Lumières terrestres (20)

Question d'optique

Par | Journaliste |
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Botswana Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Lecture 8 min.

Cette fois, nous passerons du Botswana au Rwanda, dont les deux capitales, Gaborone et Kigali sont distantes de 3.580km par la route. Le Botswana est 22 fois plus grand que le Rwanda avec une population cinq fois moins nombreuse. Le PIB par habitant est de 655€ au Rwanda contre 6.993€ au Botswana. L’espérance de vie est de 67 ans pour les deux pays et la religion catholique est majoritaire chez chacun d’eux. Mais pourquoi comparer ces deux pays me direz-vous ? Parce que tous deux sont en apparence des modèles de réussite, tant sur le plan économique que de la stabilité politique, sur le continent africain tout en ayant peu de similitudes sur leurs modes de fonctionnement. Les Botswanais qui viennent de sortir d’élections démocratiques, le 25 octobre dernier ont réélu à une courte majorité le Parti démocratique du Botswana et ont permis à Mokgweetsi Masisi de conserver la présidence du pays. En quelques mots, le Botswana est une démocratie constitutionnelle multipartite, dans laquelle le président est à la fois chef de l'État et du gouvernement. Le pouvoir exécutif est assumé par le gouvernement. Le pouvoir législatif est dévolu au gouvernement et au parlement. Le pouvoir judiciaire est indépendant de l'exécutif et du législatif. Le pays est classifié comme le moins corrompu d’Afrique. Le Rwanda est une république démocratique à régime présidentiel, où le président de la République est à la fois chef de l'État et chef du gouvernement. Le pouvoir exécutif est aux mains du gouvernement tandis que le pouvoir législatif est partagé entre les deux chambres du Parlement (système bicaméral) : Sénat et Chambre des députés, et le gouvernement. Des points forts de sa constitution sont : Il est interdit aux formations politiques de s’identifier à une race, une ethnie, une tribu, un clan, une région, un sexe, une religion ou à tout autre élément pouvant servir de base de discrimination. Elle encourage les femmes et les minorités à faire de la politique en instaurant un système de quotas qui réserve 24 sièges aux femmes et 3 aux jeunes et aux handicapés au Parlement. Le pays détient le record de la classe politique la plus féminisée du monde. Aux élections législatives de 2008, 56 % des députés étaient des femmes. Sur le plan électoral, par contre, les manœuvres du président Kagame pour se maintenir au pouvoir ressemblent fort à une dérive autocratique. Il est parvenu, lors d'un référendum en décembre 2015, à faire valider sa prochaine candidature aux élections présidentielles, ce qui lui permettrait d'accomplir un troisième mandat et d'exercer le pouvoir jusqu'en 2024. Il avait été réélu avec 98,79 % des suffrages ! Le Parti démocratique vert du Rwanda a remporté 0,48 % des voix, et le candidat indépendant 0,73 %. Amnesty international a relevé de graves entraves à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Voilà, succinctement, pour les comparaisons sur le plan politique. Sur l’aspect économique, le Botswana est largement nourri par ses diamants, qui en fait un des pays les plus riches du continent et pourtant avec un taux de chômage de 18 %. En 1966, lors de son indépendance, il était l’un des 25 pays les plus pauvres du monde. Cette richesse provenant du secteur minier est cependant menacée par une surdépendance de l'économie vis-à-vis de ce secteur. Même si le fléau du sida qui sévit à travers toutes les couches de la population (près d'un adulte sur trois serait infecté) et que seules 5 % des terres conviennent à l’agriculture, son pari de bâtir son avenir sur une administration démocratique stable compétente et peu corrompue avec une gestion prudente restera pour quelques temps encore dans une situation enviable pour nombre de ses voisins, s’il parvient à résorber l’important chômage des jeunes qui crée des inégalités parmi la population qui ne bénéficie pas ou peu des retombées de la manne minière. Reste le tourisme, en pleine expansion, dont pourrait profiter cette frange de la population ?


Le pays des mille collines. Photo © Jean-Frédéric Hanssens
L’image que renvoie le Rwanda aujourd’hui est aussi celle d’une Afrique qui gagne. Inaugurations successives d’écoles à la pointe du numérique avec le lancement du premier smartphone complètement « made in Africa », usine d'assemblage de Volkswagen à Kigali, si bien que les indicateurs économiques font pâlir d’envie ses voisins africains. Le pays comble ses bailleurs de fonds, qui financent 40 % du budget du pays et qui n’hésitent pas à évoquer le « miracle africain ». La Banque mondiale affiche une augmentation moyenne du PIB annuel du Rwanda de 7,5 % et le FMI prévoit une croissance de 7,8 % en 2019. Pour les investisseurs étrangers, le pays compte plusieurs atouts : une stabilité politique liée aux réélections de Paul Kagamé (à quel prix!), un indice de corruption relativement bas, étant le 4e pays du continent dans le classement de Transparency International et un taux de scolarisation de 98 %, selon l’Unicef. Cet avenir économique repose aussi sur une population jeune, trois habitants sur cinq ont moins de 25 ans. Mais, parce qu’il y a un « mais », le fossé socioéconomique se creuse entre les travailleurs de la terre et ceux des start-up de la "Kigali Innovation City". Comme le souligne An Ansoms, spécialiste de l’économie rwandaise à l’université catholique de Louvain, « Les jeunes qui viennent du secteur agraire et qui n’ont pas les qualifications pour travailler dans un milieu urbain informatisé sont majoritaires. Le plus grand défi sera de leur trouver une place dans le monde du travail. Le Rwanda devra « incuber » son développement rural au même titre que ses start-up ». Depuis une dizaine d’années, le Rwanda s’est lancé dans la « révolution verte » initiée à marche forcée par Paul Kagame et soutenue par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Cet objectif vise à maximiser la production agraire à travers des cultures de rente (maïs, café), de commercialiser et de moderniser l’agriculture. Ce programme a pour conséquence que les petits producteurs qui avaient l’habitude de planter en moyenne huit variétés différentes, afin de minimiser les risques de perte en cas de sécheresse et assurer leur sécurité alimentaire, se retrouvent aujourd’hui paradoxalement, à gagner plus, mais ne parviennent plus à se nourrir comme avant. Si bien que 37 % des enfants rwandais de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique, d’après les chiffres officiels. Les paysans sont donc confrontés à une forte inflation sur les produits qui ne sont plus cultivés localement, ce qui affecte négativement la sécurité alimentaire, surtout pour les fermiers opérant à petite échelle. An Ansoms relève également que ce sont plutôt les commerçants intermédiaires qui profitent le plus de ces chaînes de commercialisation. Mais elle précise cet aspect encourageant, à savoir que les autorités sont de plus en plus ouvertes à des discussions au sujet des failles du système. On peut remettre en cause la légitimité d’une décision provenant d’une autorité décentralisée, même si le modèle en tant que tel reste indiscutable. Autant le Botswana que le Rwanda nous ont laissé ce sentiment de pays aux modèles démocratiques différents, mais dont le désir profond est de satisfaire les besoins fondamentaux de la population et plus particulièrement des femmes, sur le plan politique au Rwanda. Un trait commun les réunit également, la beauté, souvent à couper le souffle, de leurs paysages et le respect de leur environnement.


En savoir plus sur le modèle rwandais :https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/10/31/le-modele-rwandais-remet-en-lumiere-les-questions-sur-le-developpement-en-afrique_6017632_3212.html

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