« L’arbre foudroyé ne craint plus la tornade… »

Confidences du chauffeur du Ministre

Par | Penseur libre |
le
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Atmosphère lourde dans la résidence ministérielle, sous la paillotte, en cette matinée fraîche de la saison sèche. Atmosphère fraîche et sèche à l’image du climat morose ambiant, secoué par la guerre de l’Est. Comme à l’accoutumée, chaque matin, notre patron le Ministre d’Etat des Questions Statistiques et Tactiques consulte la « base » de sa « base » du cabinet pour s’enquérir des nouvelles les plus chaudes, et brutes. Il y a là sous la paillotte aujourd’hui: le garde du corps, le jardinier, la dame-domestique, et le chauffeur du Ministre. Ainsi que l’exprime souvent notre Ministre (en guise de compliment à notre égard) : « La vérité sort des bouches innocentes, celles des ‘’quados’’ d’en-bas » ; et le Ministre de nous révéler les derniers développements de la situation à l’Est du pays : les exterminations et les massacres des barbares, les chantages et les alibis grossiers, les silences et les compromissions, les réserves de nombreux Ponce-Pilate à travers le monde, presque tous drogués par la guerre de l’Ukraine.

Jamais auparavant, d’après les collègues présents à la résidence ministérielle, les échos de la guerre de l’Est en RDC n’ont été aussi proches de l’Ouest. Habituellement, les répercussions et les bruits de bottes sont loin d’ici, la capitale, surtout loin de notre nganda-bar. Goma, si loin. Rutshuru, si loin. Bunagana (ô Bunagana !), si loin. Et le Ministre de renchérir : « Hé oui, loin des fausses dévotions, loin des ‘agendas cachés’, loin des positionnements ‘profito-situationnistes’. Loin des mercenaires, des commissionnaires et des bongolateurs    de la mort… ». Autant de vocables ministériels qui sont mélange d’exaspération et de révolte. « Ah ! me dis-je en moi-même, la vérité sort quelquefois des Mvuandu d’en-haut, en détresse. Et avec des accents que la colère innove et enflamme » …

… C’est alors que le Ministre nous consulte tour à tour. D’abord le garde du corps : sans doute par réflexe de militaire du rang, il est réservé et muet. Le jardinier lui, au contraire, a voulu prouver sa verve fleurie ; il a dit : « Yélélé ! Tozali Nzete ebeta kake ; ebangaka likolo eyinda te. Yélélé » (Yélélé ! nous sommes l’Arbre frappé par la foudre ; il ne craint plus les intimidations de la tornade. Yélélé ! »). Au tour de la dame-domestique ; elle sanglote : « Yélélé ! Nayoki mateya ya Monganga MUKWEGE ; alobi ‘te nzoto ya mwasi eza tempelo Yélélé ! Obebisi tempelo, oluki botutu » (Yélélé ! Il me revient les paroles du Docteur MUKWEGE, qui comparent le corps de la femme au tabernacle. Profaner le tabernacle, c’est commander le suicide et la malédiction sur soi, à petit feu »). Enfin, la parole au chauffeur du Ministre ; il dit : « ata moto ya liboma makasi, abangaka elombe apapolaki ye mbata » (« Le fou le plus dangereux se rappelle et redoute toujours le gaillard qui naguère l’a corrigé et chicoté »).

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Pause. Le Ministre a suspendu les débats. Il semble nous avoir compris. Il se met à marmonner comme s’il parlait à lui-même, comme s’il méditait tout haut ; il dit et au fur et à mesure sa voix éclate : « Chaque minute, ayons une pensée forte pour nos sœurs et nos frères martyrs et héros de l’Est. Soyons des vengeurs à la puissance de feu impitoyable. Dieux de nos ancêtres, montrez-vous donc entre deux nuages ; manifestez-vous donc entre deux tourbillons afin de rassurer, afin d’éloigner les épouvantails des massacres ! Il nous faut à la fois 100 millions de MUKWEGE réparateurs de l’immonde, et 100 millions de nouveaux combattants KUNYUKU résistants comme lors des grandes guerres ! Il nous faut 100 millions de LUMUMBA exorciseurs des paniques. Il nous faut 100 millions de mamas-bipupula, amulettes et nourricières. Il nous faut, comme service patriotique, l’enrôlement obligatoire de 100 millions de jeunes conscrits, et de toutes origines, et vraiment motivés! Il nous faut, il nous faut … au présent. Pas au futur… »

 

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