Ric est-il mon ami ou mon ennemi?

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Capture d'écran du site twitter, où le mot-dièse #RIC fait fureur.

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Le mot de l'année 2018 est probablement gilet jaune mais voilà que l'on voit fleurir dans son ombre un acronyme qui vaut la peine d'être examiné, Ric, pour Référendum d'initiative citoyenne. À première vue, rien de plus démocratique. Mais...

Mais tout dépend de son champ d'application et de ses conditions d'accès.

Le Ric dont on discute en France depuis quinze jours et qui s'impose comme une revendication majeure des gilets jaunes a déjà montré ses limites dans l'affaire de Notre-Dame-des-Landes. Un référendum, certes non d'initiative citoyenne mais organisé par les pouvoirs publics, qui devait déterminer si oui ou non, on devait construire ce nouvel aéroport nantais. Qui fallait-il consulter? Les zadistes? Les habitants du canton? Du département? Et puis finalement tout cela n'a servi à rien du tout puisque c'est d'autorité et d'en haut qu'est tombée la décision de renoncer au projet. Mais bon, oublions cet exemple récent. Le Ric tel qu'il est présenté est autrement ambitieux: il aurait valeur de loi et pourrait aboutir à la révocation d'un élu. Et de mettre en avant les votations suisses, supposé paradis démocratique. Cependant la France n'est pas la Suisse et fait partie de l'Union européenne. Impossible, par exemple, de poser la question suivante: voulez-vous que la Hongrie soit exclue de l'Union européenne? Les tenants du Ric, à propos d'Europe, devraient également réfléchir aux conséquences d'un référendum comme celui ayant abouti au Brexit. Plus largement encore, il y a des questions éthiques qui risquent de déchirer un pays et il y a des questions politiques auxquelles l'intérêt particulier contredit évidemment l'intérêt général. Voulez-vous qu'on supprime l'impôt sur les revenus du travail? Qui n'aurait pas envie de ne plus payer d'impôts et cependant, de bénéficier de ce à quoi ils servent? On dira que les contribuables richissimes et les grosses sociétés font justement tout pour y arriver. Certes, c'est injuste. Mais on voit bien que c'est un problème politique général et qu'aucune question simple ne peut résoudre l’assiette de l'impôt!

Même en plaçant des garde-fous comme une exigence de constitutionnalité, un minimum raisonnable de citoyens soutenant la demande d'un Ric sur telle ou telle question, un quorum de votants, etc., on voit d'emblée les difficultés s'accumuler. Mais passons, une fois encore. Il est déjà compliqué de faire voter les citoyens pour les élections locales, nationales ou européennes, quelle garantie aura-t-on de la légitimité de la loi ainsi votée? On dira que ce sont celles et ceux qui se déplacent qui ont raison, mais justement, on entend déjà cet argument très contesté à l'encontre des députés et même du président de la République! Emmanuel Macron a recueilli 8.656.346 voix au premier tour et 20.743.128 au second, ce qui en effet ne fait pas la majorité des Français, mais à ce rythme, même le général de Gaulle n'aurait jamais été élu! Continuons. Combien de temps faudra-t-il pour rédiger la demande de Ric, obtenir le nombre de signatures requis, obtenir la validation du conseil constitutionnel, organiser une campagne électorale et enfin voter, sans compter les recours? Plusieurs mois, voire plus d'un an, en étant optimiste.

Le Ric au niveau national est donc une grosse machine très difficile à faire fonctionner. Mais soit, des élections aussi. Ne voit-on pas, enfin, que toujours la somme des mécontents sera supérieure à celle des heureux? Le Ric risque surtout d'être un instrument négatif et déstabilisateur. Il arrive que les législateurs soient un peu en avance sur l'opinion publique: la loi n'est pas toujours rétrograde.

À terme, le Ric pourrait déboucher sur un régime napoléonien, dont on ne dira jamais assez qu'il a donné l'exemple d'un pouvoir révolutionnaire au départ éminemment sympathique ayant engendré un pouvoir totalitaire. Car les désordres et les contradictions aboutissent généralement à un pouvoir fort dérivant sans cesse vers le totalitarisme où là, l'opinion du peuple n'est plus demandée qu'à coup sûr, le chef de l'état renforçant sans cesse sa légitimité proclamée par ce qui sera devenu des simulacres démocratiques.

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Ce n'est pas nier l'aspiration bien légitime des citoyen.ne.s à plus de démocratie directe que souligner tout cela. Le Ric a certainement un très bel avenir si on le concentre sur des problèmes locaux... à condition que les perdants jouent le jeu, ce qui n'est pas acquis, Notre-Dame-des-Landes oblige. Et si on ne considère pas, comme avec la consultation européenne sur le maintien ou non de l'heure d'été, qu'on ne questionne jamais que sur ce qui n'a pas d'importance profonde.

Une société ne peut se construire sur quelques phrases et les réponses aux questions qui se posent, multiples et contradictoires, sont rarement aussi simples que oui ou non.

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