De Paris à Téhéran, de la Belle époque à maintenant, la littérature au service de la liberté

Livre examen

Par | Penseur libre |
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"J’ai péché, péché dans le plaisir", le dernier roman d'Abnousse Shalmani.

Il était une fois, à Paris, un parc public où pousse un arbre dont une branche est devenue plus grosse que le tronc qui la porte. Aujourd’hui, cette branche a reçu un tuteur. Il était une fois à Téhéran, un jardin privé où pousse un arbre dont une branche est devenue plus grosse que le tronc qui la porte. Aujourd’hui, la branche a été coupée. En France, la branche est soutenue. En Iran, elle meurt.

L’arbre de Paris représente Marie, l’arbre de Téhéran est la métaphore de la très courte vie de Forough Farrokhzad, poète Iranienne « qui était trop libre pour tous les temps de l’Iran. » Son père n’a jamais accepté que cette branche de la famille devienne plus visible que lui, le patriarche. Elle mourra accidentellement mais meurtrie de n’avoir jamais été reconnue par son père alors que toutes les femmes iraniennes qui manifestent leur soif de liberté aujourd’hui, en sont les héritières. Elles sont « les filles de papier de Forough qui viennent de se réveiller d’un long sommeil. » C’est le cœur de ce livre et le cri de l’auteure.

À Paris, à la belle époque, Marie de Régnier, la fille du poète et joueur José-Maria de Heredia, femme de lettres est une femme de caractère que l’époque qualifiera de fatale et sulfureuse. Elle épouse le poète Henri de Regnier et fait de Pierre Louÿis, poète et auteur des Chansons de Bilitis, son amant. Il écrira pour elle, ses plus beaux poèmes. Elle lui donnera ce que l’autre n’aura pas : un fils, Tigre qui pour l’état civil et rien que là, s’appellera Pierre de Régnier. Elle mène une vie de femme libre et déterminée à garder le contrôle de son corps tout en gardant pour son mari, une amitié plus que fidèle et une grande complicité intellectuelle. Autour d’eux, nous croiserons Colette, Mallarmé, Proust, Debussy, Ravel, Fauré,...

À Téhéran, vit un riche érudit iranien, traducteur de littérature française et professeur de lettres, tombé amoureux de Forough Farrokhzad. Par son entremise, Abnousse Shalmani met ces deux femmes et leurs deux vies en miroir. Leurs images, leurs liens, leurs lettres, leurs libertés et leurs vies se reflètent de page en page. La technique est subtile. L’exercice pas toujours facile à suivre tant l’auteure est volubile, insatiable de livrer bataille aux policiers de la morale, armée de ces deux égéries de milieux littéraires si distants dans le temps et dans l’espace. Forough Farrokhza est une poète érudite, nourrie de la riche culture persane, qui donnera la parole en direct au corps de la femme pour ne plus en laisser le monopole aux hommes énamourés. Elle casse, avant les ayatollahs, la chape de silence qui recouvrait déjà leurs corps en Orient.

Si Marie souffre un peu de la « bien-pensance » des mondains parisiens, Forough, elle, « était honnie, pointée du doigt, abandonnée à la pure solitude. » Elle endure le peu de fantaisie de son mari, de sa famille et des mœurs de la société iranienne dans les années 50 qui la font passer pour une pute. Or, souligne l’auteure, « il n’y a pas de demi-monde en Orient, il n’y a pas de marchepied vers l’autonomie, la pute ne côtoie pas la mère, la femme sous le voile n’est pas une promesse de chaire, mais la certitude de l’oppression. »

Marie mènera une vie que la belle époque qualifie de romanesque, Forough vivra une vie d’enfer et de lutte. La Parisienne fait rêver l’Iranienne. L’une sera aimée et soutenue par son père, l’autre pas. Abnousse Shalmani tisse avec tout cela un beau roman choral tout en plaidant pour la liberté et le temps présent dans le procès qu’elle livre au patriarcat et aux Mollahs.

Cyrus, le professeur de lettres, tombe, finalement, en amour pour ces deux poètes comme disent les Canadiens. Il est, rappelle l’auteure, un enfant de « Cyrus le Grand, le shah qui avait fait de la Perse 500 ans avant J.-C., rédigé ce qui s’apparente à la première déclaration des droits de l’homme, libéré les juifs de Babylone et financé la construction du second temple de Jérusalem. »

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À Paris, en 2022, à 93 ans, Cyrus continue de lire ses poètes préférés et "s’étonne de voir sa chère France oublier ses gammes libertines, ses hommes devenir lâches à force de crainte, mais il est au bout de son chemin..." Abnousse Shamlani a embrayé le pas avec un talent fou.

Patrick

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