Une vie française

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 7 min.

Jean-Paul Dubois

Une vie française

Éditions de l’Olivier et Le Point/Seuil *

« Fourmis agitées, nous nous démenions pour trouver une place en ce monde » J.P.Dubois

Le nom de cet auteur ne vous est sans doute pas inconnu si vous suivez les lauréats des prix littéraires en France, il a reçu le Prix Goncourt en 2019 pour « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ». Mais comme le principe de « Chemins d’écriture » est de ne pas parler des livres dont tout le monde parle, j’ai choisi un autre roman de l’auteur, édité en poche « Une vie française », dont on a beaucoup parlé aussi…mais en 2004, année de sa parution et de son couronnement par les Prix Femina et du roman Fnac. Le lisant en 2020, j’ai trouvé qu’il traduisait bien l’esprit d’un certain milieu petit-bourgeois de ces 50 dernières années. L’auteur a été proche de la gauche française issue du milieu/fin des années 60 - il avait 18 ans au moment des événements de 1968, les a pleinement vécus, est devenu journaliste sportif puis grand reporter au Nouvel Observateur.

Cette vie française court donc sur 50 années, depuis de Gaulle jusqu’à Jacques Chirac, au début des années 2000. Chaque chapitre de ce roman porte le nom du président de la République présent aux différentes époques de la vie de Paul, le héros et narrateur du livre et un avatar de l’auteur. Car ce roman est en grande partie autobiographique, comme beaucoup de ceux qu’il a écrits.

Paul déroule sa vie, entre son père concessionnaire pour la marque de voiture Simca, et sa mère, fille de berger, correctrice à domicile. La mort de son grand frère, le désespoir des parents, marquent à jamais le jeune Paul qui a alors 8 ans. La joie des réunions familiales disparaît, les jours lui semblent mornes, comme cette société des années 50-60 qui, en même temps qu’elle accède au progrès, demeure fermée sur elle-même dans un excès d’ordre moral, de respect familial, de tabous sexuels, tandis que l’Histoire se répète avec ce que l’on nomme pudiquement les « événements » d’Algérie, litote qui cache cette guerre de décolonisation.

Mai 1968 sonne pour Paul comme une délivrance, sublimant son adolescence, l’étau se desserre, enfin, avec le rejet de la société traditionnelle. Et il en profite…

L’arrivée de Georges Pompidou calme le jeu, ramène l’ordre, mais Paul, sur sa lancée, fonde « Round Up », groupe de rhythm and blues et cette activité hautement subversive ajoutée au fait qu’il vit en communauté avec ses copains musiciens, lui donne l’impression de continuer la « révolution »…

Avec Valéry Giscard d’Estaing s’annonce un libéralisme mondialisé qui réjouit la classe dirigeante. Paul évince avec une adresse cynique le beau garçon qui sort avec une jeune fille dont il est tombé amoureux, Anna. Un enfant s’annonce et le mariage devient inévitable dans la famille très conservatrice de sa dulcinée, fille d’un entrepreneur et d’une chirurgienne esthétique. Après quelques années où Paul est reporter sportif dans le journal de son beau-père, il devient « homme d’intérieur » pour s’occuper de ses deux enfants tandis que sa femme part tous les matins diriger son entreprise. Sans illusion sur son mariage mais raisonnablement heureux de sa vie, Paul s’occupe activement de ses enfants, retrouve et développe une passion d’adolescence initiée par son père, la photographie.

En bon libertaire gauchiste, Paul se targue de ne pas voter car « il ne s’est jamais trouvé tout au long de ma vie sous cette 5ème république, un seul candidat en quête de voix à qui j’aurais confié avec plaisir les clés de ma voiture ou celles de mon pavillon ». Il ne votera donc pas pour François Mitterrand en mai 1981. Commencent pour Paul les années qui le verront s’éloigner doucement du foyer par la grâce d’une curieuse commande d’un éditeur, ami de son beau-père. En effet, les photos que Paul a prises au fil du temps ont trouvé un public confidentiel, dont cet éditeur qui lui commande un reportage photo sur…les arbres. Le sujet passionne Paul qui aime la solitude et bien peu ses semblables et le voilà parti à travers le monde. Le livre est un succès d’estime et commercial et Paul n’a définitivement plus besoin de travailler et peut vivre pleinement son profond désir qui est aussi celui de l’auteur : ne jamais subir d’autorité ni l’exercer sur les autres et être maître de son temps…un véritable luxe ! mais ce temps heureux ne durera pas et il devra affronter des vicissitudes, des drames, admettre qu’une partie de sa vie reposait sur un faisceau d’hypocrisies et de dissimulations…tandis que la France entrera dans le second millénaire.

Jean-Paul Dubois utilise adroitement une langue qui enrobe avec séduction et ironie toutes les situations que va rencontrer son héros, il sait les évoquer avec affection, tendresse mais aussi avec une lucidité parfois cruelle : de ses ébats ou fantasmes sexuels (nombreux !) aux diverses roueries pour arriver à ses fins, de la description du désarroi et de la mélancolie de ses parents à la description acide de dîners familiaux, amicaux ou mondains, des turpitudes politiques aux « arrangements » des patrons (et patronnes) d’entreprise.

On peut penser au magnifique « Les Années » de Annie Ernaux qui se déroule sur la même période mais est entièrement autobiographique, une autobiographie distanciée par une énonciation impersonnelle (l’emploi du « elle » à la place du « je »), et qui s’ancre plus précisément dans l’Histoire et la société tandis que le Paul de Jean-Paul Dubois les traverse en promeneur et s’intéresse davantage à sa propre existence. Il en traque les passions, les faiblesses, les amours, tout ce qui tisse une vie. Une vie à laquelle, petit à petit, le lecteur s’attache pour s’y retrouver -parfois - s’en amuser – souvent – et regarder avec le héros s’éloigner doucement cette drôle d’époque.

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