Thérèse

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 5 min.

Quel âge a-t-elle ? Thérèse ? La soixantaine bien avancée , probablement. Ses cheveux sont gris, ses jambes maigres et ses problèmes commencent dès la douane à l’aéroport.

- Vous désirez vous rendre à Kaboul ?

- Oui

- Vous êtes musulmane ? Vous avez de la famille là-bas, des amis ?

- Je ne suis pas musulmane, je suis athée et je ne connais personne à Kaboul. Le policier note méticuleusement toutes les réponses de Thérèse. A la tête qu’il tire, elle se rend bien compte que le policier ne comprend pas. Ce n’est pas grave, personne n’est capable de comprendre sa démarche. D’ailleurs, elle n’en parle jamais. On la prendrait pour une dingue.

- Vous savez que vous n’y serez pas en sécurité ?

Je sais qu’il n’y a rien de sécurisé en Afghanistan. Pourtant l’état renvoie des Afghans chez eux.

- Je ne suis pas responsable de la politique migratoire de la Belgique rétorque le policier en bottant en touche.

Elle se doute que, pendant cet interrogatoire, les douaniers fouillent attentivement sa valise mais ils ne trouveront rien d’autre qu’un vêtement porté généralement par les femmes dans les pays musulmans, vêtement qu’elle a acheté dans un magasin de la rue de Brabant fréquenté essentiellement par des femmes d’origine marocaine.

Le vol s’est bien déroulé. Le tarmac de l’aéroport de Kaboul ressemble au tarmac de tous les aéroports  sauf qu’il est criblé de centaines de petits cratères qui témoignent de combats récents.

Dans l’aéroport, à cause de ses vêtements occidentaux, de son teint pâle et de ses yeux bleus Thérèse est au centre de l’attention de tous. Dès le moment où elle récupère sa valise, elle la traîne aux toilettes. Quand elle en ressort, elle est complètement recouverte d’une burqa à la mode afghane. Personne ne la regarde plus. Elle traverse la foule afghane comme une afghane Pour une fois, que la burqa sert à quelque chose.

Elle s’enfonce dans la ville en ruines mais très vite, se rend compte que sa mission sera difficile à remplir. Les immeubles ne tiennent plus debout, les rues sont éventrées et des quartiers entiers ont été détruits.

De plus, Thérèse ne connait pas son nom de famille et ne possède aucune adresse où le chercher si une adresse et un nom peuvent encore être utiles dans cette ville qui ressemble à un tombeau.

A la périphérie de la ville, une voiture vient d’exploser. Un attentat qu’on attribue aux talibans même si personne ne sait vraiment. Les gens paniqués courent en tous sens, les enfants hurlent. Comment retrouver Shirzad dans ces ruines ?

Deux ans plus tôt, elle l’a croisé à Bruxelles dans la rue où il mendie. Quel âge peut-il avoir ? Vingt ans ? Moins ?  En anglais, elle lui demande d’où il vient

- Afghanistan.

Ils ont parlé de la guerre, enfin, surtout lui parce que, la guerre, elle a la chance d’ignorer ce que c’est.

A Bruxelles, comme presque tous les jours, il pleut. Elle se sent tellement seule dans sa maison vide qu’elle lui propose de s’abriter chez elle. Il est d’accord. Une maison, c’est beaucoup mieux que la rue.

Shirzad vécut six mois dans la maison de Thérèse. Six mois de tendresse, de douceur et de complicité. Ils ignorent comment ils sont devenus amants. Un grand pas pour elle qui n’a connu  que son mari et qui craint de montrer son vieux corps dénudé et un immense pas pour lui qui n’a jamais connu personne. Ils vivent  sous le même toit et ils s’aiment. Elle parce qu’elle se sent moins seule,  lui parce qu’il a trouvé un toit. L’amour débute toujours pour d’étranges  raisons .

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Après six mois de vie paisible, la police veut contrôler les papiers de Shirzad, papiers qu’il ne possède pas. L’ordre de quitter  le territoire est arrivé quelques jours plus tard. C’est fou comme l’administration peut être efficace. Lors du contrôle, Shirzad a donné l’adresse de Thérèse. C’est là que la police est venu le chercher pour l’emmener au Centre 127bis en attendant son expulsion du pays. Thérèse est venue le voir tous les jours. Au parloir, séparé par un grillage, ils ne parlent pas mais pleurent beaucoup. Un jour, le personnel du centre fermé lui a notifié qu’il ne sera plus nécessaire de venir le visiter. Il sera expulsé dans deux jours. Au-dessus de Bruxelles, les avions volent bas comme des oiseaux de mauvaise augure. Elle erre plusieurs semaines dans sa maison vide et trop grande pour une femme seule. Un matin, elle se décide à faire sa valise car sa décision est prise.

A Kaboul, elle dévisage tellement d’hommes que çà en devient gênant. Ils se ressemblent tous mais aucun ne ressemble à Shirzad. Ce ne serait pas lui, là-bas cet homme qui achète des oranges ? Ou là, cet homme qui marche ?

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