Trente ans d'internet

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Il n'a pas fallu attendre l'internet pour réduire à rien la vie privée. Que ne sait-on de Victor Hugo? La photo, de l'atelier Nadar, est libre de droits.

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L'internet est né de la conjonction de deux volontés: celles du Cern et de l'armée américaine. Comme toutes les inventions, cette naissance est à la fois le fruit du hasard et de l'époque. Elle correspond aussi à une volonté récurrente de l'humanité, l'accès au savoir universel, le vieux rêve de la bibliothèque d'Alexandrie et de Pic de la Mirandole... Le Cern compte fêter cet anniversaire. Petit bilan de trois décennies d'une invention qui a bouleversé le monde d'une manière très différente de celle qui était espérée.

À bien y regarder, l'internet a tenu ses promesses. Le monde est en effet devenu un village globalisé, à la fois cause et conséquence d'une évolution qui comme les autres a pris du temps. L'universalité de l'homme est aussi vieille que l'univers et que l'homme. Mais le désir ne suffit pas à créer l'histoire. La chaussée romaine n'a pas créé la bicyclette alors que les ingénieurs d'alors, dont personne ne discute de la compétence, disposaient de tous les éléments nécessaires à se création, à l'exception du pneu, mais c'est très secondaire, les diligences et les chars avaient des roues cerclées et circulaient.

En envoyant dans le domaine public les clefs de l'internet, ses primo-acteurs voulaient une société loyale, solidaire et accessible à tous. Mais de la même façon que cette merveilleuse invention que fut l'automobile a détruit les villes, dévié l'économie et pollué la planète, l'internet a échappé à ses créateurs. Où est la netiquette des débuts? Où est l'esprit de partage? L'utopie a dérapé dans l'ultralibéralisme.

Et là aussi, ce n'est pas que la faute du média. Il y a bien longtemps que les commerciaux, même les bistrotiers ou les vendeurs des quatre saisons sur les marchés villageois, veulent connaître les goûts de leurs clients. L'adéquation entre l'offre et la demande en dépend. Cependant tout est question d'échelle. Aujourd'hui, n'importe quel citoyen lambda est guetté. L'espionnage systématique est devenu la règle. L'internet n'en est pas le seul coupable (encore que le téléphone portable s'y soit intégré) mais aujourd'hui, il est facile de savoir plein de choses sur à peu près tout le monde. La seule garantie du quidam, c'est qu'il n'intéresse – pour l'instant – que le vendeur. Il n'empêche: c'est la Stasi en même temps que le sourire d'accueil du patron: «Alors, M. L'Habitué, je vous sers la même chose?». Et en prime c'est aussi le café des Sports. La parole se libère, nous sommes entre nous, sommaires comme les exécutions du même nom, on aime ou pas, clic. Les règles du savoir-vivre s'arrêtent où les rapports se désincarnent. Le demandeur d'asile du village, non, il est connu, il ne faut pas le renvoyer, mais les autres!... C'est ainsi qu'arrivent les génocides: l'ennemi est déshumanisé.

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La prise de conscience du jeune trentenaire est cependant porteuse d'espoir. Il y a une arrogance inhérente au savoir et au pouvoir. L'autocritique est sans cesse indispensable. Comment expliquer autrement le dernier scandale qui secoue les rédactions parisiennes avec la Ligue du Lol? Sans le respect de l'autre, dans la tolérance qui n'est jamais que la sublimation de la courtoisie et dans l'oubli de la condescendance, il y a plus grave que la publicité qui vous cible, il y a le propos qui vous dénigre.

Il est temps d'apprendre au citoyen, généralement bienveillant face à son semblable, que l'e-politesse fait partie des bonnes manières et du savoir-vivre. L'outil, quel qu'il soit, n'est pas coupable de l'usage qui en est fait. Et penser qu'on résoudra tout en empêchant par la loi d'être anonyme ou pseudonyme sur la toile, c'est ignorer jusqu'à quel point tout y est su et traçable. Il faut renoncer à l'idée de vivre caché pour vivre heureux, sauf à renoncer aussi à tous les aspects positifs de la chose. Après tout aujourd’hui nous ignorons très peu de la vie de Victor Hugo. Cela ne l'a pas empêché de fuir en Belgique avec un faux passeport...

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