaliste |
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Gare du Nord: là où les bus ne passent plus, une fresque nous interroge. Les migrants campent en face. Photos © Gabrielle Lefèvre

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Il est vrai que notre Gare du Nord à Bruxelles n’est pas la plus accueillante, que les arrêts de bus en sous-sol glauques ne sont pas trop faciles à trouver et les attentes dans le vent froid mais à l’abri de la pluie sont parfois irritantes. Par contre, ces couloirs sombres et venteux où passent les bus sont égayés par des fresques intéressantes. De quoi passer le temps d’attente du transport en commun en méditant sur ces visages et ces aveugles qui contemplent notre condition humaine.

Il est fascinant de constater que la Gare du Nord, où se croisent et s’entrecroisent des escaliers et des escalators, voit défiler des populations qui ne se voient pas, ne se découvrent pas. Elle est fourmilière de tous les transits et de tous les parcours humains.

Ainsi, le sous-sol, celui qui précisément donne sur les couloirs aux arrêts de bus de De Lijn et de la STIB, ont été laissés aux migrants, transmigrants, et autres réfugiés de la misère. Principalement la misère africaine. Leurs misérables couches sont alignées le long des murs et des vitres, dans un vaste espace sans la moindre intimité. Normal, c’est un lieu de passage, un lieu de transit pour les voyageurs et passagers belges. Un lieu squatté par ces autres voyageurs, ces hommes et ces quelques femmes en transit entre drames et guerres, entre cataclysmes et extrême pauvreté et un rêve de nouvelle vie chez nous, chez les voisins d’en face qui n’en veulent pas.

Alors oui, avec une seule toilette où l’on fait la file, sans doute fermée la nuit, les abords de cette salle sont sales, puants, dégoulinants de la misère humaine. Insalubre ? Oui. Et l’on comprend, quand on y va, l’indignation de travailleurs de De Lijn et des conducteurs de bus de la STIB qui ont déménagé les arrêts un peu plus loin, à l’air libre, à la lumière. Un cadavre de rat, un gros rat, écrasé au bord de ce passage sombre témoigne de l’abandon des lieux par les services de propreté et de l’absence d’enlèvement des immondices. Une voiture de police passe, toutes sirènes hurlantes - on ne sait pourquoi - dans un de ces tunnels réservés aux bus, où il n’y a personne, rien que pour faire du bruit. Rien que pour faire peur ou réveiller ces femmes et ces hommes perdus dans cet univers déshumanisé. Un univers de tours lumineuses, de voitures qui ne s’arrêtent pas, de bus qui s’enfuient dans toutes les directions.

Ces hommes et ces femmes restent là. Dans la détresse d’un avenir incertain, d’une incompréhension profonde de qui nous sommes, nous ces Belges qu’ils regardent de loin, circuler comme des fourmis sur les passerelles de la gare. Un SDF blanc, cheveux blancs, pieds nus et presque noirs, transporte une montagne de sacs blancs remplis d’on ne sait quoi, campement dérisoire et fou d’un Blanc perdu lui aussi dans cette vie, au milieu de Noirs errants dans nos obscurités occidentales.

Au sortir de ces couloirs, une camionnette blanche et des Blancs belges qui distribuent de la nourriture et des vêtements. Aide bénévole d’associations qui assurent le devoir d’humanité que ne remplissent pas les pouvoirs publics débordés, démunis, incapables de se mettre d’accord sur la responsabilité de l’aide humanitaire indispensable pour ces migrants pourtant peu nombreux à l’échelle des immenses migrations du désespoir en Afrique notamment.

Chez nous, on ne sait pas organiser un campement, un service d’ordre interne, une discipline d’enlèvement des immondices, un dispositif sanitaire léger sauf lors de festivals ou de fêtes bien délimitées dans nos calendriers. Chez nous, personne ne sait qui est responsable de l’aide d’urgence, de l’accueil et des aides administratives de base dans ce Quartier Nord coupé entre trois communes, dans un bâtiment SNCB (fédéral ?) partagé par la STIB et De Lijn (régionaux), visité par une police régionale et donc pas tout à fait locale, en négociation avec des ministères fédéraux qui ne veulent pas entendre parler de ces migrants et juste les renvoyer chez eux, dans la misère, dans la guerre, dans la tyrannie. Chez nous, il y a des citoyens solidaires; ils sont venus, vendredi, le lendemain de notre reportage, avec brosses et balais, nettoyer les lieux, avec l'aide des migrants.Prouvant que l'accueil est possible si on s'organisait un peu.

En réalité, ils sont combien ces migrants ? 150 ? 200 ? Si peu pour nous. Trop pour ces Belges qui ont peur de la saleté, de la gale, de la tuberculose, des Noirs, des pauvres, de ceux qui ne parlent pas la même langue.

La Gare du Nord, gare de triage entre nantis et démunis. Elle préfigure ce que deviendra notre société si nous oublions la solidarité.

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C'est tellement mieux un univers d'acier et de verre. Déshumanisé et propre!

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