Une actualité… foutraque !

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Le nom Gibraltar vient de l’arabe djebel Tariq, montagne de Tariq et donc un souvenir de la conquête musulmane de l’Espagne wisigothique au début du VIIIe s. Photo © Wikipédia

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Vendredi 16 novembre

  Le Journal d’André Gide est un ouvrage qui, aujourd’hui encore, fournit des repères pour analyser certains moments forts du XXe siècle. L’écrivain a noté, commenté son temps à travers le prisme de ses engagements et les ardeurs qui l’animaient. Chaque jour de sa vie fut propice à des écrits. Cela ne l’a pas empêché de décréter : « J’appelle journalisme tout ce qui aura moins de valeur demain qu’aujourd’hui ». Cette semaine a débuté avec une nouvelle étonnante : il n’y aurait qu’un seul candidat en lice pour représenter l’opposition à Kabila lors de l’élection présidentielle du 23 décembre. Ce n’était pas une fausse information (désormais, on dit fake new, même en France…) mais une information défaillante. Aujourd’hui, la belle harmonie unitaire a déjà volé en éclats. Une autre nouvelle étonnante avait été diffusée après les cérémonies de l’Armistice : Theresa May a conclu un accord sur le Brexit avec l’Union européenne. Désormais, cet accord est plus que chancelant et la Première ministre britannique est sur le point d’être destituée. Mais si la vision de Gide est vraiment pertinente, il est possible que tout s’inverse de nouveau, à Kinshasa comme à Londres.

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 L’immense garage Volkswagen de Bruxelles se pique d’organiser de temps en temps des soirées culturelles au beau milieu d’ancêtres et de voitures de luxe qui font rêver les amoureux du volant aphrodisiaque. Ce soir, Alain Carré fait découvrir le journal de la Guerre ’14-18 de Lucien Durosoir (1878 – 1955), violoniste et compositeur de second plan, qui raconte platement une vie de poilu comme des milliers d’autres ont déjà été narrées. Le comédien lit avec une emphase de mauvais aloi des extraits du carnet de Durosoir, entrecoupé de morceaux plus ou moins plaisants qu’interprète le trio Atanassov (piano, violon, violoncelle). On y apprend que le spécialiste de l’archet sait manier aussi les armes (« J’ai tué quelques Boches, dont deux avec mon pistolet »…) et l’on vérifie que les combattants exténués n’ont pas fait la fête le 11 novembre 1918. Celles et ceux qui dansaient dans les rues ne venaient pas des tranchées. Non, les pauvres rescapés de l’horreur, ce jour-là, comme sans doute tous les autres jours, pensaient à leurs copains ensevelis sous les baïonnettes. Content mais soumis au destin de la tragédie, l’artiste qu’il n’a jamais cessé d’être durant ces quatre années d’enfer clôt son journal, résigné : « Les pleurs ne sont-ils pas un élément de l’art ? »

Samedi 17 novembre

 Les « Gilets jaunes » bloquent les routes de France afin de protester contre la hausse du prix des carburants, la goutte d’essence qui fait déborder le vase du mécontentement quant à la perte du pouvoir d’achat. La mobilisation citoyenne s’est opérée au départ des réseaux sociaux. Cette nouvelle forme d’action collective se substituerait-elle à la révolution individualiste ? Dans sa chronique du Point, Kamel Daoud caricature plutôt une nouvelle forme de suffrage universel : « Coincés dans nos universels canapés, usant de la télécommande comme aboutissement du darwinisme, comme fin de l’Histoire et incitation du divin… » Á méditer.

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 André Gide, encore : « Il est bien plus difficile qu’on ne croit de ne pas croire en Dieu. » (Les Nouvelles nourritures, 1935). Pardi ! Poussons un pont plus loin cher Maître, et ne craignons pas d’affirmer : « Il est bien plus inconfortable de ne pas croire en Dieu que d’y croire. »

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 Il n’y a pas que Natacha Polony pour réhabiliter le mot foutraque, qui avait autrefois été remis au goût du jour par Françoise Sagan. Voici que Franz-Olivier Giesbert l’applique au trio Poutine, Erdogan, Trump. Autant s’attendre à une insertion de ce qualificatif dans le langage courant. La revue des répertoires est stérile quant à l’étymologie de ce mot. Thierry Prellier ne le mentionne pas dans son Petit dictionnaire des mots rares (éd. Le Cherche midi, 2000). Pas même Alain Rey dans son volumineux Nouveau dictionnaire historique de la langue française. C’est la brillante linguiste Marie Treps qui sauve un peu la recherche en précisant que c’est un régionalisme, ceci expliquant cela. Soit. Le pronostic reste de mise : on devrait entendre de plus en plus souvent le mot foutraque.

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 Des nouvelles de François Hollande ? Ah oui ! Il assure une séance de dédicace à la Foire du Livre de Laroquebrou, département du Cantal, arrondissement d’Aurillac, 887 habitants. Si, si ! …

Dimanche 18 novembre

 Le bilan de l’action des « Gilets jaunes » est inquiétant : près de 300.000 manifestants sur toute la France, 1 mort, plus de 400 blessés dont 28 assez gravement et 14 policiers ou pompiers hospitalisés… Hier soir, le centre de Paris était en état de siège. Aujourd’hui, en certains endroits, les blocages se poursuivent. Parmi toutes celles et tous ceux qui criaient « Macron démission », combien avaient voté pour lui ? L’employé de la banque Rothschild se rend compte que l’on ne gouverne pas contre le peuple. Toute l’Histoire – qu’il connaît pourtant bien – le démontre. Mais peut-être se voyait-il en modifier le cours… Jupiter minus, tout le monde descend !

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 Les ventes de squelettes de dinosaures se succèdent à Paris et les prix s’affolent. Jurassic Park prend un coup de vieux.

Lundi 19 novembre

 Emmanuel Macron (et Brigitte, bien sûr…) sont en Belgique pour deux jours. Plein de bisous avec Charles Michel, l’ami Premier ministre.  Le tandem Mwouh !- Mwouh ! travaille au renforcement de l’Union européenne nous dit-on. N’y aurait-il pas un mouchard qui aurait signalé au président français que son copain avait préféré acheter les avions de Trump que les siens le mois dernier ? Ou l’aurait-il oublié ? Ou aurait-il fait semblant ? Natacha Polony, elle, ne l’a pas oublié : « (…) Pas d’existence politique de l’Europe sans une solidarité dont le premier signe est la préférence communautaire. La Belgique préfère acheter des F – 35 américains, quitte à se plier un peu plus aux contrôles du complexe militaro-industriel américain. Et tant que les accords seront libellés en dollars, l’Europe sera une colonie américaine. (…) » ("Quand Macron découvre enfin l’Europe", in Marianne, 16 au 22 novembre 2018)

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 Morteau, bourg de 7000 âmes, département du Doubs, arrondissement de Pontarlier. Célèbre pour sa gastronomie, il produit la fameuse saucisse. Ah ! La France inépuisable en saveurs … ! Oui, mais attention ! Le boyau de la saucisse est importé de Chine ! Ah ! La Chine inépuisable en sauveurs … !

Mardi 20 novembre

 Theresa May se bat. Cette semaine est encore décisive, la suivante le sera aussi et le 6 décembre, la Chambre des Communes déterminera son sort. La Première ministre britannique sera reçue demain par Jean-Claude Juncker à Bruxelles tandis qu’à Londres, les partisans d’un Brexit dur prennent des contacts tous azimuts afin de faire valoir leurs thèses. On dit que tout est clair et serein du côté des Européens mais Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol, menace de ne pas approuver l’accord si la situation de Gibraltar - qui ne fait point partie du Royaume-Uni mais qui est sous tutelle britannique – n’est pas nettement précisée. Cela concerne des milliers de travailleurs espagnols qui, tous les jours, s’en vont prester sur le Rocher. Beaucoup d’observateurs, au siège bruxellois de l’Union, pensent qu’un deuxième référendum sera inévitable. C’est aussi ce que l’ancien Premier ministre Tony Blair prétend et défend, dans des tribunes libres que les journaux britanniques et surtout européens publient. C’est une bousculade permanente, une situation qui restera inextricable durant deux semaines et que l’on est peu enclin à  commenter au jour le jour. Alors quoi ? Prendre du recul pour ne pas perdre le sujet de vue. Par exemple, voguer sur Internet en sélectionnant la conférence de presse de Charles de Gaulle du 14 janvier 1963 dans laquelle il explique pourquoi il ne souhaite pas que la Grande-Bretagne entre dans le Marché commun…

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 50 % des maires de France, écœurés par les ponctions que le pouvoir central opère sur les collectivités locales, ont annoncé qu’ils ne se représenteraient pas en 2020. C’est un chiffre énorme, qui ne peut laisser indifférent. Et pourtant, Emmanuel Macron ne se rendra pas à leur 101e Congrès qui aura lieu pendant ces deux jours-ci à Paris.

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  Quand on réalise un film avec en vedette Fabrice Luchini, on est tenté de faire en sorte que toute la trame s’orchestre autour de sa personnalité. Alain, le chef d’entreprise brillant mais surmené, victime d’un avc, connait des troubles de la parole. C’est l’idée géniale d’Henri Mimran. Ce comédien, si admiré pour son élocution, pour sa diction, pour sa prononciation si respectueuse du vocabulaire français, doit ici tordre la langue comme un autiste ou comme celui qui parlerait un mauvais verlan. Luchini remplit sa mission loufoque avec brio, et l’on s’amuse à le suivre dans une histoire convenue qui, évidemment, finira bien.

Mercredi 21 novembre

 Carlos Ghosn, le patron de Renault-Nissan, gagne 45.000 euros par jour. Il trouve encore le moyen (à moins que ce soit de cause à effet) de pratiquer l’évasion fiscale et de frauder les impôts. Le voici détenu dans une prison japonaise. En France, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, prend son temps, arguant du principe de présomption d’innocence. Alors survient l’inattendu : Bruno Gollnish, parlementaire européen du Front national, est un petit actionnaire de la société Renault. Il acheta naguère quelques actions pour un montant de 3000 euros. Il vient décrire à tous les administrateurs pour réclamer l’élection d’un nouveau conseil d’administration et, partant, d’une nouvelle présidence. Bien entendu, il se porte candidat aux deux fonctions. Cela ressemble à un canular mais la presse la plus sérieuse s’en empare et Gollnish se marre. Il va s’attirer la sympathie de tous les petits actionnaires et peut-être aussi d’une partie de l’opinion publique. Comment lui donner tort ?

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 Quand on relit les bons mots de Georges Clemenceau, on ne peut que constater combien ils ont leur pertinence de nos jours. Encore un élément qui alimente l’inquiétude en comparaison avec les années trente… :

 « Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire et il faut enfin l’énergie de le faire. »

 « La vanité humaine est si grande  que le plus ignorant croit avoir besoin d’idées. »

 « La France me fait peur. Les gens rient, s’amusent, ne comprennent pas et, s’ils comprennent, ils s’en fichent. »

Jeudi 22 novembre

 Nicolas Hulot réapparaît pour la première fois sous les spots depuis son départ inopiné du gouvernement fin août. S’il a choisi l’excellente Émission politique de Léa Salamé sur France 2, c’est pour sa longueur. Il a raison. La machine audiovisuelle réagit tellement à l’immédiateté qu’elle oblige l’expression politique à des slogans ou, au mieux, à des phrases courtes et des démonstrations brèves. La conclusion principale à retenir de cette prestation dense et quelque peu désespérée tient en un principe : Il n’y a pas de transition écologique possible sans un accompagnement social. C’est, en fait, ce que développait déjà Michel Bosquet dans les pages du Nouvel Observateur au début de la décennie ’80, lorsqu’il avait inventé le néologisme écosocialisme que presque personne ne prenait en considération. L’autre impression laissée par Hulot réside en une certaine forme de catastrophisme. Il répète que la planète n’est pas « atteinte d’une bronchite mais d’un cancer généralisé ». Est-ce la bonne métaphore pour avertir de l’urgence ? La maladie de notre bonne vieille Terre est-elle donc incurable ? Si tel était le cas, il serait trop tard de vouloir modifier les us pour la sauver, et l’appel de Hulot, exprimé pour apeurer afin de motiver pour mobiliser deviendrait contreproductif. Soit. Un regret enfin : quid de Notre-Dame-des-Landes ? Où en est-on là-bas après la décision de ne pas construire l’aéroport ? On savait que si Macron avait réussi à embarquer Nicolas Hulot dans son gouvernement, c’est parce qu’il s’était engagé en tête à tête à verser le projet aux oubliettes. On regrette que Léa Salamé n’ait pas débuté son émission – au demeurant excellente – par un bref reportage sur ce qui, au début du quinquennat, s’identifiait à la présence de Nicolas Hulot dans l’équipe gouvernementale.

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 C’était le 22 novembre 1935 Au Théâtre de l’Atelier, Louis Jouvet et sa troupe interprètent la première de La Guerre de Troie n’aura pas lieu, de Jean Giraudoux. Tout le monde voit venir la guerre mais ne fait rien pour l’empêcher.

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 Encore un cinquantième anniversaire oublié aujourd’hui, celui de la parution des Grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos, en librairie à partir d’avril 1938, c’est-à-dire six mois avant Munich et qui, a posteriori, nous revient avec acuité : « L’optimisme m’est toujours apparu comme l’alibi sournois des égoïstes, soucieux de dissimuler leur chronique satisfaction d’eux-mêmes. Ils sont optimistes pour se dispenser d’avoir pitié des hommes, de leur malheur. »

Vendredi 23 novembre

 Il y eut dans l’Histoire beaucoup de jeudis noirs comme celui du 16 juillet 1942 où se commit la Rafle du Vel’ d’hiv’ ; le plus célèbre étant celui que l’on qualifia ainsi pour la première fois, le 24 octobre 1929 annonçant le krach boursier de New York. Le jeudi noir évoque les gens ruinés. Mais aujourd’hui, c’est le Black Friday, et tout le monde dépense à volonté dans les grandes surfaces commerciales. Vive le capitalisme !

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 Mauriac, dans son Bloc-notes, à propos des édiles du MRP (parti démocrate-chrétien, centriste, ayant existé de 1944 à 1967, ancêtre de l’actuel MoDem de Bayrou) : « sevrés de portefeuilles, ce sont des morphinomanes rendus furieux, et qui pleurent après leur piqûre.» Méchant ou lucide avec les siens, François-le-Bordelais ? Non, tout simplement un homme libre, au langage franc, sans détours diplomatiques.

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