Parvati, peindre ses rêves ?

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Récemment, Parvati « a fait le Mur » Oberkampf et son œuvre a rencontré un franc succès auprès des amateurs de street art. Il est vrai que l’œuvre est singulière ; un homme à tête d’oiseau représenté de ¾ arrière tient dans son dos une minuscule cage dorée de laquelle d’échappe une myriade de papillons. Le personnage principal peint dans une harmonie de bleus et noirs regarde l’envol des papillons blancs et bleus qui envahissent les 2/3 de la surface peinte. Sa posture interroge car son bras droit qui tient la cage est plié derrière son dos. Dos duquel poussent des branches. Si le sujet est singulier, la composition obéit aux règles classiques. L’ensemble sujet principal/ papillons est un collage. Le fond et les branches ont été peints in situ par l’artiste. De gauche à droite, les couleurs délavées du décor passent insensiblement avec beaucoup d’élégance du noir profond au bleu, du bleu à l’ocre clair presque rose. Au noir de gauche s’oppose le blanc de droite. Une œuvre savamment réfléchie, préalablement préparée à l’atelier, exécutée avec grand soin.

Ce qui m’a intéressé dans cette œuvre est le rapport entre le discours de l’artiste sur son travail et l’œuvre peinte. Dans une interview récente, Parvati évoque son univers : « Mon univers est très onirique et mes tout premiers projets artistiques étaient vraiment orientés autour du rêve et de comment l’inconscient pouvait être une source d’inspiration. J’ai expérimenté la peinture sous hypnose et je reproduisais en dessin certain de mes rêves. Je le fais toujours aujourd’hui. Mon premier personnage à tête d’oiseau est un souvenir de rêve. »

Convenons que la récurrence de son personnage à tête d’oiseau dans son œuvre est en-soi un mystère. Parvati, dans ce premier extrait nous en donne l’origine, c’est un souvenir de rêve. Dans un second extrait, l’artiste donne à son personnage principal, l’homme-oiseau une signification : « Les têtes d’oiseaux viennent répondre à mon bouleversement face au problème des migrants. À cause de mon histoire familiale géographiquement étendue, je me suis très vite identifiée à ces personnes que l’on refuse d’accueillir. Je milite aujourd’hui au sein de plusieurs associations pour défendre leur cause. Et dans mon art j’ai souhaité établir un parallèle entre les migrants et les oiseaux migrateurs. Je n’avais pas envie d’aborder la migration humaine sous un aspect triste ou moralisateur, nous vivons dans une société déjà bien assez anxiogène. J’ai voulu plutôt imaginer une utopie où ils pourraient être parfaitement intégrés dans nos sociétés et où ils pourraient être passants parmi les passants. C’est cette idée que j’essaie de reproduire en les dessinant à échelle humaine en train de marcher dans les rues avant de les coller sur les murs. »

Il est possible voire certain puisque Parvati le dit que son homme-oiseau si présent dans son travail soit un souvenir de rêve. Je penche plutôt pour une reconstruction à partir d’un rêve d’un récit mettant en scène des hommes à tête d’oiseau. Au rêve se sont sans doute mêlées des images issues de la culture de l’artiste. Car la figure de l’homme-oiseau traverse les cultures et les temps. D’Horus, le dieu faucon des Egyptiens de l’antiquité, en passant par les animaux anthropomorphes des traditions indiennes et bouddhistes. Les animaux fantastiques de notre moyen-âge hantent encore nos mémoires. Nous sommes là au cœur du processus de création des chimères : composer un être à partir de plusieurs.

« Souvenir de rêve », l’expression est belle mais je ne suis pas sûr qu’elle soit exacte. Rien ne permet de trancher la question fameuse de la nature du rêve. Le récit des rêves est bien davantage un récit dont la grammaire est celle de tous les récits (suite chronologique des événements, établissement de liens logiques entre les images « échappées » du rêve, adaptation du récit en fonction du destinataire etc.) Le récit du rêve n’est pas le rêve et le matériau des images du rêve sont les images de notre culture.

Revenons à notre homme-oiseau après cette parenthèse.

Il est possible que l’artiste ait « récupéré » son homme-oiseau d’un récit dont elle est l’auteur. Pourtant en examinant dans la durée sa production on constate qu’elle a commencé par peindre des oiseaux à tête d’homme et que son personnage s’est formé progressivement, mêlant des éléments appartenant au monde végétal. Les « branches » qui poussent dans le dos des hommes-oiseaux sont soit un artifice destiné à ajouter à l’étrangeté du personnage en composant un être à la fois humain, animal et végétal soit une figuration de racines symboliques d’un personnage « déraciné ».

Est-ce la combinaison entre l’oiseau qui ignore nos frontières et le « déracinement » qui a créé l’image du migrant ? Je confesse mon manque d’imagination mais le lien entre le personnage de l’homme-oiseau et la figure m’avait échappé. Echappé à un point tel que j’en viens à développer l’hypothèse iconoclaste qu’après avoir créé son personnage de l’homme-oiseau, le personnage a acquis une relative liberté. Une distance en quelque sorte par rapport à son origine. La symbolique du migrant s’est progressivement effacée, jusqu’à perdre sa dimension référentielle. Le symbole de l’homme-oiseau, comme le ressac d’une vague, a laissé un homme-oiseau.

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Ainsi, une œuvre politique est-elle devenue une œuvre onirique, comme un retour à l’origine.

Quant à l’œuvre du Mur Oberkampf, j’y vois une scène fantastique évoquant la liberté. Liberté des papillons libérés de leur cage. Sentiment de la liberté consubstantielle de nos rêves. Liberté pour le regardeur d’y voir ce qu’il projette de lui-même. Somme toute, un tremplin pour fabriquer des significations.

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