Trump : démocratie à la dérive

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 1er septembre

 Les organisateurs du Festival Les Inattendues ont, en moins de dix ans, réussit à placer leur rendez-vous dans la liste des événements culturels de toute première ampleur grâce à deux caractéristiques originales : celle qui consiste à rapprocher les cultures d’Orient et d’Occident au point d’explorer leurs racines communes et de les confondre dans des créations spectaculaires ; celle aussi de distiller de la musique dans des rencontres philosophiques, au sein de débats, d’échanges ou de confrontations intellectuelles enrichissantes. Ce sont des respirations qui permettent de méditer le sujet évoqué afin de mieux le cerner au moment de le reprendre. Tout cela est présenté dans des lieux et des cadres de sérénité, autour de la cathédrale. Le public se presse en masse, heureux d’apprendre et de s’élever dans le savoir en pleine détente, et dont l’attention soutenue impressionne. Les comédiens lisent des textes ardus, les musiciens proposent des morceaux peu connus, les conférenciers se félicitent d’une écoute curieuse et concentrée, si bien que les commentaires spontanés accrochent la convivialité naturelle aux terrasses de la grand place toute proche, gorgée de soleil. Il est rare qu’un ensemble d’activités culturelles intelligemment ordonnancées procure une réjouissance intellectuelle aussi fertile.

Dimanche 2 septembre

 Si l’on est convié à suivre les pérégrinations et les paroles de François Hollande quasiment au jour le jour, il s’agit aussi d’observer l’ancien président des Etats-Unis Barack Obama qui, après un an et demi de retenue, a semble-t-il décidé d’expliquer à son peuple les dangers que l’actuel président lui fait courir. On l’aura compris vendredi dernier à l’occasion des funérailles de John Mc Cain, grande figure du parti républicain estimé de toute la classe politique sans distinction de tendance. Obama laissa quelques impressions discrètes auprès de journalistes choisis qui augurent d’un engagement actif et concret. Les élections intermédiaires s’annoncent à l’automne. Ce sera le bon moment pour dénoncer les facéties de Donald Trump autrement que par des caricatures ou des manifestations, ce Trump qui jouait au golf à l’heure de l’hommage au défunt Mc Cain.

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 Daniel Cohn-Bendit ne remplacera pas Nicolas Hulot à la tête d’un ministère de l’Écologie. Ce serait « une fausse bonne idée » déclare-t-il. Sans aucun doute. L’homme n’est pas disponible pour interpréter la voix de son maître. La seule parole qui compte, c’est la sienne. Il signale néanmoins qu’il souhaite aider Emmanuel Macron. Il vient déjà de le faire en refusant le maroquin que le président lui offrait.

Lundi 3 septembre

 On ne peut même plus parler de trahison dans le chef d’Aung San Suu Kyi, l’ancienne icône de la Birmanie. Il faut plutôt considérer qu’elle perd la raison.  Elle deviendra bientôt plus cruelle que la junte qu’elle avait naguère combattue et d’une certaine manière vaincue. L’ONU devra bientôt penser à l’interner, le jury Nobel de la Paix à lui reprendre son Prix.

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 Le diable est en Amérique latine et il ne s’appelle plus CIA. Le Venezuela de l’après-Chavez sombre dans la misère économique, l’Argentine voit sa monnaie décliner à une vitesse inquiétante et celui que le peuple brésilien veut revoir à sa tête est en prison tandis que sa candidature à l’élection présidentielle vient d’être invalidée. Comme un malheur ne vient jamais seul, le prestigieux musée national de Rio de Janeiro a été réduit en cendres par un gigantesque incendie trop difficilement contrôlable. La CIA, contrairement aux soubresauts et aux drames du siècle passé, ne semble certes plus aux commandes mais Dieu fasse que monsieur Trump n’ait pas envie d’aller remettre de l’ordre dans les boutiques.

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 Revoir 2001 Odyssée de l’espace cinquante ans après sa sortie dans une version techniquement améliorée procure toujours le même plaisir. Pas besoin de monstres aux apparences horribles pour que surgissent devant les astronautes  des phénomènes prouvant qu’une autre intelligence meuble l’univers. Un monolithe lisse, rien qu’une sorte d’épais parallélépipède qui traverse les millénaires des Terriens et encombre leurs projets colonisateurs de planètes. La poésie de l’inconnu sur la célèbre valse de Strauss - ce Beau Danube bleu qui résonne dans l’immensité du vide -  et le mystère de l’infini qui surgit sans être expliqué, sans être inscrit dans la rationalité d’une histoire. Parce que l’on ne sait pas. Parce qu’il est vain – et parfois bête – de suggérer. Ce film est un chef-d’œuvre et il atteste si besoin était encore que Stanley Kubrick est un génie. Les grands, les vrais anticipateurs sont des modestes angoissés. Orwell aurait pu intituler son roman 2084 et Kubrick son film 3001. Mais ils n’auraient pas touché les sensibilités, transmis leur angoisse de la même manière. Le lecteur et le spectateur, après avoir pris connaissance de l’histoire et constaté que les événements surviendraient longtemps après leur mort, se seraient dit : « Après nous les mouches… » Ecce homo.

Mardi 4 septembre

 Tout ça pour ça, disent les observateurs. On s’attendait à un grand remaniement ministériel. Finalement, un tout petit ballet politicien s’est déroulé au ministère des Sports et à la Transition écologique et solidaire. Nicolas Hulot, très ému, passa le relais à François de Rugy, qui était président de l’Assemblée nationale, lequel cédera son maillet à Richard Ferrand, président du groupe macroniste à l’Assemblée. Un tout petit ballet de serviteurs zélés, comme au bon vieux temps, dans l’ancien monde. Les réseaux d’informations pourront, sur Internet, repasser la prestation de Rugy sur le plateau de France 24 en janvier 2017 où il fustigeait le candidat Emmanuel Macron, en soulignant qu’il n’avait aucun objectif écologique parce qu’il s’attachait au développement économique polluant… Faudra autre chose pour que ta cote de popularité remonte Manu. Elle est déjà paraît-il, un point en-dessous de celle de Hollande à la même période. C’est dire !

Mercredi 5 septembre

 Il est certain que de multiples livres paraîtront sur Donald Trump, tous plus explicites que d’autres tant les enquêtes doivent pulluler. Mais celui qui vient d’être présenté à la vitrine du libraire n’est pas comme les autres. Il est dû à Bob Woodward, le journaliste qui déclencha l’affaire du Watergate au début des années ’70 et qui parvint à provoquer le départ de Richard Nixon. Cet ouvrage est donc l’œuvre d’un grand professionnel, un journaliste chevronné qui sait les risques d’une divulgation d’information et ses corrélats. Il fait donc preuve de sérieux dans ses analyses, de recoupements dans l’exposé des faits. Il prend maintes précautions avant d’avancer une description et chaque mot est pesé. Ceux qu’il emploie révèlent une situation catastrophique à la Maison-Blanche. La version française du livre n’est pas encore parue mais des extraits traduits sont déjà commentés dans la presse. La principale puissance du monde est dirigée par un dingue. Faut-il encore en rire ? Oui, pour ne pas pleurer, pour ne pas être angoissé en permanence, mais il faut néanmoins être conscient du risque. C’est Docteur Folamour. Ce qui est désormais certain, c’est que ça va mal finir. Ce qui est problématique, c’est qu’on ne sait pas encore pour qui. Pour le peuple américain ? Pour le monde entier ? Pour nous, Européens ? Le mieux serait que ce fût pour Trump lui-même et pour celles et ceux qui vivent et agissent dans son sillage, sous ses ordres ou avec sa bénédiction. Rien ni personne d’autre.

Jeudi 6 septembre.

 Même quand on veut s’intéresser à la marche du monde en dehors de lui, Donald Trump revient enrayer l’observation. Ce qui vaut la peine d’être transcrit, ce n’est pas ce qu’il dit, c’est ce qu’on dit de lui. Et pour l’heure, chaque jour apporte des témoignages ahurissants. Ainsi, le très sérieux New York Times publie un éditorial à la signature anonyme, fait très rare de la part de ce journal. Il aurait été rédigé par un conseiller haut placé dans l’aile ouest de la Maison-Blanche, celle de la présidence, assurant « une résistance silencieuse » et tenant à prévenir le peuple américain que ses collègues et lui veillent à préserver le pays. La gorge profonde déballe des situations illustrant l’attitude d’un fou, d’un demeuré, d’un imprévisible. L’auteur affirme pour rassurer : « il y a des adultes à la Maison-Blanche », qu’on ne s’en fasse pas. C’est inouï.

 Le 44e Festival du film américain de Deauville a couronné une nouvelle star, Shailene Woodley, 27 ans, militante écologiste, qui déclare : « Pour la première fois, on a un président qui se fiche de la démocratie.» Les observateurs précisent que Trump conserve toutefois sa base électorale. Soit. Mais si des témoignages aussi graves continuaient d’être déversés à un rythme quotidien, il finirait bien par se passer quelque chose…

                                                           *

 L’homosexualité est dépénalisée en Inde. Scènes de joie dans les rues. Contraste avec ce que la France a connu. Une leçon de démocratie pour tous les militants opposés au « Mariage pour tous » qui défilaient dans Paris avec des slogans vulgaires et qui s’en prenaient, rustres, à Christiane Taubira de manière abjecte.

Vendredi 7 septembre

 Obama est rentré en piste. Il ne s’arrêtera pas jusqu’aux élections de novembre. Et il déclinera le plus souvent possible des phrases-chocs, les seules peut-être susceptibles de rivaliser avec les tweets du président. Son but est double : d’une part faire élire des démocrates pour reprendre la majorité à la Chambre ; d’autre part sensibiliser les républicains modérés à la dérive immorale de leur nation qui, en finalité, pourrait mettre la démocratie en péril. Il paraît qu’on l’attendait… Quoi ? Cet homme a gouverné les Etats-Unis pendant huit ans ; la Constitution ne lui permettait pas de se représenter, ne pourrait-on pas plutôt espérer découvrir quelques jeunes figures neuves se réclamant de son travail pour engager le fer ? En attendant, le black « fait le job ». Tout à son honneur.

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 Que d’hésitations ! Que de méandres ministériels ! Que d’interrogations sournoises pour mettre au point le projet de prélèvement à la source qui avait été parachevé sous le précédent quinquennat ! Serait-ce parce qu’il s’agit d’une réforme initiée par François Hollande que Macron se tâte et pataude tellement ?

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 Le célèbre architecte italien Renzo Piano présente un nouveau projet de pont pour Gênes. Discours officiel, petits fours… Au moment d’expliquer son ébauche, la maquette s’effondre. Un présage tragique ? Non, des rires spontanés, pas jaunes du tout. Il n’y a qu’en Italie que l’on peut voir cela.

La comedia !

Samedi 8 septembre

 Les Suédois voteront demain et là-bas (même là-bas !), l’extrême droite progresse et menace. Elle pourrait réaliser un score impressionnant grâce à une campagne axée sur la peur des migrants. Tous les commentaires mettent cette percée en évidence. Certes, il s’agit sans doute du fait le plus saillant de cette compétition. Il importerait néanmoins de rappeler que la coalition de gauche (social-démocratie / écologistes / communistes) du Premier ministre Stefan Löfven est toujours en tête dans les sondages (40 %), au coude-à-coude avec la droite classique (39 %). Avec les 20 % qu’on leur prédit, les bruns feraient l’événement mais pas la révolution.

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 Emmanuel Macron recevait hier Angela Merkel à Marseille pour évoquer, durant toute la journée, l’avenir de l’Europe. Le temps presse. Les extrêmes droites progressent un peu partout dans les pays membres, les eurosceptiques pourraient devenir majoritaires dans le parlement qui sera renouvelé fin mai. Sans attendre des résolutions fondamentales, on espère un contenu volontariste de la part des deux principaux moteurs de l’Union européenne. Mais après le dîner, Macron s’est offert un bain de foule sur le Vieux-port. Grâce à des « allez l’OM » répétés ça et là, avec des selfies à l’envi, sa popularité fut assurée. Il rencontra même Jean-Luc Mélenchon à une terrasse. Échanges courtois et républicains. Ce matin, du Figaro à BFM TV, cette rencontre est à la une des bulletins d’informations. On a presque oublié que Merkel était, elle aussi, à Marseille. La politique du spectacle nourrie par la com’, un jour, Macron s’en mordra les doigts.

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 Les substantifs « aoûtiens » et « juilletistes » ont fait leur entrée dans le Petit Larousse au début de la décennie ’70. Il faudra désormais compter avec les « septembristes », un néologisme figurant à la une du Parisien - Aujourd’hui en France. Un rapide tour d’horizon des stations balnéaires montre qu’en effet, nombreux vacanciers goûtent le soleil des ultimes journées de l’été. On connaît leur caractéristique principale : il s’agit de personnes sans enfants scolarisés. L’évidence surgit donc illico : les septembristes appartiennent souvent au troisième âge.

Dimanche 9 septembre

 Il y a une dizaine d’années, le nom d’Alep devenait connu de presque tous les Terriens, y compris ceux qui ne s’intéressent pas à l’histoire de l’Antiquité ou à celle du savon. Désormais, on va se familiariser avec celui d’Idlib, 6000 km², dernière poche où les fous d’Allah se sont retranchés. Les belles âmes craignent les bombardements destructeurs. La communauté internationale s’empare de l’indignation naissante puisque le mal sera enfanté, conduit par le trio d’enfer Iran – Russie - Turquie. Bien sûr que les bombardements auront lieu, bien sûr qu’ils causeront la mort d’innocents. Mais quoi ? Au point où l’on en est là-bas, on ne va quand même pas laisser un territoire aux mains de dérangés en violence qui, de surcroît, à terme, causeraient plus d’effrois aux populations civiles que quelques bombardements décisifs ? Idlib sera détruit, rasé peut-être, parce que la vermine s’y concentre. Ce n’est pas cet événement-là qu’il importe de cerner ou de commenter, c’est évidemment l’étape suivante : dans une Syrie transformée en champ de ruines, lorsque les armes se seront tues partout sur le territoire, que faire de Bachar al-Assad ? C’est la seule vraie question qui, latente, fait déjà débat dans les milieux diplomatiques. Une question vraie encombrée, pour l’heure, de réponses fausses.

                                                           *

 L’extrême droite suédoise ne réalise pas la percée que la presse internationale lui prédisait. Telle est la seule information que les dépouillements peuvent révéler ce soir. Mais elle est déjà de taille.

                                                           *

 Il est commun de signaler qu’avec la fin de la Mostra, le Lido retrouve le calme. Mais peut-on admettre que Venise possède encore des périodes calmes en ses quartiers les plus renommés ? La Sérénissime est même contrainte de réglementer les afflux touristiques en installant des barrières d’accès semblables à des parcomètres. Il n’empêche que la fin du Festival  rendu le Lido moins agité par le va-et-vient des vaporettos transportant des vedettes du grand écran. Cette 75e Mostra s’est achevée sur un palmarès historique. Le Lion d’or attribué à Roma du mexicain Alfonso Cuaron (Gravity, 2013) n’est pas tellement analysé en tant que tel. On attendra sa sortie en salles pour l’apprécier. Ce qui fait l’événement, c’est que ce film est distribué par Netflix qui décroche ainsi pour la première fois un trophée prestigieux. Comme le prix du scénario revient au western des frères Coen (The Ballad of Buster Scruggs) distribué aussi par Netflix, cette entreprise américaine prend officiellement une place prépondérante dans le marché cinématographique. Ce n’est pas une surprise ; on dira même que cette promotion était prévisible et attendue. Il n’empêche que l’évolution du paysage audiovisuel risque d’être très bousculée au cours des prochaines années, notamment pour les chaînes de télévision européennes.

 Lundi 10 septembre

 La social-démocratie suédoise n’est plus le phare de l’Occident. On le savait depuis plusieurs décennies. L’État-Providence n’est pas inébranlable ; ce constat était aussi acquis. Il n’empêche que le parti du Premier ministre Stefan Löfven, cet ancien métallo conduisant la coalition de gauche arrive en tête aux élections législatives avec plus de 28 % des voix. La droite classique est loin derrière et l’extrême droite ne réalise pas le score espéré, malgré une progression. En conséquence, la formation d’une coalition détenant la majorité des sièges est pour l’heure hypothétique. Se dessine ainsi de plus en plus la physionomie de la campagne européenne du printemps. Deux positions majeures s’affronteront : les partisans d’une relance européenne et les tenants d’une Europe à déconstruire. Ceux-ci baseront toute leur argumentation sur la politique migratoire en développant l’équation pernicieuse : immigration = insécurité. C’est pourquoi l’observation de la Suède est utile. Le pays accueillit une masse importante de migrants, un phénomène qui supplantera les options de politique sociale, celle qui a conduit la société vers un progrès remarquable en termes d’égalité.

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 Proverbe portugais cité par Julian Barnes dans Le Point : Si la merde était précieuse, les pauvres naîtraient sans cul.

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