Myanmar, les minorités ethniques dans le Triangle d’or (5)

Question d'optique

Par | Journaliste |
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Dans un village de l'ethnie Palaung Photos © Jean-Frédéric Hanssens

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Lecture 6 min.

Nous atterrissons à Kyaing Tong, « Chen Tung », située en plein centre du Triangle d’or. Cette région très montagneuse proche des frontières chinoise, laotienne et thaïlandaise est très surveillée. Des autorisations sont exigées pour y circuler. Le trafic d’opium, mais également celui des méthamphétamines y est toujours très actif. Pas plus tard que ce samedi 7 mars l'armée birmane a effectué une saisie record de drogues, pour une somme évaluée à 100 millions de dollars de 43 millions de comprimés et plusieurs sacs d'héroïne dans cette même région.
L’accès à cette capitale qui borde l’État Shan n’est autorisé qu’en avion pour les étrangers, on devine pourquoi. Ce massif montagneux abrite un grand nombre d’ethnies, sur les 135 que compte le pays, dont les Palaungs, les Akhas et les Anns, que nous rencontrerons. L’ensemble des minorités ethniques, les Shan, Karen, Karenni, Mon, Kachin, Chin et Rakhine, les plus importantes en nombre, avec les Chinois, les Indiens d’immigration plus récente et les Rohingyas, le long de la frontière avec le Bangladesh, représente un tiers de la population birmane qui compte 55 millions d’habitants. Les Bamars, l’ethnie majoritaire et bouddhiste est concentrée dans la plaine centrale où coule le fleuve Irrawaddy. Sur le plan des religions et croyances, un nombre important de minorités ethniques est bouddhiste, d’autres, comme les Karens se sont converties au christianisme durant la colonisation britannique. D’autres encore sont passées aux mains des évangélistes, certaines sont animistes, d’autres musulmanes, comme les Rohingyas, victimes d’un génocide orchestré par les militaires et une minorité de l’élite bouddhiste fanatique. La disparité de cette population et les clivages religieux, sont à l’origine des problèmes intercommunautaires qu’a connu, et que connait encore le pays. Mais aussi, par exemple, les Arakanais qui se battent dans le Nord-Ouest à coups de fusils et de mortiers, au moment où j’écris ces lignes, contre les militaires birmans pour obtenir leur autonomie refusée par le pouvoir en place. D’autres ethnies, comme les Kayaw, habitant dans la région de Loikaw, ont signé un cessez- le feu avec les militaires en 2016, ce qui nous a permis de les rencontrer dans l’un de leurs villages perchés dans la montagne. Dans ce cadre et en résumé, il est toujours utile de rappeler que la signature des accords de Panglong le 12 février 1947 entre le général Aung San « héros de l’indépendance » et les représentants des minorités ethniques, qui n’a pas pu avoir lieu suite à l’assassinat du général Aung San, aurait pu modifier les rapports entre communautés dans le pays. En effet, cet accord garantissait aux minorités une pleine autonomie administrative dans un cadre fédéral, allant même jusqu’à accorder la possibilité à deux groupes (les Shans et les Karens) de se retirer de l’Union au bout de dix ans. Le coup d’état des militaires en 1962 et une modification de la constitution en 1974, ne reconnaissant aucun droit, ou presque, aux minorités, précipitent la création du parti du Front National Démocratique où se reconnaissent les minirités ethniques. Ensuite, la révolte de 1988 menée par Aung San Su Kyi (futur Prix Nobel de la Paix en 1991) a été écrasée par la Junte militaire alimentée en armes et en munitions par la Chine et la Russie. Cette Junte a décimé la guérilla, dont les Karens en 1995. Certains groupes ethniques ont été contraints de signer des accords de cessez-le feu qui permettaient aux groupes signataires, en échange de leur soumission, de commercer librement, notamment l’opium, mais sans disposition politique. Cette guerre menée par le pouvoir militaire a provoqué une catastrophe humanitaire, les minorités ethniques fuyant vers les pays limotrophes, la Thaïlande et le Laos. Aujourd’hui, encore avec le régime actuel qui se définit comme une “Démocratie disciplinée”, certaines ethnies, ayant refusé de signer le cessez-le feu, soit sont toujours en guerre, soit vivent dans des conditions humanitaires déplorables.

A la rencontre de l’ethnie Palaung
Nous marchons dans le village situé dans les faubourgs de Kyaing Tong (Etat Shan) notre guide-interprète connaît manifestement beaucoup de villageois, ce qui nous semble normal. Au détour d’une ruelle, je lui montre une femme âgée occupée à tisser sur le balcon de sa maison. J’avais dit à John que j’étais photographe professionnel. Très vite la dame nous invite à la rejoindre au premier étage. Elle nous pose des questions sur notre famille, notre pays, nos vies. Nous faisons de même. Elle est volubile et curieuse. Cette ethnie aussi appelée De’ang ou Benglong est bouddhiste avec de forts accents animistes. Le tissage, la culture du thé, sont leurs principales activités. Leurs maisons sont en bambou avec une armature en bois, le plus souvent à deux niveaux. Le rez-de-chaussée pour les bêtes et le premier pour la famille. Les portes sont toujours tournées vers l'est. Les femmes portent une ceinture d’anneaux argentés. La rencontre durera plus d’une demi-heure. Elle nous remerciera de venir de si loin. Nous la quittons sans plus par un échange de sourires. Nous nous arrêtons chez d’autres villageois, John étant particulièrment bavard, ce qui me permet de faire des prises de vues plus naturelles. Sur le chemin de retour pour récupérer notre voiture, nous croisons cette dame qui ramène ses oies à la maison. Demain nous partons dans la montagne à la rencontre de villages de l’ethnie Akha.


Le grand marché de Kyaing Tong est le rendez-vous de nombreuses ethnies qui descendent des montagnes pour y vendre leurs produits. Reportage photo © Jean-Frédéric Hanssens


Préparation de nouilles sautées pour mon lunch.


Quand je serai grand...

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Rencontre sur le chemin qui mène au village de l'ethnie Palaung.

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