Rencontres avec les ethnies Kayaw et Padaung au Myanmar (10)

Question d'optique

Par | Journaliste |
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Femmes de l'ethnie Kayaw Photos © Jean-Frédéric Hanssens

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Lecture 8 min.

7h30, il fait frais ce matin. Un peu plus de 10 degrés. Une longue route nous attend dans la montagne pour rejoindre un village de l’ethnie Kayaw, aussi appelée Bwe. Cette région, fief de groupes rebelles contre la junte militaire, n’est accessible que depuis deux ans aux étrangers. Un petit détour au grand marché de Loikaw s’impose pour y faire quelques provisions. Il nous faudra au moins 3 heures d’une route sinueuse en montagne pour nous rendre dans cette communauté. Des paysages à couper le souffle défilent sous nos yeux. Notre chauffeur, très habile, se faufile, avec grande souplesse, sur les petites routes qui serpentent de ravins en sommets. Nous ne croisons que quelques motos lourdement chargées. Il est un peu plus de 11h quand nous arrivons au village de Hte Kho, un peu courbaturés, je vous l’avoue. Beaucoup de Kayaw ou Bwe ont fui en Thaïlande, toute proche, pour échapper à la guerre civile. D’autres, plus riches, ont immigré au début des années 2000 aux États-Unis, en Finlande, en Australie et au Canada. Ils sont actuellement un peu plus de 25.000 répartis dans cet État, mais également dans l’état Shan et le nord de l’état Karen. Ils parlent plusieurs langues dont le birman et le karenni. Très vite nous apercevons des croix catholiques dans les maisons ainsi que portées en pendentifs. La guide du village nous précise qu’ils sont en majorité chrétiens et baptistes. Les maisons du village sont nichées à flanc de coteau. Nous croisons une femme âgée de 89 ans avec ses anneaux de laiton sous les genoux et qui porte encore un bidon chargé d'au moins 15l d’eau dans son panier. Surprenant à son âge ! Le tour du village et les arrêts successifs dans des familles où nous nous soumettons bien volontiers au rituel des questions-réponses, que nous maîtrisons parfaitement à présent, dureront plus de deux heures. Nous redescendrons, à pied, par la route principale pour rejoindre la petite école, un peu à l’écart et en contre-bas du village. Nous constatons, avec satisfaction, qu’aucun signe religieux n’est affiché sur les murs de la classe. Les Kayaw ont leur propre langue écrite inventée par un missionnaire qui a romanisé leur langue basée sur le birman. Le développement de la langue écrite, contrairement à d’autres ethnies, leur donne plus d’informations historiques sur leur tribu. Avant de les quitter, je souligne à notre guide que nous n’avons pas vu de voiture, seul un camion de chantier enveloppé d’une épaisse fumée noire d’échappement. Elle nous précise que pour un jeune qui veut se rendre à Loikaw, la capitale de l’état Kayah, pour y vendre sa production au marché, il lui faut compter une journée en deux roues, souvent chargé à la limite du raisonnable. Sans compter les risques dû à l’entretien sommaire de ces motos chinoises qui n’ont de freins que le nom. Enfin, il vaut mieux être en bonne santé dans ces montagnes quand on sait qu’une ambulance, ou un véhicule faisant fonction, mettra un peu plus de trois heures pour arriver à Hte Kho.

L’ethnie Padaung ou Kayan

Nous prenons, à présent, la direction du village de Hta Nee Leh où vit aussi un peuple de montagnards : les Padaung ou Kayan, appelés aussi long neck ou femmes girafes, également d’origine tibeto-birmane. A l’exception de certaines femmes de la tribu des Ndébélés en Afrique du Sud, cette pratique n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Ils produisent des céréales et des légumes et pratiquent l’élevage de vaches principalment. Dès 1990, beaucoup de familles se sont également retrouvées en Thaïlande pour fuir la guerre qui, pour rappel, a été financée aussi par la compagnie Total, soutenue par la France. Les Padaung sont venus engorger les camps de réfugiés et bien vite se sont vu utiliser comme attractions touristiques par des entrepreneurs thaïlandais, sans scrupules. A l’âge de cinq ans les jeunes filles reçoivent leur collier à spirale. Celui-ci est changé au fur et à mesure de leur croissance quand l'espace entre le collier et le haut du cou est devenu important. Il s’agit donc bien d’une spirale et non d’anneaux ! On pense, habituellement, que si la femme retire son collier à spirale, elle meurt. Et bien non ! Les spirales n’affectent pas les vertèbres du cou mais elles pèsent sur la clavicule, le cou n'est pas étiré comme beaucoup le pense, mais c'est la cage thoracique (os des épaules et des côtes) qui s'affaisse et plus elle s'affaisse plus le collier à spirale tombe sur les épaules. Les femmes peuvent donc l’enlever à tout moment, voir même l’abandonner définitivement, ce qui est le cas de celle que nous avons rencontrée qui devait se faire soigner la peau du cou, souvent rendue fragile et décolorée parce que peu exposée à la lumière. De nombreuses hypothèses ont été proposées par les anthropologues pour expliquer le port de ces colliers à spirales. Se protéger contre les morsures de tigres, rendre les femmes étranges et moins attrayantes aux yeux d’autres ethnies, leur donner l’apparence d’un dragon, figure dominante du folklore, mais en fait la véritable origine reste encore inexpliquée. Le mariage dans cette ethnie règle la structure de l’organisation sociale. La femme, même mariée reste chez ses parents, son mari rejoint donc la famille de son épouse. Pour l’héritage, la ou les maisons et le ou les champs sont transmis aux femmes, tandis que les biens : meubles, mobiliers et animaux, reviennent aux hommes. Dans la dernière maison du village où vit cette femme au long cou ayant abandonné sa spirale, nous voyons deux béquilles et une prothèse de jambe appartenant à son mari, traces d’une blessure de guerre qui n’a pris fin dans la région qu’en 2012, mais qui fait encore rage aujourd’hui dans les états Rakhine et Chin dans le nord ouest du pays. Je montre à la dame la catapulte accrochée à un poteau de sa maison. Elle la saisit, met une grosse graine dans le cuir du lanceur, tire et rate l’oiseau qui aurait dû, sans doute, agrémenter son souper ? Durant ce long trajet en voiture vers Loikaw, nous ne pouvons nous empêcher de penser à cette éternelle question, qui se pose pour toutes les autres ethnies au Myanmar et qui est de savoir pour combien de temps encore ces habitants conserveront leurs traditions propres avant de basculer dans des rôles rémunérés de figuration pour les agences touristiques. Dans ce domaine, un des aspects positifs, que nous retenons, aujourd’hui est, sans aucun doute, que la gestion de l’organisation de certains villages qui proposent d’être visités est gérée par des ONG étrangères et responsables. Demain matin, nous prenons l’avion pour Yangon où nous serons testés négatifs à la température corporelle, Covid-19 oblige en ce 30 janvier 2020. Cette fois, c'est malheureusement bien fini. Destination finale, Bruxelles, avec un transfert par Bangkok.


Femme Kayaw Photos © Jean-Fédéric Hanssens


Cette villageoise donne du travail à cette femme âgée devenue aveugle pour qu’elle puisse continuer à manger.


Cette femme à 89 ans !


Le Christ est bien présent !


Après avoir déposé son bidon d'eau en bas du village, cette femme de 89 ans remonte à sa maison qui se situe en haut de la colline.


Quelque part entre deux villages dans l’état Kayah.


Femme de l'ethnie
Padaung ou Kayan


Cette femme 
Padaung a retiré définitivement son collier à spirale pour se faire soigner la peau de son cou.

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Son mari a été blessé durant la guerre.


Elle a raté l’oiseau
qui aurait dû, sans doute, agrémenter son souper ?

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