L’économie entrée dans la langue. Le Dogme et le laxisme.

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo © Laurent Berger

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Lecture 9 min.

Il existe deux travers que je rejette avec force et vigueur: le dogme et le laxisme. Je me méfie de ceux qui veulent gommer les obstacles qui permettent de se dépasser. La pensée néolibérale contamine tous les espaces, les résistants deviennent rares, ils sont accusés de ne pas suivre le rythme, d'être des réactionnaires, de ne pas partager l'euphorie mensongère. Parmi ces résistants, il demeure quelques professeurs qui s’interrogent encore sur leur pratique et sur les contenus des connaissances qu’ils veulent transmettre. Je m’entends être traité d’intello, de littéraire, de poète. La bonne humeur rentable est de rigueur. Le secteur avale l’ épanouissement personnel afin que vous soyez rentable. La réussite obligatoire pénètre l’école. Vous êtes malade, pas grave, on vous soignera pour être euphorique afin de mieux consommer et mieux produire. Les médicaments, les drogues vous permettent de répondre présent à la participation mondiale de la production. 

La crise de l’école signale une société qui ne peut plus enseigner. Je pourrais même aller plus loin en affirmant qu’elle n’en manifeste plus le désir parce qu'elle a bien d'autres priorités. Il existe un réel mépris affiché envers ce qui n'est pas directement accessible. Rendons alors les manuels scolaires plaisants, une page sur un myhe, ensuite un article de journal, puis une recette de cuisine, vive le fourre tout et le passe partout! Le manque de volonté politique pour l'émancipation est causé par la suprématie de la rentabilité. Nous devons être tous conscients que les relations humaines s’inscrivent de plus en plus dans des échanges commerçants. Nous pouvons remarquer que tous les êtres et les choses sont récupérés dans une unique perspective marchande. L’apprentissage est de plus en plus morcelé, en séquences, tâches problèmes, en unités, en tableaux, tout est chiffré, minuté. Ainsi, le vocabulaire se spécialise, on souhaite que je gère, que j’organise, que je facilite, que je sois plus efficace. La lenteur de l’apprentissage est méprisée, la lenteur de la transmission est écartée par la vision des résultats attendus à court terme.  Si bien que tout est devenu négociable, effaçable, flexible, toujours remis en cause, à recommencer, à reconstruire. Le grand tout et n'importe quoi se présente à nous de manière sympathique. Le grand commerce nous sourit et nous encadre avec ses slogans miraculeux alors l'enseignant doit suivre cette logique, ne pas paraître trop austère, gommer les aspirités de l'apprentissage. 

 Notre pensée est tous les jours envahie par les impératifs économiques si bien que nous finissons par gérer et négocier notre vie. Ainsi, nous pouvons transiger sur nos valeurs, les édulcorer pour satisfaire nos clients par démagogie, par lâcheté, par cette envie de ne jamais déplaire, de ne jamais déranger quitte à ne plus jamais se prononcer clairement. Ce n’est pas un hasard, si les droits humains remplacent les droits de l’homme. Les droits humains s’inscrivent dans une logique marchande qui a récupéré le droit à la différence. L’essentialisme remplace progressivement l’humanisme. Le professeur n’a plus des individus qui peuvent s’élever, se dépasser, se transformer, il est sommé de s’adapter aux besoins spécifiques de ses élèves. Ainsi, une mère d’un enfant autiste veut que son fils se dirige absolument vers l’université. Elle a donc une vision unique de l’avenir de l’enfant et somme l’école de la suivre. Alors que ce dernier serait plus heureux en apprenant la musique. L’ironie du sort, c’est que cette mère porte plainte contre le corps professoral pour discrimination car celui-ci n’est pas d’accord avec son acharnement. Les professeurs pensent qu'il existe autre chose que l'université pour s'épanouir. 

Il existe dorénavant une remise en cause du maître passeur qui se voit remplacer pour des idéologiques pernicieuses et liberticides. L’autorité de l’enseignant subit des attaques régulières. Tout cela au  nom de la liberté elle-même.  Ce qui signale une démagogie. « Mettez-vous au niveau de vos élèves, partez de leur vécu. » Très beau discours qui est en fait commercial et accorde une fausse liberté au nom de la liberté!. Au sens étymologique du terme, autorité est à rapprocher du terme auteur. Celui qui a autorité, est capable d’être auteur de quelque chose de nouveau. Le créateur est libre, car il a l’autorité de pouvoir commencer avec ses élèves la découverte de nouvelles connaissances. Or le professeur est devenu actuellement un prestataire de services différents selon son public. Il a perdu son autorité, il est sommé de produire, de corriger, d’évaluer, d’être agréable, divertissant. L’école est sommée de suivre la société du spectacle et de la production. Je remets souvent en question l'utilisation omniprésente de l'évaluation basée sur des points qui en réalité ne me permettent pas de juger la personnalité d'un élève. Un élève qui respecte parfaitement le cadre exigé par une production écrite stéréotypée peut avoir une note parfaite alors que le contenu s'avère médiocre. 

Nous utilisons désormais les mots de l’économie : consommateurs, clients, matricules, ressources humaines, chômeurs, sans abris, illégaux, clandestins. Ainsi l’ensemble de ce que représente l’humanité est perdu de vue et le lien social se défait. L’apprentissage que je défends est celui qui relève de la transmission, du lien, de la réunion, de ce qui est épars. Or la mécanique infernale du mercantilisme et du rationalisme économique met tout dans des tiroirs, dans des rubriques, des placards. On n’étudie plus la littérature, mais on décortique le récit policier, le récit de science fiction, le récit fantastique etc.

Le marché nous invite à nous identifier, à nous repérer souvent de manière arbitraire, conventionnelle. Le marché renforce notre essence selon la demande et l’offre. De nouvelles catégories sont ciblées, déterminées. La notion de citoyenneté disparaît ainsi. Par conséquent, la tolérance unique, car un droit particulier est accordé ; par exemple celui qui permet à la professeure de religion musulmane de porter son voile en classe. L’élève canadien pourrait venir en classe avec son équipement de bûcheron. La force économique nous divise. L’école a ses filières de relégation, les parents valorisent certaines options au détriment d’autres, les options artistiques sont vues comme là où c’est facile. L’artiste est pourtant celui qui se dépasse, celui qui sans cesse remet son ouvrage sur la table, mais malgré cela il est vu comme un bohème qui se la coule douce. il a dans son travail un nombre considérable d’heures d’espoir et de désespoir. 

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Le mercantilisme engendre un laxisme, il porte le masque du progrès. Il remet en cause l’autorité du maître passeur. Autorité au sens où le pédagogue peut être l’auteur d’un changement. Si tout est négociable, plus rien désormais ne fera autorité. Autorité de pouvoir être l’auteur de sa vie. Maître de son existence réellement. Le créateur a l’autorité de pouvoir commencer autre chose. Mais comment commencer quelque chose de nouveau si tout devient possible et acceptable au nom de l’efficacité économique? L’époque postmoderne préfère la communication à l’esthétique. Or c’est l’étude de contenus qui ne servent apparemment à rien qui peut nous aider à progresser intérieurement. L’information a pris le dessus dans la communication. Il n’est plus demandé aux élèves de développer une argumentation personnelle, mais de repérer des arguments dans des documents et d’en produire la synthèse. L’utilitarisme dirige les compétences formatées qui sont injectées dans les épreuves externes qui mesurent le niveau des élèves. La pensée du slogan, du mode d'emploi pénètre la pédagogie qui se voit obligée de renoncer à la vraie liberté. Il s'agit non plus de créer un invidu qui ait le sens critique, mais bien un élève qui ne s'élève plus, qui se conforme à reproduire, à entrer dans les schémas. Pour reprendre les mots de Marcel Moreau, la morale de l'effort, celui qui encourage les tensions désintéressées et stimule la conquête de soi, s'absente de la pédagogie classique, au profit des commerces illusoires considérés comme anti-contraintes. Oui, comme l'affirme l'écrivain belge, le climat sociologique est liberticide pour celui qui veut émanciper. 

Les visages du conditionnement sont aujourd'hui bien sympathiques, en apparence inoffensifs, les clichés et les stéréotypes sont amplifiés par les sons, dans les écrans qui nous forcent à baisser la tête et à ne plus contempler le ciel. Les donneurs de leçons, les remèdes miracles sont diffusés à souhait dans les réseaux sociaux. Ne vous compliquez pas la vie, apprenez rapidement avec nous, nous vous vendons l'efficacité, avec nous la vie est si simple! Soyez tous des vedettes qui apprennent en une semaine à chanter, à écrire un roman. Dans cet univers sociologique quel apprenti pourrait encore respecter son maître, reconnaître son expérience? Je ne veux pas d'une école qui rend l'homme plus petit qu'il ne l'est, à savoir limité dans une logique économique.

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