Prière de lire: Nadia Geerts nous dit la religion

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
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photo © JFHanssens

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Lecture 10 min.

Nadia Geerts présentait son dernier livre aux rencontres de l’Architecte.
Il n’y avait pas foule mais la rencontre ne manquait pas d’intérêt pour autant. Nadia est interrogée par Cécile Vanderpelen, professeure à l’ULB et directrice du Centre interdisciplinaire d’études des religions et de la laïcité. Nadia Geerts se réjouit de cette nouvelle collection ‘Dis, c’est quoi…’ éditée par la Renaissance du livre : "il y a un trou dans le marché du livre," nous dit-elle. Et moi, je me dis que les trous, c’est quelque chose qu’Alain Van Gelderen, l’administrateur délégué de la Renaissance, connaît bien. Reste à savoir pour lui s’il y aura un marché dans le trou. Il semble que oui. La collection s’adresse aux grands ados et aux jeunes adultes, soit directement soit via leurs professeurs. Et ces gens-là, Nadia les connaît bien. Professeure de morale dans le secondaire pendant vingt ans, aujourd’hui, depuis 9 ans, elle enseigne la philo et l’histoire des religions à de futurs professeurs au sein d’une Haute École. Il y a une demande pour de la vulgarisation intelligente, accessible et digeste nous dit-elle. Ce n’est pas un substitut du fameux "Que sais-je" des Presses Universitaires de France.

Le fruit de de nombreuses années dans l’enseignement
Elle a quitté le cours de morale où elle ne rencontrait que des jeunes non-croyants, pour entrer à la Haute école où le nombre de jeunes adultes croyants qui suivaient son cours l'ont impressionnée.. Mais croyants ou non, elle réalise au fil de ses cours que l’appréhension et la compréhension de la vérité de la foi, d’une part, et de la vérité en soi,d’autre part, n’allaient pas de soi. Ce livre est le fruit de ce parcours et la réponse à cette difficulté des jeunes.

L’auteur utilise la maïeutique
Elle construit son livre autour d’un dialogue très efficace qui commence par le second degré en abordant d’entrée de jeu la religion pastafarienne, son histoire, ses fondements, son succès.
Cette religion absurde a été imaginée de toute pièce pour convaincre les responsables académiques de l’Arkansas de renoncer à enseigner le ‘dessein intelligent’ dans les programmes officiels de cours. Deux ans plus tard, les autorités académiques revinrent sur leur décision. La preuve par l’absurde est sans doute un très bon moyen de permettre aux gens de sortir de leur zone de confort et de relancer la pensée longue et le libre-examen. La vidéo, au bas de l’article, vous permet de l’entendre expliquer l’intérêt du pastafarisme dans l’étude des religions. Le livre de Nadia est critique dans la mesure où il déconstruit les concepts.

Le livre d’un auteur et d’une enseignante
Cécile s’inquiète parce que, dans ce dialogue, Nadia Geerts s’adresse à un jeune-homme. Elle ne s’en est pas rendu compte. Elle écrivait à l’autre en général qui est neutre. Elle est comme ça, Nadia, qui nous précise qu’elle a toujours été enseignante avec un ‘e’ et auteur sans ‘e’. Parce que quand elle écrit, elle est toute à son écriture. Elle tend vers une volonté d’être accessible à tous, elle cherche une forme d’universalité. On la jugera peut-être de la vieille école, elle s’en fout un peu et n’en affiche aucun signe, d’ailleurs. Les questions de genre la préoccupent très peu et l’équilibre homme-femme la gonflerait même un tantinet. Pourtant son préfacier, Henri Pena-Ruiz ne manque pas de souligner que les trois monothéismes sont nés dans des sociétés patriarcales « et ce n’est pas un hasard si tous les trois, en leur textes sacrés respectifs, hiérarchisent les sexes au détriment de la femme. » Nadia, c’est l’humanité qui l’intéresse et sa plume d’auteur lui semble une arme bien plus efficace que les combats de formes, de genres et de quotas. Et c’est tant mieux. D’ailleurs si c’est le féminisme qui vous intéresse, elle est aussi l’auteur (sans « e ») de « Dis, c’est quoi le féminisme ? » chez le même éditeur.

Prendre le lecteur par la main
Au fil des pages de « Dis, c’est quoi une religion », toute l’expérience d’enseignante de l’auteur se révèle. Avec son interlocuteur neutre, elle prend le lecteur par la main au travers de courtes interventions qui s’assemblent comme autant de pierres au service d’un édifice qui n’est pas anti-religieux mais bien laïque. Elle prône le développement de l’autonomie et de l’humanité en chacun de nous, pas à pas. Elle évoque le dogmatisme et aborde, par exemple, l’alimentation. C’est quoi une secte ? C’est quoi un athée ? Pourquoi devient-on fanatique ? A quelle peur répondent les religions ? Elle rappelle que la religion se construit sur deux piliers : le croire et le faire même si ce qu’il est imposé de faire peut varier très fort d’une religion à l’autre et d’une époque à l’autre. Elle truffe son livre de citations qui émanent d’auteurs très variés. Elle citera Marcel Gauchet en évoquant la démocratie qui succède si difficilement au pouvoir de droit divin mais elle ne dira pas que cette démocratie souffre sans doute d’un manque de sacré. De même qu’elle ne demande pas à son jeune interlocuteur ce qui est sacré pour lui ? Mais ce n’est pas grave, nous aurons peut-être droit à un « Dis, c’est quoi le sacré ? »

Le libre-examen et la tolérance
Elle pratique le Libre-Examen de la question religieuse dans la vie quotidienne de jeunes ados. Elle cite Tzvetan Todorov qui prône l’émancipation et l’autonomie de la personne et rappelle que pour s’engager dans cette voie, « il faut disposer d’une entière liberté d’examiner, de questionner, de critiquer, de mettre en doute : plus aucun dogme ni aucune institution n’est sacré. » Plus tard, elle évoque la question de la tolérance qui ne devrait pas être considérée comme une valeur. C’est dénigrant de dire à quelqu’un qu’on le tolère. La tolérance doit se limiter au fait du prince, c’est -à-dire que c’est à l’Etat de veiller à ce que tous les courants de pensée soient tolérés.

Ce livre est opportun
On peut se poser la question de l’opportunité du livre dans un monde où les outils de  lson appréhension et sa compréhension se réduisent de plus en plus à des formats vidéos courts de 40 secondes à deux minutes, que ce soit dans un JT ou sur les réseaux.
Un cours de philosophie et de citoyenneté fera-t-il progresser le libre-examen ? Je ne le crois pas. Par contre, en participant à la campagne pour les 70 ans de la DUDH, dans les écoles francophones, je me suis rendu compte que là où la direction et ces professeurs de CeP acceptaient de faire de la célébration des 70 ans un projet annuel pour l’école, les enfants ont fini par pratiquer eux-mêmes le libre examen et les professeurs sont revenus chez nous en nous disant à quel point ce projet avait transformé leur école mais aussi à quel point nous leur avions donné des ailes. C’est dire qu’ils ne se sentent pas toujours capables de le faire, et c’est dommage. En partageant cette expérience avec Nadia, elle confirme que les enfants ont besoin d’inscrire leur pensée dans le temps long. Un livre comme une déclaration vieille de 70 ans peuvent être les moteurs de tels projets. Alors quand prolongera-t-on le cours de philo et de citoyenneté en projets citoyens de l’école ? Les formats courts sont dangereux parce qu’ils se bousculent et finissent par véhiculer la peur.  L’incertitude de l’avenir, la mondialisation, le climat, les progrès technologiques effraient et la science, hélas,  ne rassure plus parce que plus on sait de choses plus elles s’avèrent complexes. Les églises et les sectes ont trouvé là un terrain propice à leur redéploiement en exploitant la peur, l’ignorance et leur argument d’autorité. La science et le libre-examen sont menacés par cette complexité anxiogène.

Une prière pour conclure
Nous sommes depuis une bonne dizaine d’années dans un monde où le principe de précaution régule l’état d’esprit de l’opinion publique. Tout le monde sait que la vie ne se conçoit pas avec le risque zéro. Et pourtant, qui parierait qu’il est plus sûr de prendre des risques ? Blaise Pascal ? 
Cette peur est aussi le sol nourricier sur lequel renaît l’attrait pour les religions séculières, chères à Raymond Aron, qui sacralisent le pouvoir politique et dont la sacralisation la plus extrême se trouvait dans le nazisme et le communisme avec leurs codes, leurs grand-messes, leur manichéisme et leur réécriture de l’histoire.
Contre tout ça, la plume finement aiguisée de Nadia Geerts est plus qu’utile. Vous avez des enfants ou petits enfants ados ? Voilà un petit cadeau bien utile de 95 pages bien écrites et agréables à lire au prix modique de 11,90€. Et qui sait, ils se mettront peut-être à prier comme Guy Bedos que cite Nadia : « Mon dieu, mon dieu, délivrez-nous de toutes les religions ! »

Les références du livre:
"Dis, c’est quoi une religion ?" Par Nadia Geerts Edition : Renaissance du Livre, Bruxelles, juillet 2018, 11,90€

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