Surtout ne parlez pas du Sahara occidental !

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Les femmes sahraouies jouent un grand rôle dans la résistance de ce peuple en partie confiné dans des camps de réfugiés. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Serrez-vous la main mais que la poignée soit légère sinon cela paraîtra inamical. N’utilisez pas votre main gauche, elle est « impure ».  Proférez quelques banalités avant d’arriver au vif du sujet. Et surtout, surtout, ne parlez pas à vos interlocuteurs marocains ni de politique, ni de religion, encore moins de la famille royale marocaine et surtout pas du Sahara occidental…

Munis de ces précieux conseils (1) délivrés par l’organisation de la mission économique belge au Maroc, près de 500 Belges découvrent Casablanca, Tanger et Rabat  dans l’espoir de consolider les liens économiques entre notre petit pays où vivent 400.000 personnes d’origine marocaine et le royaume du Maroc.

Pas de problème avec cela, pour autant que ces relations économiques se fassent dans les limites légales du territoire marocain et concernent des produits bien certifiés comme production locale marocaine. Cependant, nos autorités ne préviennent pas nos valeureux entrepreneurs et commerçants qu’ils risquent gros en nouant des relations d’affaires sans tenir à l’œil leurs obligations internationales concernant l’occupation illégale par le Maroc du territoire du Sahara Occidental.

Car cette occupation n’est pas tendre : répression brutale des populations sahraouies, emprisonnements massifs avec cas de tortures et mauvais traitements, sans protection juridique, condamnations par des tribunaux militaires, exploitation illégale des ressources naturelles terrestres et maritimes, refus d’obtempérer aux résolutions des Nations Unies sur l’obligation d’organiser un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui… Le dossier est lourd, bien documenté au point de vue politique, économique et juridique.

Et il est très actuel puisque les 5 et 6 décembre à Genève se tiendront des discussions entre le Front Polisario (représentant reconnu du peuple sahraoui) et le Maroc sous l’égide des Nations Unies sur le droit des Sahraouis au référendum d’autodétermination, refusé par le Maroc. Avant cela, le Maroc espère compter sur la complicité de la Commission européenne pour obtenir que le territoire du Sahara Occidental soit inclus dans les accords d’association UE – Maroc. (2)

 On sait que la Commission privilégie les accords de libre-échange avec le Maroc au détriment des droits humains des Sahraouis. Le parlement européen, lui, est divisé à la suite d’importantes campagnes de lobby menées par les Marocains. A ce sujet, un scandale vient d’être révélé: l'eurodéputée française Patricia Lalonde, rapporteur du Parlement européen sur la proposition d'étendre l'accord commercial UE-Maroc au sahara Occidental occupé, est l'une des membres du conseil d'administration d'EuroMedA, une fondation vouée principalement à la promotion des intérêts marocains. Vous avez-dit conflit d’intérêt ? (3)  

 Cependant, nombre de parlementaires connaissent à présent le danger d’accords économiques qui contreviennent au droit international et au droit européen. En effet, le Service juridique de Parlement européen a récemment rappelé que :

  • Le Sahara Occidental dispose d’un statut distinct et séparé du Maroc;
  • Tout accord entre l’UE et le Maroc s’appliquant au Sahara Occidental nécessite le consentement du peuple du Sahara Occidental;
  • Le peuple du Sahara Occidental doit être considéré comme un « tiers »;
  • Le Front Polisario est le représentant du Peuple du Sahara Occidental;
  • Le processus de consultation de la Commission européenne ne permet pas de déterminer si le consentement du peuple du Sahara Occidental a été obtenu. En outre, le Front Polisario est opposé à l’extension du champ d’application de l’accord de commerce au territoire Sahara Occidental;
  • Le principe d’autodétermination impose à tous les sujets de droit international, y compris l’Union européenne, l’obligation de ne pas reconnaître comme licite une situation créée par une violation de ce droit.

  Les membres de la délégation belge qui explore les ressources économiques du Maroc n’ont visiblement pas été mis au courant de cela. Alors, rappelons que la Cour de justice de l'Union européenne et notamment son procureur général, Melchior Wathelet (qui fut ministre belge de la Justice) a déjà statué comme suit : « dans la mesure où ils s’appliquent au territoire du Sahara occidental et aux eaux adjacentes, l’accord de pêche et les actes l’approuvant et le mettant en œuvre sont incompatibles avec les dispositions des traités qui imposent à l’Union que son action extérieure protège les droits de l’homme et respecte strictement le droit international. » Il soulignait que « la contrepartie financière versée au Maroc par l’Union au titre de l’accord de pêche devrait bénéficier presque exclusivement au peuple du Sahara occidental ». (4)

Donc, des plaintes en justice sont et seront déposées par les avocats du Front Polisario. Et cela risque de faire mal à certaines entreprises qui se trouveraient être complices d’exploitation illégale de ressources naturelles appartenant aux Sahraouis. Ainsi, la Belgique francophone s’enorgueillit des succès de l’entreprise wallonne Prayon à Casablanca. (5) Mais attention, cette entreprise a-t-elle bien vérifié que le phosphate qu’elle commercialise ne vient pas des territoires occupés par le Maroc au Sahara Occidental ?

Nous recommandons donc aux entrepreneurs et aux ministres qui les accompagnent de bien lire les documents de l’ONG Western Sahara Resource Watch (https://www.wsrw.org/) avant de finaliser des accords, d’autant plus bénéfiques à tous qu’ils sont respectueux des droits humains et du droit international.

1) Le Soir du 26 novembre 2018. « Une prospection en très grande pompe » et « Des conseils qui ne lésinent pas sur les clichés », par Elodie Lamer

2) https://comitebelgesaharaoccidental.wordpress.com/2018/11/27/delegation-belge-au-maroc-pas-deconomie-politique-mais-bien-une-economie-du-debat/

3) https://www.wsrw.org/a111x4330

4) http://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/ceci-n%E2%80%99est-pas-du-poisson-marocain%E2%80%A6  et http://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/surfer-%C3%A0-dakhla

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5) « Prayon, la success story wallonne à Casablanca », par Elodie Lamer. Le Soir. 28/11/2018.

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Une manifestation des Sahraouis et des militants espagnols pour la cause sahraouie à Madrid, le 17 novembre 2018. Photo © Gabrielle Lefèvre

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